Chapitre 9 : Rumeur
Vyrian observa Fara disparaitre dans des grésillements. Le chercheur voulut questionner Mère sur cet incident. Seulement, l’intelligence artificielle semblait s’être murée dans le silence. Furieux, le scientifique comprit qu’une fois de plus, il n’obtiendrait pas de réponses à ses questions.
Des odeurs assaillirent ses narines. Vyrian les reconnut : suie et charbon. Avant qu’il ne comprenne d’où elles provenaient, il se retrouva face à un vieil entrepôt. Le biologiste identifia l’architecture typique du nord : briques rouges et toit d’usine. La pollution ternissait les parpaings. Les rayons du soleil filtraient au travers de nuages jaunâtres, nimbant le paysage d’un filtre maladif.
Du peu qu’il avait entendu parler, Vyrian comprit qu’il faisait face au Monde Historique. Le nom n’aurait pu être mieux choisi. Le chercheur avait l’impression de visionner un album photo datant de la révolution industrielle.
Les usines emplissaient l’atmosphère d’une fumée toxique. Une brise mal odorante charria une cannette qui tinta sur les pavés captant l’attention du professeur. Le déchet s’arrêta à ses pieds. Vyrian regarda dans la direction dans laquelle il provenait. Son regard s’immobilisa sur un panneau publicitaire à l’angle du bâtiment. L’installation bien qu’anodine, représentait pour le chercheur un douloureux rappel de son passé de surconsommation.
Cinq crises d’extinction avaient eu lieu par le passé. Lorsque la sixième crise fut annoncée, climatologues, journalistes et politiciens s’emparèrent du sujet. Tous furent mis au courant, mais rien ne fut réaliser et la planète dépérit.
Pour survivre, ils n’avaient eu d’autres choix de plonger en état de Télépathie. Bien plus qu’un rêve communautaire dans lequel pensées et souvenirs circulaient librement, il permettait également aux corps d’hiberner. L’espérance de vie des habitants était ainsi prolongée.
Un mouvement attira l’attention du professeur. À contrejour, une silhouette se détachait de la grisaille ambiante. Un jeune homme avançait d’un pas vif, le bas de son costume trois pièces déchiré. Le chercheur l’observa pénétrer dans le bâtiment. Mère se faufila à sa suite.
Vyrian se retrouva entrainé dans la course effrénée du garçon. Les étages défilaient rythmés par le claquement des talonnettes sur les marches. Arrivé au troisième étage, l’ascension s’arrêta.
Alerté par le bruit, les agents de sécurité levèrent le nez de leur journal. Leur expression se détendit lorsqu’ils reconnurent le jeune homme, ils le saluèrent machinalement retournant à leurs occupations. Le garçon ne leur accorda aucun intérêt. Déterminé, il se dirigea au bout du couloir, ses pas le menèrent devant la porte d’un bureau, un écriteau indiquait « Professeur Eric Cyna et Almarran de Lastys ».
Intrigué, Vyrian regarda l’adolescent toquer. Les minutes s’égrainèrent, rien ne se produisit. La voix bourrue d’un des agents de sécurité l’interpella.
— Pas la peine, le professeur est en réunion.
Le jeune homme poussa un soupir de frustration. Le membre de la sécurité voulant visiblement l’aider, lui proposa son aide.
— Un problème Nick ? Je peux t’aider ?
— La routine. Je cherche mon père.
— Il est lui aussi en réunion.
— Où a-t-elle lieu ?
— Au dernier étage.
— Merci.
À peine Nick eut-il les renseignements désirés qu’il se précipita dans la cage d’escalier la plus proche. Une fois le jeune homme hors de vue des agents de sécurité, les hommes commencèrent les messes basses.
— C’est quoi son problème ?
— Tu sais pas ce qu’on raconte sur lui ?
Nick accéléra l’allure. Vyrian comprit qu’il ne voulait rien entendre. Malgré ses efforts pour y échapper, le haut plafond du bâtiment, faisait résonner les sons, Nick n’eut d’autre choix que d’écouter la suite de la conversation.
— Non dis-moi.
— Il parait qu’il n’est pas réellement le fils du professeur De Lastys.
— Comment ça ?
— Apparemment dans le cadre d’un projet, le professeur en serait venu à cloner son propre fils.
— Pourquoi il aurait fait une chose pareille ?
— Il y a une rumeur qui circule comme quoi le professeur aurait sacrifié son fils. Mais de peur de perdre sa femme, il aurait réalisé un clone de son enfant.
— Mais ça n’a pas de sens !
— En tout cas j’imagine qu’il a de quoi être perturbé.
À bout de souffle, Nick atteignit le dernier étage. Au bout du couloir se dressait une lourde porte en bois. Nerveux, il s’approcha et plaqua son oreille contre le battant. Des fissures permettaient d’entendre bien que difficilement la conversation qui se tenait à l’intérieur. Vyrian tout comme le jeune homme tendit l’oreille.
— Professeur Cyna ! Vous et les vôtres avaient perdu votre objectif de vue ! Dois-je vous rappeler votre serment ?
— Epargnez-vous cette peine. Le Projet Trimondes n’a jamais été aussi prometteur.
— Cessez cette utopie ! De l’autre côté de ses murs le peuple souffre.
— Cela fait dix-huit ans que nous tentons de remédier au problème.
— Vraiment ? Dans ce cas quand comptez-vous informer la population de vos progrès ?
— Nous l’informerons en temps voulu.
— Qu’attendez-vous pour le faire ? Une révolte ?
— Où voulez-vous en venir ?
— Il y a des rumeurs qui circulent. Il y a dix-huit ans pour la première fois eurent lieu les premiers clonages. Ils étaient réalisés dans le cadre de la recherche. Le manque de natalités conduisait notre civilisation à sa perte. Afin d’éviter cela, des enfants furent clonés avant qu’ils n’atteignent leur puberté. De cette façon, on espérait augmenter les chances de fertilité de la population. Seulement les clones comme les originaux devenaient stériles. Il s’agissait donc d’un problème d’environnement, de condition de vie.
Pour pallier à ce problème d’environnement, il fallait trouver un lieu habitable. Ainsi que des individus n’ayant pas trop subis les effets néfastes de ce monde pour les y envoyer et pérenniser ainsi notre société. Étrangement, à cette période des sondages commencèrent à circuler. Si je me souviens bien, ils cherchaient à recenser le nombre de nouveau-nés. Il fallait laisser ses coordonnées pour faire passer divers tests à l’enfant pour s’assurer de sa bonne santé.
Seulement depuis cette époque, plus aucun signe de ces supposés enfants. C’est vrai, admettons que les enfants avaient moins d’un an lorsqu’on leur a fait passer les tests, ils auraient aujourd’hui dix-huit, dix-neuf ans. Or personne dans la population n’a moins de vingt ans. Comment pouvez-vous m’expliquer une telle chose ?
— Rappelez-moi pour quelles raisons aviez-vous convoqués cette réunion ?
— Pour parler de l’avenir, bien sûr. En parlant de ça d’ailleurs, il me semble que l’un de vos chercheurs, ici présent est en mesure de répondre à mes questions. Il me semble qu’il se nomme Almarann De Lastys.
Vyrian ne comprenant pas le mimétisme dont Mère faisait preuve à l’égard du garçon, le chercheur lui intima de traverser la porte. A sa surprise l’intelligence artificielle obéit. Vyrian put observer les deux hommes se faire face. La conversation reprit son cours.
— Oui. C’est moi.
— Bien. Il me semble qu’à cette époque vous étiez l’un des responsables de ce projet. Est-ce exact ?
— Oui.
— Combien de nourrisson avez-vous recensé ?
— Six. Contrairement à ce que vous insinuez nous n’avons jamais faits passer de questionnaires aux habitants. Les seuls enfants recensés sont ceux de cette équipe.
— Votre fils en faisait-il parti ?
— Bien évidemment. Pourquoi cette question ?
— Un peu plus tôt, j’ai mentionné le fait qu’aucun individu n’ait moins de vingt ans, or c’est faux. Il y a une exception, votre fils. Comme tout le monde, vous êtes inscrits sur le registre. En le consultant, je me suis aperçu que vous aviez bien eu un fils, mais que peu après sa naissance vous et votre femme êtes devenus stériles. Vous étiez donc dans l’incapacité d’avoir un second enfant. Je me suis intéressé de plus près à votre fils. Contrairement aux autres habitants, il ne porte pas de Tempus. Au début, j’ai pensé à un inconscient, ensuite je me suis dit qu’en tant que scientifique, vous aviez dû lui dire l’intérêt d’un tel dispositif. J’ai eu beau retourner la question dans tous les sens, je n’arrive toujours pas à m’expliquer pourquoi sur le registre sa date de naissance est effacée ni pourquoi vous cachez son véritable âge.
De plus, j’ignore ce que vous tramez avec ces enfants mais jamais vous ne parviendrez à renouvelez notre civilisation avec un échantillon aussi faible.
Vyrian parvenait difficilement à suivre la conversation. Il avait vaguement compris que l’enfant cloné correspondait à Nick. Par contre, il n’avait aucune idée de la fonction d’un Tempus ou bien de l’influence qu’avait eu ses prédécesseurs sur le projet.
Espérant obtenir des indices sur la suite de la conversation, Vyrian observa Almarran se crisper, l’homme avait répondu avec franchise et se retrouvait au pied du mur.
— Mon fils n’entrait pas dans les conditions requises par l’expérience. Il n’a donc pas été sélectionné.
— Vraiment ? J’ai une autre hypothèse.
— Écoutez-moi. Je ne souhaite pas l’entendre. Je sais tout ce qui concerne ma famille. Tenez-vous en à l’écart et laissez notre équipe mener à bien ce projet.
La réunion prit fin. Almarran quitta la salle en trombe, le professeur Cyna sur ses talons tentant de le raisonner.
Le reste des membres sortirent un à un visiblement confus. Le dernier à sortir fut l’homme responsable de la situation. Il s’arrêta devant la porte.
Sans pouvoir l’expliquer, Vyrian avait l’impression qu’il avait démasqué le jeune homme. Lui-même se doutait de sa présence car il était au courant de son espionnage. Dans ce cas comment s’y prenait l’homme ? Les fissures étaient bien trop étroites pour pouvoir voir quoique ce soit.
Vyrian imaginait la détresse du jeune homme pris au piège, n’ayant d’autre protection que la porte de la salle. Au bout d’un moment, l’homme tourna les talons. Nick patienta quelques instants avant de sortir de sa cachette.
En tournant la tête, il vit dans la pochette contenant le planning des réunions accroché à la porte une carte de visite. Il s’en empara.
La carte contenait simplement une adresse. Il n’y avait ni nom, ni moyen de contacter son propriétaire. Pensant obtenir plus d’informations au dos, il la retourna, il put y lire :
« Retrouve-moi. Je répondrai à toutes tes questions »
Vyrian en était à présent persuadé. L’homme avait démasqué Nick. Il ne savait qu’en penser. Il n’eut pas le temps d’y réfléchir plus longtemps. Une voix familière interrompit ses pensées.
— On m’a dit que tu voulais me voir.
Surpris, le jeune homme rangea précipitamment la carte dans une de ses poches. Il se retourna, son père se dressait devant lui. Il était imposant. En le regardant, Vyrian ne doutait pas du lien de parenté qui unissait le père et le fils. Ce qui le préoccupait en revanche était de savoir si Nick était vraiment un clone. Le scientifique ne doutait pas que la même question obnubilait le jeune homme. Voyant l’air gêné de son fils, Almarann prit les devants.
— Tu as tout entendu ?
Nick ne répondit pas, son silence était éloquent. Almarann poussa un profond soupir.
— Écoute…
Nick l’interrompit.
— C’est vrai, tout ce que l’on raconte ? Est-ce que je ne suis qu’un double ?
Almarann chercha les mots justes.
— Tu peux être mon fils tout en étant un clone. L’un n’empêche pas l’autre.
Almarann vit son fils se cambrer. Il chercha à rectifier ses propos mais rien ne lui vint. Au bout de plusieurs secondes Nick reprit la parole.
— Pourquoi ? Qu’est-il arrivé à l’original ?
— C’est confidentiel.
— Ça a toujours été ta réponse favorite lorsque tu ne parviens pas à t'exprimer.
— Ce n’est pas aussi simple.
— Est-ce que mère était au courant ?
— Pas dans un premier temps, puis elle a découvert la vérité.
— Comment peut-on rester avec quelqu’un qui nous manipule ?
Sur ses mots, Nick se dirigea vers la sortie. Au loin, son père répondit à la question.
— Elle n’est pas restée pour moi, mais pour toi, notre fils. Tu ne méritais pas de grandir sans mère.
La souffrance de cette famille faisait écho à celle que Vyrian avait quittée quelques heures auparavant. Peu importe dans le monde dans lequel il se trouvait, la douleur était unanime.
Peu fier, le père laissa son fils s’éloigner restant seul dans le couloir. Une fois à l’extérieur, Nick sortit la carte de sa poche et la relut. Comprenant qu’il n’aurait pas de meilleure chance d’obtenir des réponses, il saisit l’occasion.
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