Chapitre 18 : Rencontre inattendue
Vyrian resta abasourdi par cette nouvelle. Cela lui donnait une chance incroyable de découvrir le Monde Numérique. Pourtant, il ne se sentait pas prêt à quitter sa zone de confort. Il s’était habitué à son statut d’observateur et à ses frustrations. A présent, il découvrait un mélange d’excitation et de peur, plus rien ne le protégeait. Cette ambivalence le mettait mal à l’aise. Il allait enfin pouvoir agir de manière concrète pourtant au fond de lui cela le terrifiait.
C’est avec appréhension qu’il attendit le verdict des deux Ombres. Le frère et la sœur se concertèrent d’un regard. Ce fut Kayle, l’ainé qui posa son aval.
— J’aurai préféré être accompagné par quelqu’un de plus… apte. Enfin bon, je suppose que je ne peux pas me permettre de faire la fine bouche, alors bienvenue.
Vyrian prit conscience de l’état de désolation qu’il offrait. Sa blouse était trouée à plusieurs endroits, dévoilant sa peau nue. Son épiderme blafard révélait des traces de brûlures. Le scientifique se rappela la sensation de douleur lorsqu’il s’était retrouvé déconnecté de Mère. Il en frémit.
Ses tressaillements furent mal interprétés par Vanea, la sœur de Kayle.
— Un peu rachitique mais avec la technologie adaptée, on devrait pouvoir en tirer quelque chose.
Cette nouvelle rasséréna Vyrian, cela faisait des années qu’il se cachait derrière Mère avoir un substitut le rassurait. Rayec scella l’accord.
— Dans ce cas, je vais te laisser te préparer. Kayle va t’équiper.
Vyrian suivit le jeune homme. La monotonie de la construction lui laissa tout le temps pour lire la description que Mère faisait de Kayle.
« A six et quatre ans Kayle et Vanea virent leurs parents leur tourner le dos. Suite à ce bannissement, les deux enfants furent mis à l’écart. Depuis ce jour, Kayle se mit en tête de prouver sa valeur aux autres. Il espérait ainsi se faire accepter et retrouver sa place parmi les siens. »
Le jeune homme s’arrêta dans une vaste pièce qui ne se différenciait des précédentes que par l’équipement disposé sur des présentoirs.
Vyrian eut de la peine pour lui. Il aurait aimé le consoler, seulement il ne le pouvait pas. Il ne pouvait risquer de mettre à mal le sacrifice de ses parents. Le couple avait déjà trop souffert. Le scientifique tenta de garder un air neutre, pourtant Kayle ne fut pas leurré.
— Un problème ?
Le biologiste mit trop longtemps à répondre pour ne pas paraître suspect.
— Non, aucun.
Le regard que lui lança Kayle était explicite, le jeune homme n’insisterait pas, mais il n’était pas non plus dupe. Sans un mot, il lui envoya une combinaison. Vyrian l’attrapa de justesse.
— Enfile ça. Ça te protégera de la chaleur et des rayonnements du soleil. Profites-en pour te débarbouiller.
D’un geste du menton Kayle indiqua une petite pièce à Vyrian. Le souvenir de la douleur ressentit au contact du sol incandescent ne quittait pas le scientifique, il fut ravi d’enfiler la combinaison. D’abord moulante la combinaison disposait d’une montre dans laquelle se trouvait un petit catalogue, il était possible de choisir le style de sa tenue. Le biologiste choisi des vêtements simples. D’un clic, il fut vêtu de baskets, d’un jean et d’un blazer. Il en profita pour tailler sa barbe et tondre ses cheveux. Ce changement d’apparence lui fit un drôle d’effet, un peu d’entretien semblait avoir gommé les années passées en état de Télépathie.
Perturbé, il rejoignit Kayle qui jaugea son apparence d’un hochement de tête.
— Bien maintenant au tour de l’équipement. Choisi ce qui te plait ne t’encombre pas en vain.
Le professeur hocha la tête et se rapprocha des présentoirs, il se refusait à poser des questions au risque de passer pour un parfait abruti ou pire pour un étranger. Les informations de Mère ne pouvaient malheuresement pas l'aider, aucune notification ne s'affichait lorsqu'il s'approchait des technologies. Etaient-elles protégées ? Disposaient-elles d'une sorte de brevet intégrée empêchant de reprendre les caractéristiques?
Le scientifique ne s'attarda pas sur la question. Chacun de ses faits et gestes étaient observés. Il choisi deux appareils à la fois pour le design et l’utilité qu’il pensait deviner et le hasard. Une fois sa sélection faite il se tourna vers Kayle qui l’équipa et le congratula.
— Bons choix.
Vyrian attendit des explications, mais Kayle ne fut pas plus bavard, une fois équipé il le reconduisit auprès de Rayec. Vyrian détestait prétendre ce qu’il n’était pas. Il ne pouvait cependant pas révéler son identité ni l’influence de son peuple sur les mondes. Il ne savait combien de temps durerait son secret. Rayec savait déjà qu’il ne venait pas de ce monde, c’était bien suffisant. Maintenant que Vyrian y pensait il s’étonnait du manque d’interrogations de l’homme.
Le biologiste fut accueilli par une Vanea souriante et l’ancien dirigeant des Ombres énigmatique. Aucune des deux expressions ne plut au biologiste.
— Notre recrue a bien meilleure mine.
Vyrian se contenta de remercier poliment la jeune femme, les regards qu’elle lui jetait le mettait mal à l’aise. Des deux, elle était celle qui ressemblait le plus à ses parents. Le scientifique avait la désagréable impression de sentir le regard de Fara se poser sur lui, le reproche de la mère de famille lui revint à l’esprit « Qu’as-tu faits ? ». Rien, il n’avait rien fait, tel était le problème, il s’était contenté d’observer et maintenant que la possibilité d’agir lui était offerte, il doutait.
Il détourna légèrement les yeux de la jeune femme préférant se concentrer sur Rayec, ce-dernier tenait une disquette. Sans que Rayec n’en fasse la demande les deux jeunes sortirent. Le scientifique se retrouva seul face à l’homme. Le stress le gagna, que lui voulait-il ? L’homme s’approcha, l’expression grave.
— Lorsque tu reverras Mère donne lui ceci.
— Pourquoi ne pas le faire ?
— J’ai essayé autrefois suite à la légende de Numyrhis que nous avons créée. La légende a beau être assez récente, elle est ancrée dans les cultures. Je voulais racheter notre erreur, nous devions juste sauver les enfants mais notre interaction avec les habitants du Monde Historique bouleversa le cours des choses. Pour me faire pardonner, je lui ai offert cette disquette, après une consultation rapide, la considérant trop dangereuse, elle me l’a rendu.
Vyrian s’en saisit se demandant quelles informations Mère pouvait refuser. Au fond, il se doutait de la réponse. L’intelligence artificielle censurait toute information tenant de la légende par précaution afin que ces informations ne soient pas mal employées comme elles l’avaient été lors de son piratage. Le scientifique ne pensait pas se tromper, plus il analysait la situation plus il était sûr de lui et l’envie d’en apprendre davantage sur la légende se faisait grande. Pour autant, il s’était juré de découvrir les choses par lui-même et de ne pas se laisser influencer par les données.
Alors que le scientifique s’apprêtait à retirer sa main, Rayec lui enserra le bras.
— Jure-le-moi. Promets-moi de remettre à Mère ses informations.
— Je le jure.
Cet échange mit Vyrian mal à l’aise. Sans un regard en arrière, il alla rejoindre le frère et la sœur. Arrivé à leur niveau, Kayle actionna l’ouverture du sas et Vyrian se retrouva une nouvelle fois face à ce désert de cendres. Peu importe où se posait son regard, seules des dunes embrasées lui apparaissaient. C’était à la fois beau et d’une désolation sans nom. Tout comme son peuple, les habitants du Monde Numérique avait détruit leur monde. Il ne restait de leur histoire qu’un tas de cendres fumant.
L’obscurité les accueillit, ensemble, ils s’élancèrent dans la nuit, uniquement guidé par le rougeoiement du sol. Plusieurs heures s’écoulèrent lorsqu’ils virent trois silhouettes se découper entre deux dunes.
Le scientifique en reconnu deux immédiatement. Il s’accroupi malgré lui. Son cœur battait la chamade, il ne savait comment gérer cette situation. Que leur dirait-il ? Quelle était la personne qui les accompagnait ? Dos au sol, le regard fixant l’immensité noirâtre du ciel, il savait que les deux jeunes Ombres s’interrogeaient à son sujet. Il n’en avait que faire. Depuis son réveil, il avait peur qu’une telle situation se produise, maintenant qu’il y faisait face, il ne savait comment se comporter.
Anxieux au possible, les paroles de Vanea sonnèrent le glas.
— Une créature approche.
Le biologiste vit les deux jeunes se mettre en position de combat. Il savait cela futile, la créature venait pour lui. Lui seul l’avait offensé. Quelle serait sa punition pour cela ?
Au même moment, Kayle avertit d’autres approches.
— Deux personnes se dirigent vers notre position. Elles ne semblent pas avoir connaissance de notre présence, elles semblent courir après l’animal. Ou plutôt la première silhouette semble courir après l’animal et la seconde silhouette courir après la première.
Le chercheur entendit la jeune femme jurer entre ses dents.
— Merde, nous ne pouvons pas utiliser nos brouilleurs, nous sommes trop près des détecteurs des Régisseurs. Ils seraient immédiatement alertés de l’utilisation d’une technologie. Que fait-on ?
— On attend.
Vyrian trouva le courage de se relever. Malgré tout il se sentait misérable. Alors que l’attente le faisait languir, Xam se jeta sur lui sous le regard médusé des deux jeunes Ombres.
Après un énième roulé-boulé dans les cendres, Xam lâcha le chercheur lui envoyant des giclés de cendres au visage. Vyrian tenta de s’en protéger mais se trouva bien vite emprisonné, enterré jusqu’aux aisselles. Comment cela avait-il pu se produire aussi rapidement ?
Ahuri, les deux jeunes gens laissèrent passer une Yomi essoufflée. Arrivée à hauteur de Vyrian et de Xam qui trottinait gaiment jusqu’à elle, elle s’excusa pour le comportement de son ami.
— Pardonnez-le, il est encore jeune.
Avant que le scientifique n’ait pu refermer la bouche, sa pensée le dépassa.
— Ce n’est rien, je l’ai bien cherché.
— Comment ça ?
Un nouveau venu fit son apparition, Vyrian ne distinguait pas son visage. Une notification s'ouvrit au bord de son champ de vision, un logiciel analysait la tonalité de la voix. Une correspondance s'afficha. Le scientifique pu voir le visage du jeune homme : Dezaël, un Exilé. Le biologiste n’aimait pas la tournure que prenait la situation. Vanea et Kayle se joignirent à eux.
— Que se passe-t-il ici ?
Vyrian vit l’expression de Yomi se décomposer. Vanea et son frère ressemblaient trait pour trait à leurs parents, leur voix ne faisait pas exception. Mais comment l’expliquer à la jeune femme ? Un mélange de tristesse et de colère s’imprima sur ses traits. Son visage d'ordinaire doux se durcit. Son dos s'arqua, des ailes naquirent entre ses omoplates. Peu à peu la jeune femme s'éleva dans les airs, soulevant un nuage de cendres. Ces yeux rouges luisaient d'un éclat malsain dans l'oscurité.
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