Chapitre 23 : Engagements
La vue des Sanctionneurs paralysa Vyrian. Les secondes semblaient le maintenir captif, figé dans un mélange de terreur et de surprise. Kayle aurait pu l’achever s’il l’avait souhaité. Au lieu de ça, il se détourna de son adversaire et s’enfuit. Dezaël lui fit barrière.
— Où vas-tu ?
— …
— Où comptes-tu fuir ?
— Peu importe ! Barrons-nous tant que nous en avons le temps !
— Non.
— Fais comme tu veux ! Moi, je me casse.
— Non.
— Quoi ?
— C’est ton sang, tes connaissances que désirent les InfoVirus. Il est hors de question que tu quittes cette pièce tant qu’ils ne sont pas morts. Sortir signifierait donner au Capitaine toutes les informations dont il a besoin. Retrousse-toi les manches et assume tes erreurs !
Kayle fit volteface. Plusieurs mètres le séparaient des spectres. Un pas après l’autre, il réduisit la distance. Vyrian suivit des yeux son avancée sanglante. Les gouttes de sang pleuvaient sur le sol, le jeune homme pressait sa plaie.
Une expression de douleur et de défi étirait ses traits. A présent, moins d’un mètre le séparait des spectres. Le jeune homme les observait avec dédain se repaitre des informations contenues dans son sang. Leurs précédents hôtes étant morts, les InfoVirus se retrouvaient dans une extrême faiblesse. Kayle les nargua.
— Quelle bande de rapaces.
Les Sanctionneurs se tournèrent vers lui. L’Ombre accentua la pression sur sa plaie, le sang se déversa plus rapidement sur le sol.
— Vous en voulez encore ?
Les trois créatures avaient beau être affaiblis par la privation de leurs hôtes, leur appétit n’en était que plus grand. Moins puissante mais bien plus redoutable, les trois Virus fondirent sur Kayle.
L’Ombre n’eut la vie sauve qu’à l’intervention de sa sœur. Malgré leurs différents, Vanea risquait sa vie pour lui. Durant le laps de temps qu’il avait fallu aux Sanctionneurs pour fondre sur son frère, elle avait remonté ses manches, deux bracelets étaient apparut. Elle les toucha du bout des doigts. Ils se délièrent et descendirent le long de ses poignets. Elle les laissa coulisser dans ses paumes. Une fois l’extrémité en main. Elle fouetta l’air de ses bracelets assouplis. Surpris, Vyrian les vit s’allonger, la pointe claqua sur le sol. La jeune femme se retrouvait équipé de deux fouets.
Le scientifique vit des instructions les parcourir. Une dompteuse. Il s’agissait d’instruction pour plier les InfoVirus à sa volonté. Vyrian fut impressionné par la bravoure de la jeune femme, seule face à l’ennemi, elle faisait tournoyer ses fouets. Elle se protégeait offrant l’asile à son frère tombé non loin de là. Les fouets claquaient au-dessus de sa tête.
Il se redressa foudroyant sa sœur du regard.
— Que…
— Je te sauve abruti ! Ne joue pas au martyr !
Les Sanctionneurs maintenus à distance, la dispute fraternelle faisait rage. Les cris sortirent Dezaël de sa léthargie, il se rua sur les panneaux de contrôle et entreprit de craquer les sécurités.
Ses doigts pianotèrent sur les écrans, les données défilèrent. Vanea qui venait à bout de ses réserves l’appela.
— Dez ! Dis-moi que tu as quelque chose !
— C’est envoyé !
Au même moment, Vyrian vit sur l’écran de sa montre défiler les informations relatives aux Sanctionneurs. Là, camoufler parmi les autres données, il vit les points faibles des InfoVirus.
Personne d’autres ne semblaient avoir remarquer ce détail, Vanea se fatiguait, Kayle s’évertuait à nier les accusations de sa sœur. Dezaël ne pouvait prendre le risque de dévoiler ses informations à l’oral. Excepté lui, personne d’autre n’était équipé du dispositif.
Vyrian réalisa l’opportunité qui lui était offerte. Il avait une chance de se faire accepter. Un regard en direction de Kayle lui fit réviser son jugement, il pouvait se faire partiellement accepter. Il pouvait agir, prendre le contrôle des événements. Sans plus attendre, il le fit.
Il ferma les yeux, se concentra sur les données de Mère, trouva le fichier qui l’intéressait. Le chargea. A présent, il se retrouvait doter tout comme elle de la faculté de communiquer par la pensée aux autres sans l’intermédiaire de Télépathie.
Il chercha l’esprit de Dinaïn. Les pensées du soldat n’étaient que culpabilité et trahison, Vyrian avait accès à son dossier mais n’avait pas encore eut le temps de le consulter.
Sous la puissance des émotions, son corps se plia, ses genoux heurtèrent le sol. La connexion se brouilla. Vyrian serra les dents et se replongea dans les pensées du soldat. Il accusa le choc, ne tient pas compte du flot d’informations qui manquait de le submerger à chaque instant.
Ancré au cœur du jeune homme, il lui délivra ses instructions.
— Approche tes mains du mur. Converti l’épiderme de tes paumes. Profite du barrage que fait Vanea pour protéger son frère. Glisse-toi sous les fouets et convertis les InfoVirus, rends-les tangible !
Le biologiste sentit le choc que cela provoqua chez le soldat, ses pensées semblèrent avoir le hoquet. Elles s’arrêtèrent un court instant puis repartirent de plus belles.
Le scientifique attendit avec appréhension une quelconque réaction du Régisseur. Il vit avec soulagement le jeune homme lancer les instructions motrices. Il se déplaçait, il sentit le contact froid du mur contre ses paumes, la souplesse de son épiderme se rigidifier, ses muscles se bander lorsqu’il entreprit sa course, ses tibias frôler le sol lorsqu’il se glissa sous les fouets, ses mains traverser les Sanctionneurs et altérer leur consistance. L’euphorie envahit le soldat. Ça fonctionnait !
Vyrian sourit. Il se concentra à présent sur Saern. Il laissa les données emmagasinées par Mère à son sujet le renseigner. De la même manière, il communiqua au résistant ses instructions.
— Je sais que tu peux utiliser les propriétés du son pour installer un état de transe. J’ai besoin que tu le fasses. Relie-nous !
L’esprit du résistant bafouilla. Il lui fallut un certain temps pour vérifier la faisabilité des consignes. Une fois arrivé à la même conclusion que le scientifique, il se mit à siffler. Ils furent recouverts d’une même aura, ils partageaient à présent le même état d’esprit : ils devaient triompher.
Vyrian aperçu le sociogramme du coin de l’œil. Les interactions étaient loin d’être optimales. Pourtant, peu à peu, il observa la tendance s’inverser. Un deuxième diagramme se superposa sur le premier. Il représentait les compétences des uns et des autres, les affinités possibles.
Le chercheur revint à la situation présente, deux des spectres avaient été convertis. Vyrian ressentit la douleur de Vanea, lorsqu’elle envoya ses fouets percuter les spectres. Le choc remonta le long de ses bras. Une fois de plus, Vyrian failli perdre la connexion. Il tint bon.
Il se concentra sur Dezaël et les instructions qui défilaient sous ses yeux. Vyrian vit par l’intermédiaire de son cortex visuel les caractéristiques des Sanctionneurs chuter. Il était temps de mettre un terme au combat.
Le scientifique laissait le soin à Vanea et Dinaïn d’achever les deux InfoVirus agonisant. Il se tourna vers Nick. L’Historian s’était équipé de deux scalpels. Tous deux souillés du sang des prisonniers. Cela donna une idée au scientifique. Il en fit par à Nick.
— Lance tes scalpels sur le spectre restant. Tes armes vont le traverser et le contaminer. La mort de son hôte la rendu faible, son sang devrait avoir le même effet.
Vyrian espérait avoir vu juste. Dans le cas contraire, il exposait le jeune homme à la colère du Sanctionneur. Il sentit l’esprit évaluer l’hypothèse, peser le pour et le contre. L’évaluation finit, Vyrian le sentit resserrer son emprise sur les manches des instruments. Il perçut les mouvements de son bras, la rotation de son épaule lorsqu’il arma son lancer, le pivotement du poignet lorsqu’il envoya le scalpel, ses doigts lâcher prises. Les secondes s’égrenèrent, l’anxiété du chercheur s’accrut. Son cœur bondit de joie lorsque les pensées de l’Historian l’avertirent de la réussite de son plan.
Vyrian laissa l’adrénaline refluer, profitant de ce moment de bien-être. Tout se déroulait selon ses plans. Le scientifique ne se souvenait plus de la dernière fois qu’il avait ressenti cette satisfaction.
Il s’y soustrait à regret, le Sanctionneur restant avait certes été touché par l’attaque de Nick, seulement cela avait ranimé sa soif, l’InfoVirus filait vers Kayle.
Dinaïn convertit ses paumes de main se précipitant sur le dernier ennemi, Vanea tendit ses fouets sans prêter attention à la douleur lancinante de ses épaules. Saern entreprit de jouer une autre mélodie dans l’espoir d’augmenter les réflexes de Kayle. Pourtant, le jeune homme ne bougea pas. Il semblait s’être résolu à sa fin.
Vyrian peinait à se souvenir le jeune homme déterminé qui l’avait recruté. Kayle n’était que l’ombre de lui-même. Involontairement, Vyrian l’avait dépossédé de son engagement.
Sans but, le jeune homme se retrouvait perdu. Bien que son comportement l’insupporte, le scientifique pouvait comprendre cela. Lui-même, il se raccrochait à la mission que Mère lui avait légué comme ligne directrice. Sans ça, il serait probablement comme l’Ombre, une pâle copie désœuvrée de lui-même.
Avec appréhension, il vit Dinaïn modifier la structure du dernier Sanctionneur pendant qu’au même moment Vanea déposa ses lignes d’instruction. L’InfoVirus s’empara de ces nouvelles données. Son comportement devint anarchique.
Cela était insuffisant, le spectre se rapprochait toujours de Kayle. Vyrian se projeta dans ses pensées. Il fut choqué de l’intensité de la haine qu’il lui portait. Il l’accusait de tous ses malheurs. Vyrian ne pouvait lui en vouloir. Son peuple était effectivement responsable de ses souffrances.
Vyrian mit son amertume de côté envers les siens. Il vit le scalpel toujours présent dans les mains de l’Ombre, le sang des prisonniers de son peuple s’y trouvait toujours. Il répugnait ce qu’il s’apprêtait à faire, pourtant il ne pouvait laisser le jeune homme mourir. Il fouilla son encéphale, trouva les commandes motrices et s’en empara. Il força le jeune homme à se redresser, il tenta de lui résister. Il le rendit impuissant. Vyrian actionna un nouveau fil à sa marionnette, Kayle resserra son emprise sur le scalpel et porta le coup final.
Ecœuré par ses actes, Vyrian lui rendit le contrôle de son corps. Un cri strident s’échappa des lèvres du jeune homme.
— Non !
Vyrian n’était pas fier de ce qu’il venait d’accomplir. Peu à peu, il osa faire face à la réalité. Il rouvrit les yeux, mais ne parvint à calmer les tremblements qui lui parcouraient le corps.
Il observa les corps des Sanctionneurs se craqueler et disparaitre, le scalpel tinta sur le sol, Kayle se laissa choir, sa sœur se précipita à ses côtés.
Les sifflements de Saern prirent fin, tous émergèrent de transe. Nick fut le premier à réaliser.
— On a réussi !
Kayle le regarda belliqueux.
— Ils étaient affaiblis. Pas de raison de se réjouir. A présent le Capitaine connait nos capacités.
Tous le regardèrent avec étonnement. Leur surprise ne fut que plus grande lorsqu’ils entendirent claquer la gifle de Vanea. La joue rouge le jeune homme se tourna vers sa sœur dont la main était tout aussi chaude.
Sans lui laisser le temps de s’expliquer, elle le remit à sa place.
— Qui es-tu ? Le frère que j’ai connu ne se laisserait jamais abattre. Pas de cette manière. Jamais face à un ennemi agonisant. Où est le guerrier qui sommeille en toi ? Où est passée ta volonté de vaincre ?
Vyrian connaissait la réponse. Il l’attendit avec angoisse. Il fut tenté de consulter les pensées de l’Ombre dans le but d’écourter l’attente. Il s’abstint et fut surpris de la réponse.
— Je… Excuse-moi.
Vyrian regarda avec soulagement Kayle enlacer sa sœur.
— Excuse-moi, j’ai perdu de vue notre objectif, quand j’ai vu les corps, je suis comme devenu fou. J’ai perdu tout contrôle et une fois cette folie partie, je me suis sentie vide, si seul.
Pour la première fois, Vyrian réalisa ce qui le maintenait en vie lui et les siens. Bien plus que Télépathie, ils devaient leur survie à leurs engagements, leurs volontés, leurs espoirs. Il en allait de même ici. Vyrian avait déposséder Kayle de son objectif. Petit à petit le jeune homme se reconstruisait. En comparaison, les autres, lui apparaissait vigoureux, sains, non corrompu par l’échec et la rancœur.
Ce fut Saern qui brisa le silence.
— Dépêchons-nous de rejoindre les autres. J’ignore si les Sanctionneurs ont pris connaissances de notre plan même s’ils étaient affaiblis.
Vyrian vit Vanea hocher la tête, imité par son frère. Kayle tourna le regard dans la direction du scientifique.
— Et eux qu’en fait-on ?
Vyrian comprit qu’il incluait Nick et Dinaïn.
Saern lui répondit.
— On les emmène, ça serait dommage de se priver de leurs compétences.
Tout en disant cela, le résistant maintint son regard sur Vyrian. Vanea l’interrogea.
— Saern, cette voix dans ma tête s’était toi ?
— Non, moi aussi je l’ai perçu, comme vous tous je pense.
Vyrian accusa un nouveau regard interrogateur. Le scientifique se félicitait d’avoir activé un mode permettant de modifier sa voix afin qu’elle ne soit pas reconnaissable. Il ignorait combien de temps il pourrait garder l’anonymat. Il n’avait aucune envie de révéler ses capacités, ni à eux, encore moins aux Régisseurs.
Kayle ne détournait pas les yeux de Vyrian.
— Je ne te pardonne pas pour autant, tu restes un meurtrier. Un faux pas et ma lame saura te trouver.
Le scientifique ne se laissa pas intimider.
— Je compte sur toi. Lorsque j’estimerai outrepasser mes droits, je te le ferai savoir.
Vyrian ne pouvait se permettre de se faire un ennemi parmi ses alliés. De plus, ses nouvelles capacités étaient à la fois effrayantes et envoutantes. Il se devait de garder une ligne de conduite, cela lui serait d’autant plus facile maintenant qu’il se savait surveiller.
Sur cet accord, l’équipe quitta la salle de torture.
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