Chapitre 28 : Vérité
Lorsque Vyrian rouvrit les yeux, il découvrit des corps inertes. La poussière soulevée lors du crash les auréolait d’un nuage blanchâtre. Le contraste qu’offrait la lumière se diffusant dans les particules de poussière et les ruisseaux carmin déviés par les débris au sol était saisissant.
Vyrian regarda son sang s’ajouter à celui des résistants. Il s’y incorpora sans accroc. Peu importait les origines et les motivations personnelles, tout cela ne signifiait plus rien dans la mort. Il sourit avec amertume. Il s’était battu pour s’intégrer, à présent à l’agonie, son sang se mêlait bien mieux que lui aux résistants. Cette mission était un échec.
Une silhouette se découpa dans son champ de vision. Vyrian la laissa s’approcher. Qui que ce soit, il ne pourrait lui échapper. Empalé au tableau de bord, il était à la merci de premier venu.
A contrejour, il peinait à discerner le visage qui le fixait. L’angoisse le saisit.
— Qui êtes-vous ?
Sa voix bien qu’un murmure suffît à lui donner la migraine. Sa respiration se fit haletante, sa douleur d’autant plus grande. Son abdomen perforé, il sentait à chaque soulèvement de sa cage thoracique, le bris de verre lacérer ses entrailles et ajouter un peu plus de sang à la marre se formant à ses pieds.
La silhouette se détourna. L’avait-elle entendu ? Vyrian l’ignorait. Les paupières mi-closes sous l’effet de la douleur, il l’observa vérifier les corps. A plusieurs reprises, après avoir pris le poult, il laissa la main retomber, produisant des éclaboussures dans sa chute. Un mouvement de tête négatif attestait de la mort du résistant et un nouveau corps était examiné.
Au bout d’un certain temps, la silhouette finit par se rapprocher. Vyrian ne réussit toujours pas à l’identifier, sa vue sous l’effet de la douleur et des larmes était brouillée.
La peur et l’angoisse le rongeaient, son rythme cardiaque s’accrue tout comme sa respiration, sa douleur devint insoutenable et il se sentit perdre conscience.
Avant qu’il ne sombre complètement, la silhouette s’exprima d’une voix forte.
— Récupérez la boîte noire et les survivants avant que ce vaisseau finisse de se faire ensevelir sous la cendre.
Vyrian reconnue la voix, il se sentit soulagé et stupide. Soulagé puisque Rayec venait les secourir, stupide parce qu’il s’évanouissait par peur.
Lorsqu’il se réveilla, il retrouva le contact raiche des draps, le bip rassurant du moniteur. Ces mêmes stimuli qui l’avaient induit en erreur précédemment. Il ne se trouvait plus dans son monde mais bel et bien dans le Monde Numérique.
Avant que Mère ne le contacte, il trouvait la vie lasse, la mort ne le terrifiait pas, elle était une conséquence naturelle. Précoce dans leur cas. Ce n’était pas tant son décès qui l’inquiétait à l’époque mais la fin de son peuple. Le manque d’espoir.
A présent, sa tête fourmillait de désirs, de souhaits, de projets et la mort l’effrayait. Il n’avait jamais eu tant à perdre. Aussi dur que son quotidien puisse paraître, il avait repris goût à la vie, à ses frissons, ses risques.
Bien que rude, ce nouveau départ, lui avait offert une chance inespérée. Celle de se sentir de nouveau vivant. C’est cette chance qui le faisait à présent souffrir.
Plus que la douleur, c’était la promesse qu’il avait fait qui le tourmentait. Il leur avait promis la vérité s’il s’en sortait vivant.
Bien que cet accord le rendait malade, il espérait les retrouver. Malgré leurs différents, ils ne méritaient pas un tel sort, ils avaient déjà bien trop souffert.
Le cœur au bord des lèvres, Vyrian ouvrit les yeux, il se trouvait seul dans une pièce aux murs immaculés. Il se redressa lentement grognant sous l’effort fourni pour chaque centimètre gagné.
Il souleva sa tunique avec appréhension. Il découvrit sa peau intacte, n’en croyant pas ses yeux, il l’effleura du bout des doigts et rencontra de petites rugosités.
Surpris, il regarda de plus près son abdomen. La porte de la pièce s’ouvrit au même moment. Vyrian regarda Rayec s’avancer. Que lui dirait-il ? Oserait-il lui avouer le « décès » de Mère ? Sa corruption par les Régisseurs ?
L’Ombre approcha une chaise et s’assit à côté de lui.
— Kayle et Vanea m’ont raconté ce qu’il s’est passé. Je me doute que vous n’aviez pas pu honorer notre contrat. Peu importe, gardez ses données, instruisez-vous. A présent, vous être un des nôtres, tâchez de survivre.
— Non. Je… Je vous ai trompé.
— Par le passé peut être, les regrets ne vous rendront pas meilleurs.
— J’ai un service à vous demander. Pouvez-vous rassembler tout le monde, j’ai promis que si l’on s’en sortait, je répondrais aux questions.
La voix du scientifique s’éteignit sur la fin.
— Je peux faire ça, mais êtes-vous sûr qu’il s’agisse d’une bonne idée ?
— Bonne pour qui ? Pour moi ? Non surement pas, j’ai déjà suffisamment de mal à m’intégrer. Révéler ces informations ne fera que me discriminer un peu plus voire me haïr. Mais ce n’est pas le problème, nous avons une guerre à stopper, une résistance à remotiver, des liens à renforcer. Cela ne peut être fait sans vérité. Il est nécessaire que tout le monde sache de quoi il retourne.
— Vous prenez un gros risque, il se peut que ce ne soit pas les Régisseurs qui mettent fin à votre vie.
— En parlant de ça, que sont ces symboles que je sens sous mes doigts.
— Nous avons dû vous opérer, nous avons remplacés vos organes par des organes bioniques. Vous êtes à présent vulnérables aux BioVirus ainsi qu’aux TechnoVirus, sans parler des InfoVirus. Vous devez prendre ces cachets à vie pour supporter vos nouveaux organes.
Vyrian regarda le flacon de gélules que lui tendait Rayec. Tant de morts possibles et un objectif colossal. Vyrian avait toujours aimé les défis. Bien que celui-ci soit au-dessus du niveau de ceux qu’il se fixait généralement, il était bien déterminé à mettre un terme à cette guerre. Il n’avait aucune idée de la manière dont il s’y prendrait, mais il ferait tout ce qu’il pourrait.
Rayec se racla la gorge et le sortit de ses pensées.
— Je dois vous avouer quelque chose. Hormis, votre vaisseau, il n’y a aucun survivant.
— A combien s’élevait le nombre de résistants.
— Plusieurs centaines, pour moins d’une vingtaine de rescapés. Vous êtes devenus un symbole d’espoir. Vous avez tenu tête au Capitaine et en êtes sorti vivant.
— Ils se sont joués de nous. Nous sommes en vie, selon leur volonté.
— Qu’importe ! Vous êtes vivants, vous pourrez expliquer la technologie des Régisseurs à nos ingénieurs. Nous pleurerons nos morts et nous nous tournerons vers l’avenir.
— Les Régisseurs nous ont éjectés de la Faille, qu’est-ce qui vous fais dire, qu’ils ne viendront pas ce soir ?
— D’après ce que j’ai compris, ils ont un bien plus gros projet.
Vyrian replongea dans ses sombres pensées. Rayec tenta de l’en sortir sans grand succès.
— Je vais réunir tout le monde, préparez-vous.
— Non.
— Non ?
— Je ne tiens pas à faire bonne impression. Je veux apparaitre tel que je suis vraiment : faible. Votre peuple a besoin de voir que peu importe les origines, seuls nos actes définissent notre avenir. Je ne suis pas un guerrier, pourtant je me suis battu.
— Bien. Je vous apporte un fauteuil.
Rayec sortit de la pièce et revint quelques instants plus tard poussant un fauteuil roulant. Vyrian s’y installa avec difficulté. Rayec lui enseigna les instructions nécessaires pour diriger le fauteuil. Un capteur sur sa tempe récupérait ses ondes cérébrales et les communiquaient au fauteuil.
Vyrian fit un essai et manqua de percuter un mur.
— Moins vite ! Prenez le temps de décomposer vos mouvements.
La seconde tentative fut la bonne et Vyrian sortit de la pièce. Rayec stoppa sa progression.
— J’ai fait ce que vous m’aviez demandé. Suivez-moi.
Vyrian suivit en silence l’ancien chef des Ombres. Il fut conduit dans une salle au plafond plus haut, surement là d’où les vaisseaux avaient décollés.
Vyrian se retrouva face à des visages connus amochés, d’autres inconnus non moins abimés, les personnes ne présentant pas de blessures affichaient un air grave.
Rayec prit la parole.
— Par respect pour nos morts, faisons une minute de silence.
Un écran sorti du mur et tous purent voir le vaisseau finir de se faire engloutir sous la cendre. Tous baissèrent la tête en signe de respect et la relevèrent les yeux humides.
Vyrian put distinguer de par leur tenue des Ombres, des Calligraphes, des Innovateurs, des Matéria et même un Régisseur, Dinaïn. Le soldat comme tous ici respectait les résistants tombés au combat.
Le biologiste supposait qu’il devait être connu de la résistance, sa présence ne dérageait en rien. Yomi et Nick étaient également présents, les deux étrangers étaient acceptés, le deuil ralliait les cultures.
Rayec poursuivit son discours.
— A présent, j’aimerai vous présenter Vyrian, il aimerait nous faire quelques révélations.
Vyrian s’approcha, il se leva de son fauteuil sous les protestations de son propre corps et de Rayec. Il n’en tint pas compte. Sur ses deux jambes, il se servit du dossier de son fauteuil comme support. D’une voix rauque, il commença son discours.
— Aujourd’hui nous avons perdu une bataille mais pas la guerre.
Vyrian se sentit quelque peu coupable de s’inspirer d’un discours ayant déjà été utilisé dans son monde, mais qu’importe, il était le seul à en connaitre la référence. Il poursuivit.
— Nous pensions saisir une occasion de sauver les nôtres, mais cela s’est révélé être un piège. Je dis nôtres car peu importe le clan ou le monde, nous sommes tous concernés par cette guerre.
Vyrian appuya son regard tour à tour sur Yomi, Xam, Nick, Vanea, Dezaël, Dinaïn, Saern, Zaïk, Reanean, Ealdred, Kalya dont il avait juste entendu la voix mais qu’il reconnut sans mal grâce aux données de Mère ainsi que Xenaya dont il se remémorait vaguement le visage, accompagnée de Kedoran, son mentor et Joy.
— En parlant de mondes, cette guerre a dépassé les frontières du Monde Numérique. Les Régisseurs s’en sont déjà pris au Monde Mythique, les InfoVirus nommés Sanctionneurs dans le Monde Mythique ont tués et emprisonnés de jeunes villageois lors d’une cérémonie. J’ai tenté de les sauver lorsque j’accompagnais Kayle et Vanea dans leur mission mais en vain. C’est à ce moment-là que je compris qu’il s’agissait d’un piège. Comme vous, je n’avais rien vu venir. J’étais resté focalisé sur ma tâche, imperméable aux indices qui auraient pu m’alerter.
Les Régisseurs se sont montrés bien plus rusés et fourbes que je n’aurais pu m’y attendre, ils ont d’ailleurs sacrifié plusieurs des leurs dans cette tâche.
Vyrian fixa Zaïk sans le nommer. Le jeune homme se mordit les lèvres, non content qu’on lui rappelle l’abandon dont il venait d’être victime, Vyrian s’attarda ensuite sur Dinaïn puis Yomi.
— Yomi, ta sœur est toujours vivante, comme les autres mysticiens, elle tient tête aux Régisseurs. Je t’aiderai à la libérer, comme promis je t’enseignerai ce que je sais, il en va de même pour toi Nick.
Les deux jeunes gens hochèrent la tête satisfait.
— A présent je vous dois la vérité à tous. J’ai moi-même quelqu’un que je désire sauver, bien que le temps joue contre moi. Beaucoup d’entre vous la connaisse. Il s’agit de Mère.
Vyrian vit son auditoire commencer à s’agiter.
— S’il vous plait écoutez-moi jusqu’au bout, c’est déjà assez difficile de se confier.
Le calme revint.
— Bien. Comme Rayec, j’ai entretenu un lien privilégié avec Mère. Mais à la différence du clan des Ombres je ne lui ai donné aucune information, je n’ai pas non plus eu la capacité de voyager entre les mondes. En fait, c’est elle qui me fournissait des informations. Elle m’a appris l’existence de vos mondes, de la légende qui les lie. C’est justement à cause de la Légende de Numyrhis que Mère en est venue à me contacter avec une mission, vous sauver. Qu’importe le clan ou le monde. Je devais préserver vos existences des dangers de la légende. C’est d’ailleurs possible que les Régisseurs aient implantés des InfoVirus suite à la connaissance de l’existence du Monde Mythique.
Peu importe, nous ne pouvons pas revenir en arrière, cette légende met à mal l’équilibre entre les mondes. A présent, nous devons veiller à ce qu’une telle situation ne se reproduise pas et mettre un terme à cette guerre.
Rayec l’interrogea.
— Et que faites-vous des Exilés ?
— Je… Yomi, Dezaël, Dinaïn, Xenaya vous pouvez vous approcher.
Les jeunes gens s’approchèrent.
— Est-ce que vous pouvez montrer à tous le dos de votre main.
Ils s’exécutèrent. Une exclamation sortit du public.
— Moi aussi j’ai la même marque !
Vyrian se figea. C’était impossible, il devait y avoir six Exilés pour huit Ombres. Le scientifique vit Rayec lui lancer des coups d’œil inquiets. Pendant ce temps-là Ealdred rejoignit les autres et montra à tous son tatouage qui réagit avec celui des autres Exilés. Vyrian resta interdit. Ses informations se retrouvaient biaisées, il n’y avait non pas six Exilés mais sept ! Comme un tel oubli avait pu être commis ?
Voyant le scientifique plongé dans ses pensées et le public s’impatienter, Rayec prit le relai.
— Ces enfants ont reçu pour mission de démêler les secrets de Numyrhis, de comprendre comment nos trois mondes se retrouvaient liés. Il se peut que leurs découvertes, nous offrent de précieuses informations sur la manière de mettre fin à cette guerre.
Vyrian regarda le public s’enflammer aux paroles de Rayec. Il n’avait pas prévu que les événements se déroulent de cette manière. Yomi ne cessait de lui lancer des regards interrogateurs. Le biologiste aurait préféré leur en parler une fois tous réunis or il manquait Djima et Keen’an. Il souhaitait leur demander leurs opinions non les forcer.
Outre ce changement de programme, Vyrian n’avait pas réussi à aborder ses origines, une part de lui souhaiter le faire pour se libérer d’un poids, une autre partie de lui voulait garder ça secret par peur. Il l’avouerait au moins à ces enfants.
Rayec l’interpella, Vyrian saisi sa chance.
— Une dernière chose. N’oubliez pas, ce qui fait note force c’est notre diversité, ayez l’esprit ouvert, c’est notre meilleure chance pour vaincre les Régisseurs, c’est de cette manière que nous nous en sommes sortie vivants !
Comme un seul homme, la foule le leva le poing. Vyrian se laissa gagner par leur énergie et joignit le sien.
La foule se dissipa rapidement, Vyrian s’assit dans son fauteuil épuisé, seul restait Rayec, Nick, Yomi, Dinaïn et Dezaël, Xenaya et Ealdred étaient retournés à leurs occupations.
Vyrian songea qu’il devait les souder dans un premier temps, s’ils se lançaient effectivement dans la résolution de Numyrhis, ils devraient le faire ensemble.
Rayec s’adressa aux Exilés restants.
— Je vous l’emprunte.
Sur ces mots, il poussa Vyrian à l’écart. Le biologiste, le regarda intriguer. Rayec sortit d’une des poches intérieures de sa veste un vieux livre relié en cuir rouge. Avant de s’exprimer.
— Il existe pleins de raisons de vouloir résoudre cette Légende, la curiosité dans un premier temps, le désir d’obtenir de nouvelles connaissances. Dans mon cas, il s’agit d’un héritage. A mon tour, je vous le lègue, vous êtes le plus à même de comprendre ces notes. Je vous demanderai juste de me tenir informer de votre progression.
Sa requête à peine formulée, Rayec ramena Vyrian devant les Exilés ne lui laissant pas le temps de s’interroger.
Face à ces jeunes adultes, pour la première fois, Vyrian comprit l’importance de sa mission. Stopper la guerre était une chose, changer les mentalités en était une autre.
Fatigué, il leur promit de se retrouver le lendemain. Il espérait qu’un peu de repos lui permettrait de mettre au clair l’incohérence qu’il venait de découvrir. Il espérait qu’il s’agisse d’une exception. Depuis cette découverte, il commençait à remettre en question les données de Mère.
Les résultats de sa recherche lancée dans son historique lui parvinrent. Il trouva un dossier portant le nom du Capitaine. L’excitation le gagna, il allait peut-être apprendre des informations intéressantes sur son compte. Il détenait peut-être une chance de remporter la guerre.
Il se dépêcha de rentrer dans sa chambre consulter le dossier.
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