LA MARMITE
Debout immobile, devant sa cuisinière, Antoine observait la marmite. L'eau bouillante commençait à s'agiter, formant de petites vagues qui se heurtaient doucement aux parois métalliques. Il y avait quelque chose d'hypnotique dans ce mouvement chaotique. Quelque chose qui résonnait étrangement avec le tumulte de ses pensées emmellées.
Le frémissement de l'eau, comme un grondement sourd faisait écho au murmure intérieur de son âme agité. Les bulles qui éclataient à la surface, étaient comme autant d'idées qui jaillissaient dans sa tête. Trop nombreuses. Trop rapides. Furieuses et incontrôlables. La marmite allait bientôt déborder, son cerveau était sur le point d'exploser. Des sentiments qu'il ne pouvait plus contenir l'empêchaient d'y voir clair.
Il y avait de la colère, oui, une chaleur intense qui montait du plus profond de lui-même ; mais il y avait aussi de la peur. Une froideur givrée qui le saisissait, le paralysait... comme figé dans la glace... et au milieu de ce chaos indescriptible... une tristesse irrépressible. Une brume épaisse qui s'élevait. Lentement. Enveloppant la petite cuisine de son voile humide et lourd.
Le débordement de l'eau n'était plus seulement physique. C'était une métaphore de son état psychologique. Un reflet métaphysique de son esprit en ébullition. Il savait qu'il devait réagir. Eteindre le feu. Retirer la marmite... mais il restait là. Fasciné par la beauté destructrice du mouvement de l'eau...
Peut-être était-ce là le véritable défi : trouver la force de sortir de ce brouillard, cet état quasi hypnotique. Reprendre le contrôle avant que tout ne soit inondé... avant que le flot de ses émotions ne noit tout sur son passage !
Antoine se tenait là. Immobile. Silencieux. Impassible. En apparence, du moins, car à l'intérieur, son squelette se contorsionnait. Plié, en deux ! A genoux. A l'intérieur, comme par un dédoublement de sa personnalité, son âme hurlait de douleur !... Un homme tourmenté. Perdu dans la tempête intérieure de son coeur troublé. La marmite débordante était un cri terrible. Un appel à l’action qu’il ne pouvait ignorer.
Il fallait qu’il se ressaisisse, qu’il reprenne le contrôle. Sa vie lui échappait...
La chaleur de la colère, le frisson de la peur, le voile de la tristesse, tout cela formait un tourbillon insupportable qui menaçait de le submerger.. Il allait couler, bientôt chavirer. Comme un bateau dont la coque se serait fendu. Il allait se retrouver... au fond de l'eau !!
Il ferma les yeux, et se concentra un instant sur sa respiration. Puis, il compta mentalement jusqu'à 10. Lorsqu’il rouvrit les yeux, la marmite avait disparu. La cuisine avait disparu et il se réveilla, en sueur et en sursaut dans son lit. C'était juste un cauchemar !
Il se dirigea vers le salon, où un vieux piano à queue l’attendait. Ses doigts trouvèrent les touches avec hésitation, puis avec une assurance croissante. La musique commença à couler, d’abord comme le murmure d'un ruisseau tranquile. Puis comme un torrent tumultueux. Passionné. Rien ne ne pouvait l'arrêter. Chaque note était une parole, chaque pause, une respiration et chaque accord,une parcelle de son âme. La musique remplissait la pièce, chassant le silence et chassant les ombres.
Au fur et à mesure qu’il jouait, Antoine sentait les murs de sa prison intérieure s’effriter. La musique était son évasion, son moyen d'expression. Et tandis que la dernière note résonnait dans l’air, il sut qu’il avait franchi une étape. Il n’était pas encore libre, mais il avait trouvé un chemin à travers le brouillard, un chemin pavé - où la mélodie et l'harmonie remplacaient les briques et le ciment.
C'était écrit. Ecrit dans les notes de musique qui flotaient dans l'air.
La nuit était avancée lorsque Antoine s’arrêta de jouer. Il se leva, enfin relaxé.
Le chemin serait long, il le savait, mais il avait appris quelque chose d’essentiel. Il avait appris qu’il pouvait canaliser le chaos, le transformer en quelque chose de beau. Il avait appris qu’il n’était pas seul, que la musique serait sa meilleure alliée dans les moments les plus sombres.
Et avec cette pensée, Antoine éteignit les lumières et monta se coucher, sachant que demain serait un autre jour. Un jour de lutte, mais aussi un jour de musique et d’espoir.
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