Alex était assis au sol, dos à la paroi de métal. Depuis combien de temps était-il là ? Il ne saurait le dire. Il se souvenait très vaguement de son enfance à gambader dans les champs. De ses parents qui le regardaient grandir avec fierté. De ses amis.

Et puis cette journée atroce où ilavait été brutalement arraché à tout ce qu’il connaissait. Aux coups qu’il avait reçus. Au voyage dans une cale en bois scellée, entassés les uns sur les autres. Il ne pouvait pas voir l'extérieur, il ne pouvait pas bouger.

Ce voyage avait été une torture pure. Il avait vu mourir son voisin sous ses yeux, broyé par la masse, dans l’indifférence la plus totale.

Et puis il avait été jeté sans ménagement dans cette cuve en métal.

Au début ils étaient une trentaine serrés les uns aux autres, puis peu à peu, certains étaient choisis et sortis de la cuve. Alex n’en avait jamais vu revenir un seul ensuite.

Appuyé contre son lui, Sally semblait s’être endormie. Elle respirait paisiblement. Elle avait fait partie du premier chargement qui était arrivé avec Alex dans la cuve. Le destin les avait rapprochés. Ils s’étaient promis de ne plus se quitter… Autant que possible.

Sally a fait un mouvement et s’est réveillée.

— Bien dormi ? lui a ironiquement lancé Alex.

Il connaissait déjà la réponse, cet endroit était devenu leur quotidien, mais ce n’est pas pour autant qu’il était plus rassurant.

— J’ai fait un rêve... a-t-elle murmuré. J’ai rêvé que je rentrais à la maison…que ma petite sœur m’attendait. Elle avait tellement grandi. Elle me souriait et m’accueillait en dansant.

Le cœur d’Alex s’est serré. Lui aussi voulait tellement rentrer. Mais, même s’ils s’évadaient de cette cuve, où pourrait-il aller ? Il ne savait même pas par où était sa maison.

— Raconte-moi encore une histoire ! l’a supplié Sally.

Alex a soupiré. Depuis qu’ils étaient là, ils meublaient leur quotidien incertain en se narrant mutuellement leur vie d’avant.

Alors qu’Alex racontait pour la énième fois les parties de cache-cache avec ses frères, une violente secousse a ébranlé la cuve.

Sally s’est retrouvée projetée à l'opposé.

— Sally !

Mais la secousse n’était pas finie. Un deuxième tremblement a agité les parois de métal.

— Alex !

La trappe au-dessus d’eux s’est ouverte et deux bras métalliques ont surgit. Sally et Alex savaient très bien ce qui allait se passer ensuite. Les bras allaient saisir quelqu’un, il serait emporté par la trappe et ne reviendrait plus jamais.
Les bras se sont dangereusement rapprochés d’Alex. Celui-ci tentait de s'échapper, de se glisser entre les pinces argentées qui voulaient l’attraper. Mais c’était peine perdue.

Les mâchoires l’ont saisi au milieu du corps et l’ont soulevé de terre.

— Aleeeeeex ! hurlait Sally en contrebas.

Alex, muet de terreur, scrutait la lumière éblouissante de l'extérieur. Qu’allait-il lui arriver ?

Il discernait vaguement une large étendue d’un liquide sombre et brûlant. La chaleur montait vers lui, l’étouffait.

Peu à peu, avec une lenteur horrifique, le bras se rapprochait du liquide. Et lorsqu’Alex se trouvait juste dessus, les mâchoires l’ont brutalement lâchées.

Plouf

Le café a recouvert le petit cube de sucre qui s’est mis à fondre, dans l’indifférence la plus totale du propriétaire de la tasse, un père de famille au regard encore endormi qui tentait de se réveiller...