Sacha

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Ma première connexion fut un choc. Un choc puissant, à la fois terrible et magnifique.

Je me sentais perdu, désorienté et menacé. Mais j'étais aussi émerveillé, séduit et empli d'une joie folle.

Ivre de toutes ces sensations qui me submergeaient alors.

Tout semblait si réel…

Des souvenirs avaient refait surface. Lorsqu’enfant je franchissais, pour la toute première fois, la barrière au fond du jardin de mes grands-parents et pénétrais le bois voisin. Le même sentiment de liberté, la même fascination mêlée d'appréhension et de craintes fantasmées.

D'ailleurs, les gestes que j'avais fait à l'époque me sont naturellement revenus.

J'ai pris une grande inspiration pour humer les nombreux parfums m'entourant, écarté les bras pour ressentir les mouvements de l'air. puis j'ai tourné sur moi-même, pour embrasser la totalité du paysage… Enfin, je me suis laissé tomber sur le sol humide, fermant les yeux pour laisser chaque son me pénétrer, profiter de l’instant.

Je crois bien avoir pleuré.

J'étais passé d'un enfer peuplé d'images chaotiques au blanc immaculé des Limbes. Un espace de transition avant de pouvoir ouvrir les yeux sur ce nouveau monde et contempler le vallon verdoyant, les cimes enneigées et la vie grouillante autour de moi.

Une renaissance.

« Résurrection » avait été le mot choisi par le Gardien des Limbes. Je trouvais ce mot exagéré… Tout comme le pseudonyme pompeux que le scientifique qui était présent à mon réveil s’était donné. Je me trouvais dans un espace blanc comme neige servant, en quelque sorte, de salle d'attente avant le saut vers Agartha. Il avait alors essayé de m'expliquer tout cela et m'avait parlé d'analyse de mon profil, d'attribution de compétences… Je n'en saisissais pas un mot. Pas plus que la raison de ma présence dans cet étrange environnement. Je voyais bien qu'il faisait des efforts, essayait d'employer des mots simples comme pour parler à un enfant et prenait sur lui.

Mais je sentais aussi qu'il tournait autour du sujet principal, se raccrochait à ce qu'il avait l'habitude de faire, hésitait, bafouillait…

« Qu'est-ce que je fais ici ? »

Ma question l'avait désarçonné. Il me regarda sans mot dire. Ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois.

« J'ai entendu parler de votre jeu. Je n'ai pas de kit. La dernière chose dont je me souviens, c'est une soirée chez des amis avec ma fiancée. Quelqu'un me le fait essayer à mon insu, c'est ça ? »

À nouveau, il hésita et commença à bafouiller quelque chose avant de se reprendre. Il inspira profondément et me regarda dans les yeux.

« Vous avez eu un accident. Vous êtes dans le coma depuis quatre ans avec peu d'espoir de réveil. Nous venons vous proposer une nouvelle vie dans l'univers virtuel d'Agartha. »

Des milliers de questions me sont alors venues. Il y a répondu. Une par une. Froidement… Ou… Disons plutôt avec un détachement mesuré. La soirée trop arrosée, le mauvais temps… Et Johanna. Ma petite amie enceinte de quelques semaines, avec qui nous avions décidé de nous marier. Pourquoi avais-je conduit ? À cette question, il ne put me répondre.

Elle était morte sur le coup.

Il me fallut des jours passés dans l'espace immaculé des Limbes pour digérer toutes ces informations, pleurer, culpabiliser sans cesse et prendre ma décision. Chaque jour Florent, le « Gardien » venait me voir et répondait à mes questions. Il m'apportait diverses choses, toutes virtuelles, pour m'occuper et m'aider à réfléchir : livres, documentation, films,… Il m'avait aménagé une zone de confort, une sorte de chambre, un monde miniature au sein même de cet univers blanc.

J'étais un sujet d'étude pour lui et son entreprise. Un test. Mes parents avaient consenti à cette expérimentation dans l'espoir de pouvoir me revoir sur Agartha. C'est cette idée, répétée chaque jour par Florent, qui orienta mon choix. J'avais le sentiment de ne pas avoir le droit à cette nouvelle vie, que je méritais les tourments du coma pour ce que j'avais fait… Mais je songeais à mes parents et à l'espoir qu'ils entretenaient, nourri par la promesse de rencontres virtuelles.

Je finis donc par accepter de rejoindre le monde d'Agartha.

Le saut ne se fit pas tout de suite. J’eus d’abord le droit à divers entraînements et cours donnés par Florent et ses collègues. J'avais l'impression de me retrouver dans un film de science-fiction, le décor des Limbes évoluant en fonction des besoins et générant diverses créatures et objets. Cela dura des mois. Des mois à emmagasiner des connaissances qui me semblaient alors tellement abstraites. Des mois à mémoriser des noms de lieux, de personnages, d’espèces animales ou végétales. Des mois pour apprendre à survivre dans un environnement hostile, à chasser, à me battre, à utiliser la magie. Des mois sans dormir, puisque dans cette réalité virtuelle je n’en avais pas besoin. Des mois pour qu'ils me jugent enfin prêt à rejoindre mon nouveau monde.

Au bout de ces longs mois, j’eus enfin le droit de quitter les limbes pour les terres d’Agartha. Pour un lopin de terres niché dans un vallon des monts de Cendre. Un endroit isolé, pour un être à part. Un havre de paix.

Je m’éveillai alors dans une modeste cabane de bois et mis du temps à réaliser où je me trouvais. Je me levai avec difficulté et me dirigeai en titubant vers la porte. Ma main tremblait lorsque j’ouvris cette dernière.

À l’extérieur l’air était frais. Je fis quelques pas sur le seuil pour embrasser l’immensité du paysage qui m’entourait… Et je pleurai.

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