3.
C'est alors que lui vint la révélation ! Et le mystère qu'il n'avait su percer à jour cet après-midi là, la nuit lui en apporta la clef...
Lorsqu'il était enfant - eh oui ! Pécouï avait été enfant lui aussi comme tout le monde - Pécouï fréquentait la petite école de Souliers. A l'époque, il y a de cela bien longtemps, il passait pour un élève modèle et c'était toujours lui que la maîtresse interrogeait quand elle recevait la visite inopinée de M. l'inspecteur d'académie.
Tous les soirs, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, sa mère, une femme avec le coeur sur la main, l'attendait à la sortie de l'école, et, après qu'il l'avait embrassée, elle lui tendait une pomme pour son goûter.
Dans ses jeunes années, Pécouï avait adoré cette pomme qu'il lui fallait, chaque soir, conquérir à la force d'un baiser...
Et puis les années passèrent.
Pécouï grandit et devint plus fier. Ses résultats scolaires commencèrent de baisser puis ne tardèrent pas à devenir désastreux et bientôt il cessa de s'en préoccuper, préférant aux bons points de la maîtresse les mauvais poings de quelques camarades belliqueux. C'est dans ces années-là d'ailleurs qu'il adopta son trop fameux "caractère de cochon" et bien des écoliers, pacifistes ou non-violents, se souviennent encore aujourd'hui d'en avoir fait les frais.
Malgré cela, sa mère était restée fidèle au poste... Tous les soirs, avec la patience d'une sainte, elle attendait son enfant à la sortie de l'école et lui apportait sa pomme. Pécouï n'y pouvait rien. Sa mère avait gardé de lui l'image du fils prodige qu'il lui fallait choyer. Elle ne l'avait pas vu grandir.
Ainsi, chaque soir après l'école, il était la risée de tous ses camarades.
- Le bébé à sa maman, lui lançaient-ils en éclatant de rire, viens manger sa "popom", viens...
Et comme chacun était attendu par un parent, un frère ou un voisin, Pécouï ne pouvait leur administrer la correction qu'ils méritaient. Il remettait donc cela au lendemain et s'en prenait à sa mère. Lorsqu'elle lui tendait la pomme, qu'il avait pourtant cessé de réclamer depuis longtemps, il arrachait la tige, jetait le fruit et, par bravade, mangeait le "pécouï"...
Depuis ce temps-là, tout le monde, à Souliers d'abord puis dans tout le pays, l'avait appelé "Pécouï". Pécouï, naturellement, n'avait guère apprécié mais il avait bien dû s'y résigner. Avec le temps, il s'y habitua... Tant et si bien d'ailleurs que, quelques années plus tard, il avait oublié l'histoire de "Pécouï", sa propre histoire !
N'était donc resté que le sobriquet; et le sobriquet avait pris la place du nom, si évidemment que Pécouï lui-même le revendiquait aujourd'hui, comme il aurait revendiqué, avec fierté, la seule trace encore vivace qui eût attesté de son appartenance à l'histoire du village.
Mais, dans l'histoire, l'histoire avait perdu une partie de son histoire. Et il avait fallu attendre qu'un enfant s'en aperçût...
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