Chapitre 4
- Je n’ai pas de parure, comme la dernière fois ?
- Non. Quand tu portais le collier de diamants, c’était pour la comtesse Mantone.
- Je m’en souviens… il m’allait bien.
- Et ça lui va définitivement bien… sur la toile. Son cou est devenu si gras qu’elle ne peut plus porter ses propres bijoux, éclate-t-il dans un rire tonitruant.
Puis il continue à s’affairer autour de moi, plaçant ses couleurs et son matériel au plus près du tableau. Une agitation frénétique qui n’éloigne pas pour autant mes interrogations.
- Alors, que vais-je devoir faire pour toi ? Prier ?
- Non. Ce sera même l’inverse : on priera pour toi. Mais je peindrai aujourd’hui ton cou comme tes mains.
- Mais… sans aucun atour ?
- Non, aucun.
- Et où sont les sandales ?
- Cette simple robe te suffira. Tu seras pieds nus, continue-t-il en positionnant comme dernier éléments de décor une bassine d’étain au pied du lit.
Je m’y précipite alors pour m’y rincer les pieds, noircis de poussière.
- Non, non. Je te laverai les pieds moi-même, dit-il en écartant le récipient. Je le ferai après la séance.
- Comment ça ?
- Je veux peindre tes pieds tels qu’ils sont.
- Crasseux ? Noirs de tes fusains ?
- C’est cela.
- Mais que dois-je faire alors ? Incarner la passion ? La piété ?
- Non, pas cette fois. Là, je te représente de face, et dans toute ton entièreté !
Entièrement ? Serait-ce un portrait ? De moi-même ? Impossible. Mais de qui alors ? Qui pour se revêtir de cette robe incandescente, sans autre effet ? Pour qui vais-je paraître ? À qui vais-je céder mon corps ?
- Mais… quelle doit être ma pose ? Mon rôle ?
- Il est simple… et va te révéler telle que tu es. Je vais te peindre allongée.
- Allongée ? Sur ce… lit de fortune ?
- C’est exact.
- Comme une…
Les larmes montent en moi. Finalement, il est comme les autres. Comme tous les autres. Il s’est servi de moi, de mon corps pour assouvir ses fins. Il ne me voit pas autrement que tous ces porcs. Je suis femme de mauvaise vertu et le resterai aux yeux de tous, hommes d’Église, notables, gueux et même aux yeux de ce peintre qui, au fond, n’est qu’un homme. Un homme qui me voit telle que je suis : une…
- Une sainte, poursuit-il.
- Pardon ?
- Tu seras la Sainte. La Vierge Marie.
- La… Vierge ? Sainte-Marie ?
- Oui. Regarde, ajoute-t-il en me dévoilant le gigantesque tableau inachevé.
Devant moi, s’ouvre une scène sombre : un lit, encore inachevé sur la toile, surplombé par un drapé rouge, identique à celui de l’atelier, concentre tous les regards, toutes les attentions. Des hommes, couverts d’ombre et de tristesse, cernent le lit devant lequel une femme, recroquevillée sur elle-même, prie. Je reconnais là la tresse dans mes cheveux, la robe ocre qu’il m’a fait porter et la prière que j’ai longtemps tenue ce jour.
- Pourquoi prient-ils à mes côtés ? Qu’est-ce qui les accable tant ?
- Ta mort, conclut-il en finissant d’installer ses dernières bougies.
- Ma mort ? C’est impossible. Je suis déjà représentée, recroquevillée, là, ici, en robe, implorant le seigneur.
- C’est vrai, mais qui te reconnaîtrait ? Je ne vois qu’une femme, tête baissée, le visage bas, méconnaissable. Je ne vois que Marie-Madeleine.
- Marie-Madeleine ? Mais… je serais deux fois sur la peinture ?
- Oui : hier, tu étais Marie-Madeleine, accablée par la mort de celle que tu vas incarner aujourd’hui, la vierge Marie. Maintenant allonge toi, tu veux.
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