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Sibyl coupa le moteur. Tout en débranchant le téléphone de l’allume-cigare, elle avisa l’endroit incongru où le GPS l’avait conduite : sur un coin de falaise abrupte, à l’écart de Ceslieux, bien au-delà des berges Ouest et leurs hangars croulants. Un drôle d’endroit pour un rendez-vous.

À deux ou trois cent mètres dans la pénombre crépusculaire, elle devinait les contours tassés d’un édifice. Un blockhaus. Elle avait pourtant bien renseigné l’adresse, à la lettre près. Qu’était-ce donc que ce traquenard ? L’avait-on traînée sans l’avertir à l’une de ces fêtes underground ? Une rave party ou une connerie de camés ? Peut-être pire. Une orgie à l’hygiène douteuse ?

Réprimant l’angoisse qui lui secouait la jambe, Sibyl sortit néanmoins du véhicule. Elle avait bel air, au milieu de la cambrousse, moulée dans les sequins dorés de sa robe de soirée. Un frisson s'empara d’elle.

Appuyée au capot de son pick-up, elle troqua ses Vans contre des escarpins rutilants. À peine un pas plus loin, son talon s’enfonçait piteusement dans une abjecte bouillasse.

— Putain, enragea-t-elle. Fait chier ! Putain de date de merde, putain de bourbier à la con… Tu parles d’une soirée de chiotte !

Elle songea à revenir sur ses pas, à remonter dans sa caisse et à changer ses plans avant que d’autres mésaventures ne l’empêtrent. Mais la fille avait l’air réglo et, surtout, la fille était jolie. De toute façon, souillé pour souillé, au moins le talon ne l’avait pas lâchée.

Elle s’aventura un peu plus en avant dans la fange, moins spongieuse qu’escompté. Bientôt, elle comprit quelle erreur fatale l’avait précipitée dans la gadoue : elle s’était garée à quelques cent mètres du parking, qui lui était sec.

À mesure que Sibyl avançait, quelques notes de musique lui parvinrent aux oreilles. De la bossa nova. Définitivement pas ce qu’on s’attendait à écouter dans ce repaire de toxicos.

Bien, elle apercevait la porte, mais une question la taraudait. Pourquoi l’avoir conviée à minuit, si la fête battait son plein depuis plusieurs heures sans doute ?

Elle s’arrêta, hésitante. Rentrer dans le fort se mêler à la foule, ou fuir tant que la robe de chez Vogue était encore intacte ? Une fois qu’on lui aurait gerbé dessus ou qu’elle se serait ramassée dans la tourbe, il ne serait plus temps de prendre la poudre d’escampette. Alors quoi ?

— Quand faut y aller…

Elle esquissa un pas vaillant en direction de la casemate. Au même instant, une joyeuse foule de noctambules en jaillit comme un essaim au son des cordes pincées. Portées à bouts de bras, les flammes de lanternes dansaient sous la voûte étoilée. Qui aurait cru que ce nid glauque abriterait une nuée de lucioles, toutes vêtues de taffetas ?

Sibyl se figea. Le nez en l’air, elle suivit le ballet des lampions relâchés, libre de s’envoler à l’assaut des cieux. Et tandis que leur feu ondulant se mêlait aux étoiles, le dos d’une main apposa sa chaleur tout contre la sienne.

— Julia ? hasarda-t-elle sans détourner les yeux du panorama éphémère.

Déjà les astres d’un instant se noyaient dans le firmament, happés par l’obscurité.

— Le spectacle te plaît ?

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