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Cric, crac, grinçait le plancher sous ses pieds. Constance caressa du bout des doigts le buffet marbré où trônaient deux chandeliers. Puis, machinalement, elle épongea sa sueur d’un coup de plaid, de peur d’y laisser des empreintes.

Un sourire ironique fleurit à ses lèvres. Qui passerait donc les relever ?

« Et puis quoi encore ? On n’est pas dans une série américaine ! Pfff… Qu’ils passent la chambre au peigne fin… on pourrait me retrouver grâce à un poil de chatte… »

Un rire emplit ses joues, qu’elle contint d’une morsure.

C’est cependant sous l’épaisse couverture, enfilée comme une moufle, que ses doigts tirèrent la poignée sculptée d’un tiroir. L’argenterie, soigneusement ordonnée : pas une fourchette qui flanche, ni un couteau de travers. Elle referma le meuble. Pas à pas, un coup d’œil après l’autre, elle sonda chaque placard, chaque recoin et la moindre cachette de la somptueuse villa. Les étagères recelaient d’appareils onéreux et de bibelots précieux. Tout à l’inverse de sa piaule encombrée, le luxe semblait ici imposer son étrange parcimonie.

Elle l’avait déjà remarqué, jadis, dans les demeures cossues où sa mère faisait le ménage. À l’époque, elle insistait pour l’y accompagner. D’abord, elle avait cherché des prétextes pour ne pas suivre Denise chez la nounou. Puis cela n’avait plus été nécessaire : Constance savait se tenir, elle pouvait demeurer assise sur le canapé sans broncher pendant plus d’une heure devant les dessins-animés. Du moins, c’est ce qu’imaginait la femme de ménage, heureuse d’économiser les frais de gardiennage. Jamais elle n’aurait songé que, tout ce temps, sa fille n’avait d’yeux que pour les lustres, les vases et les peintures murales. Constance affirmait son goût en silence. Un jour, rêvassait-elle, elle aurait à son tour ce genre de grande maison sobrement meublée où chaque petit objet, pile poil à la bonne place, transpire la classe.

Pour l’heure, elle jouissait sans modération de l’intérieur maniéré de sa jolie conquête, soufflait d’admiration en découvrant un magnifique secrétaire absolument vide, sans paperasse ni lectures. D’ailleurs, les livres encore neufs de l’imposante bibliothèque n’avaient visiblement jamais été feuilletés. Ils étaient comme ces verres de cristal alignés dans le vaisselier ; comme l'enfilade des chaussures vernies, lustrées, soyeuses, dans le dressing trop vaste qui, lui, paraissait nu ; comme la collection sélective et raffinée des eaux de parfum dont les flacons, de vrais bijoux sculptés, ornaient la coiffeuse au miroir éclairé : de pures décorations.

À quoi donc s’occupait l’habitante d’une telle maison de poupée ?

Cric, crac. Nouveau pas de danse ; nouveau couvercle soulevé. Celui d’une boîte à bijoux. Rodée à l’exercice, Constance enraya d’une pincée le mouvement de la ballerine avant que sa musique ne tinte. Un pivot contraire, sens anti-horaire, et voilà la belle alarme prestement arrachée. Dans l’écrin désormais muet s’étalaient l’argent, les pierres fines, l’or, même le platine.

La jeune femme débala les colliers, enfila les parures. De chair et de doré, elle se mira avec un plaisir démesuré. Elle mit de côté ses bijoux préférés et, pattes de velours dans la chambre traversée, elle regagna le dressing à la hâte, munie de son sac à main. La grande poche se trouvait ridiculement vide, taillée pour accueillir un trésor dérobé. La ballerine également.

Cric, crac. Elle revint sur ses pas. Un couvert d’argent et une statuette cristalline rejoignirent le butin. Elle ne prospectait plus, à présent ; elle s’amusait. Tout ce qui lui tombait sous la main devenait susceptible de titiller sa convoitise. Une étole de soie, un titre de la Pléiade à la reliure pompeuse, une petite fiole d’alcool qu’on aurait cru contenir les sels d’une princesse.

Cric, crac. Sous la caresse de l’aube, le masque de la voleuse se craquelait.

Regagnant la chambre pour y glaner ses vêtements avant de filer en douce, elle trouva le corps alangui de la somptueuse Lucie. Sa beauté la figea.

Dilemme. Aussi rapide que d’ordinaire, Constance dressa brièvement l’inventaire de sa récolte. Tout bien considéré, elle n’emportait rien de bien extravagant. Le coup du siècle ? Non, pas encore. Pour que le triomphe soit tout à fait éclatant, il lui fallait encore extorquer à cette déesse le plus suave des orgasmes. Elle voulait la voir convulser, quémander, la couvrir de lauriers ; la tenir, marionnette, du bout de ses doigts experts ; la couvrir d’un plaisir dont elle aurait trop honte, plus tard, pour seulement songer à demander réparation.

Là, seulement, son délit la comblerait.

Abandonnant son sac à l’entrée de la pièce, Constance se pencha sur le lit, souleva le baldaquin et apposa ses lèvres tendres sur la tempe chaude de son hôte. Lucie remua. Sans lui laisser le temps de s’éveiller pour de bon, la flibustière l’enfourcha.

« Juste une dernière fois avant de prendre le large… »

Elle embrassa son cou de nacre, sculpta ses seins au gravelet de ses ongles, polit d’un tour de langue la perle qui blanchissait sous le rose froissé de ses jupons charnels. Lascive, la belle Lucie se laissa soustraire un premier gémissement.

Criiiiiic.

Un tour de clef.

CRAC.

La porte d’entrée claqua.

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