Une jolie bibliothèque...

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La petite Marion descendit de sa voiture en sautant dans une flaque d’eau. Elle ne reçut aucune goutte, ses bottes jaunes la protégeaient. Ses bottes jaunes, elle les adorait. Elle les avait eues à son 6ème anniversaire, il y a trois jours. Elle trouvait qu’elles allaient bien avec ses cheveux blonds « comme le soleil ». C’était sa phrase préféré. Chaque fois qu’elle voyait quelque chose de jaune, elle ajoutait « comme le soleil ». C’était une petite fille ravissante qui était toujours de bonne humeur. Elle aida ses parents à décharger les valises et à les emmener dans leur maison de vacances. A chaque grande vacance ils se rendaient à Menton où les attendait leur petite bibliothèque. Marion était si contente qu’elle faisait tomber les valises sans le faire exprès. Ses parents la missionnèrent alors de faire sortir Tarzan, leur labrador noir qui frémissait d’impatience lui aussi, comme la petite fille.

Elle fit visiter toute la maison au chiot qui venait ici pour la première fois. Elle commença la visite par la grande cuisine qui sentait les épices et les bons repas qu’on y préparerait, le salon aux vieux canapés confortables, la salle de bain aux carreaux colorés qu’elle adorait, les chambres et leurs papiers peints fleuris, le petit jardin rempli de roses rouges, roses ou blanches. Et enfin, elle lui montra la dernière pièce, sa préférée : la bibliothèque. Elle se trouvait au fond de la maison, près de la chambre qu’occupait toujours Marion. La bibliothèque, avant d’être à son père, était à ses grands-parents qui y avaient accumulés et collectionné toute sortes de livres au fil des années. Toute émoustillée et excitée, elle lâcha la laisse et se précipita vers ses livres. La bibliothèque de Menton était le seul endroit où elle pouvait sentir le passé des livres rien qu’en les humant. C’était sûrement parce que les livres entreposés dans la bibliothèque étaient là depuis longtemps, ils avaient déjà eu une vie avant la bibliothèque. Ils passaient de boutiques en brocantes, de mains en mains et vivaient plusieurs aventures avant de terminer leur vie ici, dans la bibliothèque tranquille où l’on pouvait trouver tous les livres du monde. Du moins, c’est ce que pensait la petite Marion. C’était une grande pièce ancienne, qui sentait les vieux livres, Marion adorait ça. Les hauts murs étaient tous entièrement recouverts de livres, de haut en bas, de gauche à droite. Le sol, lui, était recouvert de tapis épais et au milieu, se dressaient des canapés en velours recouverts de coussins moelleux et d’un plaid tricoté par sa grand-mère dans lequel Marion aimait se blottir en repensant aux souvenirs heureux qu’elle avait conservée de sa grand-mère. Marion ne savait jamais par où commencer. Elle ne savait jamais quel livre choisir, il y avait bien trop de livres qui attendaient tous d’être choisis tel un chiot dans une vitrine d’animalerie.

Elle se dressa sur la pointe des pieds et attrapa un livre au hasard : Une rose pour madame Blake. Elle l’ouvrit à une page au hasard et ferma les yeux. Elle mit son petit nez rougi à un centimètre du papier jauni et renifla. Une longue inspiration pour capter toutes les odeurs. Elle adorait plus que tout sentir les livres de sa bibliothèque car c’était là que se manifestait quelque chose qu’elle n’avait jamais révélé à personne. Elle gardait ce secret depuis toujours et le dévoilait à un Tarzan intrigué. Elle s’appliqua à sentir tous les parfums de la page 37 du livre.

Elle sentit le parfum d’une femme d’une trentaine d’année aux bottines hautes, aux lunettes noires et au manteau cintré feuilleter le livre. Elle était dans un bar et sentait le café. Elle tourna les pages d’une main habile. Elle lit un passage et ses lèvres rouge carmin se fendirent d’un sourire délicat qui voulait tout dire. Elle lit le chapitre, aspiré par l’histoire passionnante, sans songer au café qui refroidissait et aux rires des jeunes derrière elle. Quand elle finit le chapitre, elle but son café d’une traite et se leva. Elle tenait le livre d’une manière que Marion avait déjà senti chez certains habitués de lecture ; elle le posait en dessous de sa poitrine et le tenait de son bras droit en caressant la reliure. Le livre sous les bras, elle passa payer son café et tout sourire, repartit ensuite dans la rue. Elle était différente. Moins froide et plus heureuse.

Marion rouvrit les yeux et referma le livre. Elle adorait sentir les livres et voir à quel point ils comblaient le bonheur des lecteurs, ça lui donnait presque envie de replonger dans le méandre des mots. Tarzan était face à elle, langue pendante. Il inclina la tête, il avait senti qu’il s’était passé quelque chose. Marion rit. Elle reposa le livre à sa place d’une délicatesse infime et caressa son chien.

  • Tout va bien mon Tarzan, une femme, grâce au livre a été heureuse.

Le chien se frotta contre elle en lui léchant la main.

  • Oui Tarzan, c’est génial.

L’appel de sa mère lui parvint du salon étouffé :

  • Viens décharger ton sac de jeu dans ta chambre Marion !

Elle attrapa la laisse du labrador et courut, le petit chien tout fou sur ses talons vers sa chambre. Elle choisissait toujours la « chambre rouge » comme elle l’appelait. C’était sa chambre à elle. Elle était petite, le plafond était bas et le mur était incliné de sorte à ce qu’elle puisse faire du toboggan dessus. Mais ce qu’elle aimait plus que tout, c’était la petite fenêtre, pile à sa taille. Elle était basse et Marion s’amusait souvent à l’ouvrir et regarder la rue, faire comme si c’était une femme. Elle aimait cette chambre parce qu’elle était tout à fait de sa taille : le plafond, le mur, la fenêtre, la pièce… Elle rangea ses affaires dans l’armoire rouge et installa ses jouets et ses livres. Elle y rangea ses affaires et installa ses jouets et ses livres. Elle se posa sur son lit à la couette épaisse et ferma les yeux pour humer les mille senteurs de la maison de Menton. Ces odeurs et leurs souvenirs lui avaient manqués.

***

30 ans plus tard

***

La grande Marion descendit de sa voiture en évitant la flaque d’eau. Elle referma la portière et débarqua les valises dans le salon. Elle ne sortit Tarzan de la voiture, cela faisait longtemps qu’il les avait quittés mais Marion sentait encore par moment sa présence. Elle l’imagina cependant le suivre en courant, tout fou de revenir à la maison de Menton.

Avant même de vider ses valises, elle courut, vers sa pièce préférée. Quand elle ouvrit la porte, elle fut stupéfaite de voir à quel point la bibliothèque n’avait pas changé. Elle laissa glisser sa main le long d’une étagère que, plus jeune, elle n’aurait pu atteindre sans se mettre sur la pointe des pieds. Son Tarzan aurait été content de revenir à cette maison qu’il aimait tant. Elle n’était pas retournée à Menton depuis ses six ans. L’été suivant, elle avait perdu sa mère à cause d’un tragique accident. Et depuis sa mort son père n’avait plus jamais voulu revenir à la maison de Menton, cela lui rappelait trop de souvenirs.

Si Marion y était retourné aujourd’hui, c’est parce que son père a rendu son dernier souffle il y a quelques semaines. Dans son testament, il lui avait légué la maison de Menton. Elle y était aussitôt retournée, trois jours après son anniversaire.

Cela faisait si longtemps qu’elle n’y était pas allé qu’elle avait presque oublié cette maison. Il ne lui restait que quelques fragments de souvenirs, tous heureux et nostalgiques. Elle n’y avait que très peu pensé durant toutes ses années et parfois, elle avait l’impression que la maison de Menton n’était qu’un rêve, quelque chose qu’elle se serait imaginait quand elle était petite. Aussi, quand elle retourna à Menton, l’émotion la frappa. Elle était enfin de retour à cette maison qu’elle n’avait pas vu depuis 30 ans.

Elle se dirigea vers une étagère au hasard, prit un livre : L’encyclopédie des dinosaures. Elle l’ouvrit à une page au hasard : 18.

Elle ferma les yeux et caressa lentement la page à la surface imparfaite. Elle s’approcha du livre de très près. Elle inspira à fond pour humer l’odeur du livre.

Le passé du livre était attendrissant. Un petit garçon tirait la manche de son papa qui feuilletait un livre. Ils se trouvaient dans une brocante. Le petit garçon chouinait : « Papa, tu m’avais promis un livre ! »Et le père marmonnait : « Ah oui ? Vas en choisir un, je te le prends » Il avait l’air de ne pas se soucier du livre que son fils choisirait. Le petit garçon regardait distraitement les étagères. Il tomba sur le livre des dinosaures et sourit, dévoilant un trou au milieu de sa bouche. Il attrapa le livre maladroitement et manqua de le faire tomber, puis regarda la couverture. Ses yeux regardaient tous les dinosaures dessinés avec une admiration d’enfant. Il tourna les pages, il ne lisait pas, il regardait les images. Il semblait fasciné par les dessins minutieux des parasaurolophus, des diplodocus et des ptéranodons. Il touchait les parties qui étaient rugueuses, douces, piquantes les yeux pétillants. Il referma le livre précipitamment et courra vers son père en lui annonçant : « papa, c’est ce livre ! Je le veux, lui ! » Et le père jeta un coup d’œil vif au livre sans s’en préoccuper vraiment. Il le passa à la caisse avec un livre qu’il avait aussi emprunté et le petit garçon sortit en tenant la main de son papa, le livre sous son bras, plus grand que lui.

Marion expira. Elle rouvrit les yeux et regarda les images de la page 18. Elle revoyait le petit garçon sourire, tant il était heureux. Elle pourrait passer toute sa vie à nager dans le fleuve tantôt calme, tantôt déchainé de l’univers littéraire. Elle le referma et souffla dessus pour chasser la poussière qui s’envola et flotta dans les airs avant de retomber en douceur par terre. Elle le remit sur son étagère.

Elle s’allongea par terre, sur les tapis poussiéreux où elle passait ses journées. La tête par terre, elle regarda à sa droite et elle les vit. Elle les vit, rangés sous un banc, une couche de poussière les recouvrant. Elle les vit, dans la pénombre, cachés, oubliés. Elle les vit, après tant d’années, alors qu’elle croyait les avoir perdu, Elle les vit, ses bottes de pluie jaunes. « Comme le soleil » pensa-elle en souriant, heureuse d’être revenu à la maison de Menton.

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