« Une fuite précipitée »

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Son arrivée sur la place passa inaperçu au milieu de toute cette agitation. Devant lui, de nombreux étals formaient la structure labyrinthique d'un marché comblé par une masse d'individus fourmillante. Des marchands criaient à tue tête les mérites de leurs produits, diversifiant les discours pour attirer la clientèle. Quelques notes de musiques accompagnaient ce brouhaha, flottant dans l'air aux côtés d'un mélange riche en odeurs d'épices et de nourritures.

Edward s'appuya contre un muret, essoufflé et moite. Plusieurs de ses boucles noires recouvraient son visage. D'un geste de la main, il les ramena en arrière puis se redressa, cherchant anxieusement un endroit où se sauver.

Porté par la peur, sa première réaction avait été de courir le plus loin possible. Il avait fui à travers les rues du quartier marchand, dérivant comme un cour d'eau selon les aléas des obstacles présents, distançant quelque peu ses poursuivants. La panique passée, un peu de lucidité lui était revenue et il pouvait réfléchir à la suite des événements. Il avait pensé a se terrer dans la ville, le temps que les choses se tasse. Mais chez qui ? Dans son entourage ? Il connaissait bien quelques personnes qui accepteraient de le cacher de l'Empire mais il ne voulait pas les mettre en danger. Et puis, tous habitaient le sud et faire demi-tour était impossible, la Garde lui faisait barrage.

Sa situation l'accablait. Paniqué, Edward balaya l'horizon du regard. Au loin face à l'une des artères circulantes de la ville, la gare principale dominait les lieux de toute sa splendeur. L'espoir revint à lui, incarné par cet imposant bâtiment en brique rouge. La capitale n'était plus un endroit où rester, pas après les événements de ce matin. Peut être qu'il aurait plus de chance d'échapper à l'Empire en quittant Ameville ?

Une clameur derrière lui attira son attention. Une poignée de gardes impériaux venaient d’apparaître au bout de la rue. Les uniformes gris progressaient rapidement, brusquant ceux qui ne s'écartaient pas assez vite. Un malheureux fut empoigné par le col pour être questionné. Celui-ci agita le bras en direction de la place avant d'être jeté au sol. Edward observa la scène avec effroi. Ils étaient toujours à sa recherche. Sa décision était prise : il tenterait de quitter la ville.

Edward s'élança entre les étals. Il se frayait un passage à travers le grouillement des passants, bousculant certains, récoltant injures et grognements, ne s'excusant qu'à demi-mots tout en continuant sa route. Dans toute cette effervescence il pourrait peut être perdre ses poursuivants ? Mais il ne se faisait pas d’illusion, la garde impériale avait la réputation d'être tenace. À tout le moins il ne gagnerait que quelques minutes. Jamais il n'avait entendu parler de quelqu'un leur échappant. Un jour ou l'autre ils arrivaient toujours à mettre la main sur ceux qu'ils recherchaient. Par la suite, ces gens là disparaissaient. Choses qu' Edward voulait éviter.

Arrivé à l'autre bout, il grimpa la volée de marche qui le séparait de l'avenue puis se retourna de nouveau. Les Gardes étaient rassemblés à l'endroit qu'il occupait auparavant. Un des agents les rejoignit accompagné de l'impérial habillé d'un long manteau gris dont la capuche était passé sur sa tête. De la colère monta en Edward. Cet agent était responsable de ce qui c'était passé à la boutique. Mais qui était il et pourquoi s'en prenait il à lui ?

Ce dernier montra plusieurs directions, puis se frappa le point du plat de son autre main. Ce geste devait ponctuer ses ordres car plusieurs groupes se formèrent, deux commencèrent à contourner la place par les hauteurs, le troisième descendit les escaliers. L'homme au manteau gris resta immobile en haut des escaliers, observant le marché.

Un frisson parcouru Edward lorsqu'il remarqua que la capuche était tournée dans sa direction. L'avait il vu ? C'était peu probable, la distance et la densité de gens présents alentour devait le rendre invisible. Malgré tout, il resta figé, le regard attiré par cette silhouette grise.

Un braillement le tira de ses pensées. Face à lui, sur les dernières marches, un type gras se tenait là, portant une caisse à bout de bras. Ses cheveux étaient dégoulinant de sueur et son visage rougit par l’effort. Des mouches lui tournaient autour, attirées par le contenu du cageot, ou plus probable, par le relent de transpiration qu'il dégageait.

  • Dégage de là ! aboya ce dernier. Tu vois pas que tu gênes ?

Le regard d' Edward se reporta de nouveau sur le marché. Au loin l'homme en gris entreprit de contourner la place ; les gardes continuaient à se rapprocher.

  • Non mais tu vas bouger ton cul de là ou je te pousse moi même ! continua à hurler le gros.

Edward recula de quelque pas, ignorant les menaces, il se détourna puis s'élança sur l'avenue, la peur au ventre. Les soldats de l'Empire approchaient. Il ne lui restait plus beaucoup de temps.

Un cab à vapeur l'évita de justesse. Son conducteur cria quelque chose d'incompréhensible tout en reprenant le contrôle de son véhicule. La rue était bondée. De nombreux cabriolets, diligences et omnibus stationnaient dans un désordre apparent, déposant ou attendant clients, amis ou membres de famille. Les règles de conduite, s'il devait y en avoir, ne s'appliquaient pas ici, chacun faisant comme il pouvait et voulait. Quelques volutes de fumées noires s'élevaient dans les airs, provenant de véhicules à charbon, généralement conduit par des hommes en costumes de bonne qualité - chauffeurs privés de la Noblesse - dont le crachotement des moteurs s'ajoutait au tumulte ambiant. Des éclats de voix perçaient ; celui-ci voulait qu'on lui laisse le passage, celui-là était libre pour une course, un autre hélait une connaissance.

Edward se faufila à travers ce trouble et atteignit la gare, diminuant l'allure en entrant à l'intérieur.

Le hall était immense. L'architecture combinait harmonieusement charpente de fer et murs de briques rouges. Un dôme en verre recouvrait sa partie haute permettant à la lumière naturelle de jouer son rôle et d'irradier de chaleur tout l'intérieur. De nombreuses personnes circulaient ici, vaquant à leurs affaires. Des groupes plus important formaient des files d'attentes devant les nombreux guichets situés de part et d'autres d'un espace occupait des bancs.

Il devait se dépêcher. Le marché lui avait fait gagner du temps mais les gardes le chercheraient également ici. Le tout était de quitter la ville avant qu'ils ne bloquent les départs sinon il était fait.

Edward se dirigea vers la billetterie la plus proche. Par chance, il arriva vite au guichet. Une femme d'âge mur, une roulée fichée entre les lèvres, était assise derrière le comptoir. Son visage affichait un sourire las.

  • Le premier départ pour la plaine, lui lança Edward.

Le considérant, elle demanda :

  • Monsieur est pressé ?
  • C'est le cas, répondit il un peu trop sèchement malgré lui. Alors , pour quand est le premier départ ?

La guichetière haussa un sourcil, puis soupira d'exaspération. Elle tira une longue bouffé sur sa cigarette et recracha lentement la fumée du coin de la bouche. L'air se blanchit tout autour d'eux.

  • Je vais voir ce qu'il y a, dit elle enfin.

Edward s'impatientait, son regard se tournant souvent vers l'entrée, guettant le moindre signe des gardes.

Ayant trouvé, l’hôtesse déclara :

  • Il y en a un sur le départ pour le Bourg. Cela vous convient il ?
  • Ce sera parfait.
  • Bien. Pour atteindre votre quai vous devez emprunter l'escalier principal. Au sommet vous trouverez les passerelles. Il suffit de les longer jusqu'au bout. Vous ne pouvez pas vous tromper, votre quai est le dernier.
  • Entendu, merci, conclut il.

Il paya son dû puis quitta le guichet.

Les aiguilles cuivrées de l'horloge indiquaient le début d'après midi. Si tout allait bien, il arriverait au Bourg avant la fin de journée. A l'entrée, les gardes n'avaient toujours pas fait leur apparitions. Ils devaient toujours être occupé à fouiller le marché.

Edward se concentra sur son itinéraire. Il marchait rapidement, s'interdisant de courir pour ne pas attirer l'attention. Il se louvoyait entre les autres voyageurs, tentant au possible de ne bousculer personne. L'escalier principal menait à de grandes portes s'ouvrant sur une série de passerelles surplombant les quais de la gare.

D'ici de nombreux trains partaient chaque jour. La plupart desservaient la ville mais plusieurs lignes permettaient de la quitter. La voie de chemin de fer était l'un des deux moyens les plus rapide pour rejoindre la plaine. L'autre étant la voie des airs. Mais cette dernière était réservé aux Nobles les plus riches et, bien entendu, à l'Empire. L 'aéronavigation ne s'étant développé que récemment, et même si les techniques avaient évolué depuis les 30 dernières années, l'Empereur Guide gardait la main mise sur elle.

Les quais étaient en effervescence. Un chassé croisé de voyageurs vidait et remplissait les wagons. Des locomotives sur le départ démarraient dans un tonnerre de chuintements associé à des jets vaporeux.

Edward se laissa emporter par le courant des passagers en direction de son quai d'embarquement. Il était pressé et ce n'était malheureusement pas le cas de tout le monde.

En voulant éviter quelqu'un, il trébucha sur des bagages posés à terre et s'étala de tout son long. Alors qu'il relevait la tête, il se retrouva nez à nez avec une paire de bottes noire de la Garde Impériale.

Edward se figea à la vision de ce cuir, le visage fixant le sol. Ce garde était il au courant que l'Empire le recherchait ? Que devait il faire ? Se lever et fuir ? Non mauvaise idée. Il serait vite rattrapé et mis aux arrêts.

Une voix bienveillante lui donna la réponse.

  • ça va mon garçon ? Rien de cassé ?
  • Euh oui, bafouilla Edward.

Toujours à demi étendu, Edward entrepris de se relever. Se faisant, le Garde lui attrapa le bras pour l'aider ce qui le fit sursauter. Une fois debout, leur regard se croisèrent. Le cœur d'Edward s'arrêta à cet instant. L'homme le fixait longuement, profondément.

  • Personne ne respecte plus personne. Tout le monde ne voit pas plus loin que le bout de son nez dans cette marée.

La peur au ventre Edward esquissa un sourire.

  • Oui, répondit-il doucement.

Le garde le dévisagea, la mine sérieuse.

  • Tu as l'air sonné. Tu es sur que ça va aller ?
  • Euh oui, oui. Je suis désolé. J'ai un train qui est sur le point de partir.

L'homme lui lâcha le bras.

  • Fais bien attention à toi, dit-il peu convaincu.
  • Merci monsieur.

Edward repris sa route. Il ne fit que quelques pas quant le garde l'interpella de nouveau.

  • Hep ! attend une seconde.

Edward stoppa, mais ne se retourna pas.

  • Tu pars sans ça ! Tu en aura peut être besoin à mon avis.

Lorsqu'il se retourna, il découvrit son billet dans la main du soldat. La chute avait du lui faire perdre. Edward se rapprocha pour attraper le billet tendu.

Les haut parleurs en cuivre crachèrent une voix crissante sur toutes les passerelles.

« Avis aux voyageurs. Avis aux voyageurs. Quai dernier, en partance pour le Bourg. Départ imminent. ».

  • Je crois que c'est le tien, commenta le garde. Tu devrais y aller.

Edward acquiesça de la tête attrapa son billet et pris la direction du dernier quai.

Le train était à moitié vide. Plusieurs personnes rangeaient leurs bagages dans les espaces prévus à cet effet. Edward regarda son billet. Son compartiment se trouvait plus loin. Il s'y dirigea espérant que le train ait le temps de partir avant que la garde n'arrive.

Un sifflement aigu perça le brouhaha général. L'agent de quai faisait tournoyer son instrument, préparant une annonce.

  • Départ imminent pour le bourg. Fermeture des wagons passagers.

Trois autres tours d'instrument.

  • Veuillez vous écarter du bord du quai, départ imminent !

La voix de l'agent de quai portait loin. Des les premiers sons de son instrument, l'activité avait diminué pour écouter les paroles de l'agent.

  • Toutes les personnes n'ayant pas leur titre de transport sont priées de descendre des wagons. Départ immédiat à destination du bourg.

Edward soupira de soulagement. Le train n’était pas retenu à quai. Il avait réussi à échapper aux gardes. Mais pour combien de temps ?

Le wagon fut secoué plusieurs fois lorsque le train démarra enfin. Edward fut soulagé. Il quittait la ville. S’il avait su il n’aurait jamais accepté d’accompagner cette fille jusqu’au marché. Il ne connaissait même pas son nom.

Le train sortit de la gare et se retrouva suspendu dans le vide. De sa place Edward voyait le versant droit de la montagne entourant la capitale. Boisée, l’entrée de la vallée était la seule partie encore sauvage du lac. Tous les autres espaces étaient occupés par la ville. Cette vue le sortit momentanément de ses pensées. C’était la première fois qu’il voyait la nature. Rumpler lui avait parlé de nombreux endroits magnifiques. Il avait vu des dessins dans certains livres mais il n’en avait pu en observer de ses propres yeux.

AMEVILLE était constitué de brique et de fer, de bois et de pierre. Peu de place pour la nature. Elle possédait quelques jardin mais seulement accessible à la Noblesse. Une ville industrielle ou la technologie était prépondérante.

Le train pris de la vitesse. L’entrée du canyon s’approcha rapidement. Le paysage changea alors pour se transformer en des parois rocheuses.

Edward ne connaissait pas l’histoire de la ville. Les eaux du lac s’écoulaient par un canyon profond creusé par le temps. La voie de chemin de fer suivait ce chemin. (Ombre faite par le passage d’un train de marchandise).

En levant les yeux il aperçut les lignes attribuées aux transports de marchandises. Moins nombreuses elles étaient capables de soutenir des charges plus importantes.

Tout ce complexe ferroviaire permettait d’alimenter la ville en produit divers et variés.

Le trajet pour Bourg de péage prendrait du temps. Il ne lui restait plus qu’à attendre.

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