La Mission
Leur mission est des plus importantes. Mais comment faire ressortir sa gravité sans évoquer le contexte dans lequel évolue la Terre à l’heure qu’il est.
Nous sommes en 2078. Il y a plusieurs années — en 2039 pour être plus précis —, un pays ayant acquis l’arme nucléaire contre l’opinion de tous — ça se faisait toujours dans ces conditions-là — lâcha une bombe sur un pays tiers en réponse à un autre pays qui menaçait de l’attaquer — logique. La troisième guerre mondiale éclata enfin ; elle était, semble-t-il relativement attendue.
Ce fut finalement une guerre où personne n’abusa trop du nucléaire par crainte de représailles — le pays initiateur du conflit ayant été rayé de la carte en l’espace de quelques heures —, néanmoins, une guerre violente et sans précédent ; avec des armes et de l’ingénierie militaire modernes à foison. Aucune contrée ne fut épargnée. Des régions entières furent rasées de la carte et l’humanité cru même que sa dernière heure était arrivée. Mais les ressources furent épuisées en 2043, et c’est à ce moment-là que la guerre prit fin. Des ethnies avaient été massacrées et les pays membres de la coalition étasunienne en étaient ressortis vainqueurs. De bien tristes gagnants…
Les trente années qui suivirent, le monde les passa à se reconstruire en essayant d’approcher le plus possible de ce qu’il était auparavant. La technologie et le progrès dépassèrent même leur stade d’évolution atteint avant la guerre. Les naissances se multipliaient. Tout allait relativement bien. L'espèce humaine avait pansé ses blessures et vivait — tant bien que mal — en harmonie. Certaines cultures avaient disparu, d’autres s’étaient créées, et il en allait de même pour les croyances en tout genre. Les pays s’étaient reformés plus où moins à l’identique selon qu’ils faisaient partie des vaincus ou pas. Certains spécialistes considéraient même qu’il était préférable de vivre maintenant plutôt qu’avant la guerre.
Ce n’est qu’en 2071 qu’ils prirent conscience qu’il n’en était rien. Il n’y avait pas que les êtres vivants et les pays qui avaient souffert. La Terre elle-même avait été la plus touchée. Elle ne récupérait pas aussi vite qu’eux, puisqu’ils ne cessaient de l’exploiter pour se régénérer. La Terre, telle qu’elle était favorable à la croissance de l’espèce humaine un siècle auparavant, n’était plus. Ils l’avaient usé. Il restait des ressources pour une soixantaine d’années — quatre-vingts s’ils se comportaient de manière écoresponsable —, mais avec l’augmentation en flèche de la population terrestre et leur mode de vie, cela risquait d’être difficile à accomplir sans prendre un virage radical que les gouvernements n’étaient pas prêts à assumer — difficile d’oublier le faste et le confort à volonté et sans la moindre concession.
Donc pour que l’humanité survive — et que l’Homme maintienne son train de vie —, elle n’avait désormais d’autre choix que d’aller puiser les ressources ailleurs que sur Terre. Et les quatre années qui suivirent, l’être humain mit en œuvre des moyens fous et des technologies inconcevables pour partir à la conquête des autres planètes. La première étape étant tout d’abord d’envoyer des éclaireurs un peu partout sur les astres plus ou moins proches pour qu’ils analysent les structures et approuvent les postulats des physiciens. Le but étant, à terme, qu’en l’an 2095 — d’après de savants calculs —, lorsque la technologie aura suffisamment progressé, on puisse ravitailler la Terre en transportant les ressources des autres planètes ou satellites pour les y exploiter. Une entreprise titanesque mais nécessaire à la survie de l’espèce humaine et de sa planète-mère en poursuivant leur évolution effrénée.
C’est donc en 2078 que leur mission fut lancée. Avaient initié le mouvement les missions Lune, Mars, Venus, Mercure, et bien d’autres les avaient suivies et suivraient encore. Quant à eux, leur but était d’atteindre Ganymède et d’analyser sa surface.
Ganymède est la quatrième lune de Jupiter. C’est aussi le satellite le plus gros de tout le Système Solaire. Son diamètre dépasse celui de la planète Mercure. La température y est égale à moins cent cinquante degrés. Ce satellite serait constitué à quatre-vingts dix pour cent de glace et à dix pour cent de silicates. L’eau allait cruellement manquer sur Terre — celle des mers et des océans terriens étaient devenues beaucoup trop toxiques et, de fait, inexploitables. Transporter d’énormes blocs de glace était véritablement tentant pour les humains.
Leur mission — capitale ! — était donc de valider les hypothèses des scientifiques pour permettre à la Terre de ne pas manquer d’eau à l’avenir.
Cependant, malgré les immenses progrès de la technologie actuelle, leur voyage pour atteindre Ganymède durerait tout de même un peu plus de deux ans. De longues années pendant lesquelles ils allaient être contraints de vivre dans un espace cloisonné à des milliers de lieues de la Terre, sans autre échappatoire possible qu’une mort certaine s’il leur prenait l’envie d’aller faire un petit tour.
Leur navette était équipée de plusieurs réservoirs à carburant — ce qui était un peu juste à leur goût compte tenu de l’ampleur du voyage —, ainsi que de modules d’habitation prévus pour contribuer à une bonne survie de l’équipage. Ils ne manquaient absolument de rien. Ils possédaient même une petite ferme de laboratoire, ainsi qu’une centrifugeuse qui leur permettait de simuler la pesanteur terrestre, et où ils faisaient du sport pour que leurs muscles ne soient pas atrophiés. Rien n’avait été laissé au hasard, chaque centimètre carré brillait par son optimisation.
Ils possédaient aussi des appareils de traitement des déchets. Chacun avait même sa minuscule chambre pour ne pas avoir à supporter les autres si le besoin de solitude se faisait sentir. De leurs modules d’habitation situés dans la soute partaient deux ponts : l’un menant aux réservoirs de carburant et l’autre à la cabine de pilotage, qui était précédée d’une pièce relativement spacieuse où ils pouvaient contempler à loisir les astres grâce à de grandes baies vitrées.
Tout avait été pensé pour qu’ils tiennent le coup, que ce soit mentalement, ou physiquement.
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