Le vieux lion du Parc du Massaï Mara
Depuis plusieurs mois déjà, Simba ne voyait presque plus, rendu aveugle par une allergie. Les touristes véhiculaient pas mal de microbes et depuis toutes ces années, à l'observer pendant sa sieste, postés dans des 4x4 Land Rover, ils avaient sans doute augmenté les risques d'infection pour tous les animaux du parc malgré les mesures sanitaires prises à bord des vols longs courriers.
Il ne se souvenait plus de grand-chose et ses sens s'altéraient de jour en jour.
Les gardiens du Massaï Mara se chargeaient de venir le voir lors de leur ronde. Le vieux lion décelait par instinct leur présence. Alors il s'allongeait sous l'acacia, à sécher son poil qui chaque jour perdait de sa superbe, altéré par des parasites qui lui donnaient des plaques de moisissures dans lesquelles les mouches se régalaient.
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Tout avait commencé deux ans plus tôt quand un porc-épic, dans un mouvement de défense, lui avait projeté l'une de ses longues aiguilles dans la patte avant, à travers l'un de ses coussinets. Il s'était alors plaqué au sol de douleur et avait, plusieurs jours durant, boîtant bas, tenté de retirer le dard.
Il représentait le mâle dominant d'un groupe de lionnes et jeunes lionceaux de plusieurs générations. Devant son incapacité, certains lui contestaient déjà son rang. Et à présent, il ne pouvait plus participer à la chasse arrivant en dernier sur les restes bien entamés d'une proie.
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Un jour notre guide repéra dans une haie vive Simba, qui semblait en très mauvaise posture, comme éclaté par la chaleur et surtout à la merci de tout autre félin ou tout simplement d'un éléphant en colère ou d'un rhinocéros mal luné.
Il prévint les gardes du camp.
Une fois endormi, ces derniers réussirent à retirer le dard et à cautériser la plaie. Simba, dès lors ragaillardi, reprit rapidement du poil de la bête et réussit, non sans difficulté, à regagner son rang.
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Le Massaï Mara offre la possibilité de découvrir de grandes variétés d'animaux et notamment, chez les félins, des guépards surnommés localement des chitas et plus rarement, camouflé dans les branches hautes d'un acacia, le puissant léopard.
Cette région est réputée dans le monde entier pour ces grandes migrations annuelles de gnous, de zèbres, d'antilopes et de bien d'autres herbivores entre le Serengety en Tanzanie et le Kenya voisin, privilégié par ses pluies plus abondantes vers les mois d'avril à juin.
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Dans la savane, la loi était simple !
Chaque dominant s'inscrivait dans une chaîne pyramidale alimentaire et régentait toutes les espèces qui lui étaient soumises, tel un roi avec ses sujets. Mais dès lors qu’il se blessait ou prenait de l’âge, le prédateur perdait très vite son rang et disparaissait.
Simba le savait et sans doute l’avait-il toujours su depuis sa naissance.
Il sentait ses forces l'abandonner.
Alors il s'allongea dans la terre ocre rouge, sous l'acacia qui l'avait vu naître, et accueillit les derniers rayons de soleil rougeoyant en écoutant les ricanements des hippopotames qui barbotaient dans la rivière Mara.
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