Espoir entre le ciel et l'eau !
Je m'appelle Robert Hinson. Mes amis me surnomment Rob.
En comptant les jours à l'aide de traits verticaux tracés sur la paroi de ma maison de granit, cela fait selon moi, trois ans à présent que je survis ici, au milieu de nulle part. Sauf erreur, on fête Noël partout dans le monde mais ici, j'ai bien du mal à l'apprécier.
Je suis seul.
Je garde l'espoir incroyable de revoir les miens. De retrouver ma vie d'avant. D'être encore utile. Certes avec des responsabilités, des droits et des devoirs... Mais entouré.
Ici ma seule nécessité, vitale, réside dans l'acte de manger.
Bien que les noix de coco, le poisson ou les coquillages me sortent par tous les pores, je ne trouve pas la force d'arrêter de lutter, alors je me nourris. Parfois mon ordinaire s'améliore car des tortues viennent pondre, répondant au cycle naturel de reproduction en revenant sur le lieu de leur naissance. Des oiseaux migrateurs font aussi escale. Plus rarement, je surprends avec étonnement des jets de vapeur sortant des évents d'une famille de baleines passant au large.
J'ai pour moi ce paysage de carte postale dont rêvent sans doute, bon nombre de vacanciers. Mais ce séjour idyllique en apparence n'a que trop duré.
*
Tous les jours, j'effectue le tour complet de l'île.
Une sorte de ronde sur le chemin invisible de douaniers fantômes. Ce matin, à l'aube, je découvre sur l'une des plages de sable et de coquillages en débris mélangés, une malle ancienne. De ma mémoire me revient le souvenir de photographies aux couleurs sépias témoignant de l'utilisation fréquente de ces accessoires de voyage lors des siècles passés.
En l'ouvrant après avoir forcé la serrure, je pense très vite que le contenu m'incitera à la fête. La joie se lit sur mon visage. À l'intérieur, bien conservés, je découvre une bible en français, des verres à pied pour boire un digestif, un porte-plume, un encrier et de l'encre noire. Une bouteille de Cognac... Des cartes à jouer, du papier épais et de qualité enfermé dans un nécessaire à écrire relié d'un cuir beige clair, poinconné de deux lettres stylisées : "A" et "S".
Annabelle Sage apparaît alors à la fin de l'une des lettres manuscrites qui semble tirée d'un échange épistolaire. À bord d'un navire marchand faisant route depuis de la Mer de Chine, en passant par l'Océan Indien, l'auteure se rend en Europe vers le port du Havre. Elle prévoit de faire escale, sans doute en Afrique du Sud. Je soupçonne un cyclone, une forte tempête tropicale d'avoir bouleversé ses plans en chahutant le bâtiment qui la transportait.
Mon esprit visualise mentalement un vaste océan offrant des centaines d'iles inhabitées, des milliers de kilomètres de littoral, des phénomènes climatiques et sismiques extrêmes...
Dans ma tête, tout se mélange.
Une intention chevaleresque m'envahit le coeur. Quelqu'un attend cette femme. Annabelle me rappelle le prénom d'une chanson de Frédéric Mey. Mais dans le texte, celle-ci apparaît comme plutôt révolutionnaire, écrivant à l'imparfait du subversif. Tout au contraire ici, je devine derrière les mots de cette belle écriture fine, le caractère d'une personne aimante. Elle écrit à ses parents sa passion de rencontrer des êtres et des sociétés aux coutumes différentes. Les anciens y sont davantage respectés et restent en lien très étroit avec leurs enfants, parfois sous le même toit.
Au fur et à mesure de mon inventaire, je m'extrais de mon univers de solitude où mon seul horizon, trace une ligne presque invisible entre l'azur d'un ciel si changeant et l'émeraude de l'océan. Je vis dans une prison de rêve et mes nuits se nourissent de cauchemars. Mais l'enthousiasme et la bonté de cette femme me redonne du courage.
*
Il est grand temps de faire quelque chose ! Me glisse une voix dans ma tête.
Voilà donc que je mets à contribution mon imaginaire. Peut-être que son navire a trouvé refuge dans quelque port d'Afrique, d'Inde ou d'Australie. Je suppose qu'elle serait indemne. Les assauts répétés des vagues d'une grosse tempête auraient emporté par dessus bord équipements, accessoires et pour partie ses bagages et sans couler le navire avec ses occupants aurait poursuivi sa route.
Difficile de ne pas céder à la tentation devant ce flacon empli de cet alcool ambré et parfumé. Peu à peu chahuté par les vapeurs, je trace des messages, avec ma main tendue et fébrile sur la voute illuminée. Sans doute, chanté-je faux à tue-tête et pleuré-je aussi. Au matin, près des braises rougeoyantes de mon feu de résistance, je réagis avec bonheur aux premiers rayons solaires qui traçent sur la toile éthérée des nuances pastels d'un rouge orangé.
Alors saisissant une belle feuille de papier à lettre, je trempe le porte-plume dans l'encre noire et métallique et j'entreprends l'écriture d'un message d'espoir, de survie et d'amour... Puis une fois terminée, je glisse la page enroulée sur elle-même à l'intérieur et parviens à refermer le flacon de Cognac, vide de son contenu depuis longtemps. Je remonte à pied vers un point du littoral plus au nord qui s'avance dans l'océan et délivre aux forts courants, mon optimisme retrouvé, à bord de ce vaisseau de verre.
*
À l'âme généreuse et entreprenante qui trouvera cette lettre
Merci de me lire jusqu'à la dernière ligne de ma vie.
J'ai mélangé un zeste d'espoir et une goutte d'éternel optimiste dans une bouteille dont le nectar éphémère m'a donné le courage de poser ces mots pour témoigner de mon existence.
Sans doute sera-t-il trop tard de me venir en aide.
Mais je dispose ici de tellement d'étoiles à contempler qu'il m'est permis d'espérer que l'une d'elles me soit favorable.
À l'intérieur d'une malle échouée sur mon minuscule territoire, au beau milieu de l'Océan Indien, j'ai découvert une correspondance signée par une femme du nom d'Annabelle Sage. Prise dans une forte tempête, son navire a sans doute rallié un port.
Selon mes estimations, nous serions le 27 décembre 2004... Cela fait à présent trois ans que je survis ici.
Ces éléments vous conduiront jusqu'à moi.
Je garde espoir et je vous attends.
Rob Hinson
=O=
Source Wikipédia
Le séisme du 26 décembre 2004 dans l'Océan Indien fait suite à un tremblement de terre qui s'est produit au large de l'île indonésienne de Sumatra avec une magnitude de 9,1 à 9,3. Ce tremblement de terre est répertorié comme la troisième magnitude la plus puissante jamais enregistrée dans le monde.
Dans les minutes et les heures qui suivirent le début du séisme, un tsunami, dépassant à certains endroits 30 mètres de hauteur, frappa l'Indonésie, les côtes du Sri Lanka et du sud de l'Inde, ainsi que l'ouest de la Thaïlande.
Le bilan en vies humaines fut estimé à, au moins, 250 000 personnes disparues, dont près de 170 000 en Indonésie, 31 000 au Sri Lanka, 16 400 en Inde et 5 400 en Thaïlande, selon les estimations officielles...
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