J'ai vidé ton sac !
Ce matin, je me réveille.
Tu n'es pas à côté de moi. Je sens ton absence et surtout j'ai froid.
Alors je tends le bras sur le drap fripé jusqu'à ton oreiller. Et je plonge la tête dans la taie, soufflant à travers le tissu dans l'épaisseur des plumes d'oie. Je réveille encore et encore ton parfum, ton humeur, ton souvenir...
*
La cafetière récite sa douce musique faite de sifflement et de ronronnement. Cette petite machine s'exprime à la manière d'un chat. Du liquide s'écoule d'abord sombre aux reflets d'ambre puis s'obscurcit peu à peu vers la couleur du charbon et monte dans le récipient en verre. Des vapeurs odorantes s'échappent et s'irisent dans la lumière du matin. Je les regarde comme obnubilé devant ce processus répété dans une routine quotidienne. Durant ce laps de temps, mes idées vagabondent.
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Sur la table de la cuisine, un paquet de cigarettes ouvert et un briquet en couleur semblent perdus. Un bout filtre de couleur jaune orangé dépasse de l'emballage. Rien dans le cendrier, ni cendre, ni mégot et pas d'odeur de tabac froid, non plus. À coté, posé sur des restes de miettes de pain, ton carnet d'adresses.
Ton sac posé sur le banc, comme épuisé, semble content et s'octroye une pause prolongée. Les anses se détendent comme les bretelles d'un pantalon qui se relâchent. En écoutant bien, j'imagine qu'il m'adresse un remerciement de le laisser souffler ainsi. Il faut dire que tu lui en a tellement fait voir, entre ton travail et tes loisirs, les transports et les soirées. Il a tout traversé, supporté et jamais, il ne t'a trahi gardant jalousement tes secrets, tes mystères et tes folies.
*
Je t'appelle dans l'appartement mais tu ne réponds pas, alors je t'imagine à nouveau de sortie à prendre l'air, pour ton footing matinal. Oui à coup sûr, ce doit être ça.
Je perds complètement la boule !
D'évidence, courir procure un bien-être incommensurable. Adieu la colère, les ruminations, le boulot, les collègues. Tout glisse et se dilue dans la sueur, dans le bruit des foulées sur le macadam, dans la boue, dans le bruissement, le chuintement des feuilles mortes, dans le vent de l'automne. Les andorphines soulagent toutes les douleurs comme des récompenses.
Tu me manques tellement !
*
Comme une fleur à qui je retire les pétales un à un, avec un message d'amour différent à chaque étape, me voilà à refaire l'inventaire de ton sac à main. L'espace d'un instant, je m'adresse mentalement des reproches, mais cela reste de pure forme car tu n'es pas là pour m'en faire le reproche.
Alors, je sais, cela ne se fait pas !
Oui, mais cela me fait du bien, beaucoup de bien !
Tous ces morceaux de toi pourtant me parlent. Alors, comment résister ? J'entame un dialogue muet avec chacun des objets qu'il contient. Ils réveillent tour à tour un souvenir presque instantané, par une sorte d'association.
Un trousseau de clés et Saint Christophe qui l'accompagne.
Une brosse dont je frôle le poil soyeux. Elle te ressemble. Je la vois caresser ta longue chevelure brune, et tout ce temps passé à te coiffer avec patience, chaque soir avant le coucher.
Ce geste me manque !
*
J'aime ce mouchoir plié et repassé avec cette bordure fushia et ces initiales brodées. Plutôt rare de nos jours, un mouchoir en tissu. Je distingue l'empreinte de tes lèvres, souvenir d'une couleur rose pâle.
Je dépose sur la table, un porte-monnaie avec des tickets de métro, un bouton nacré de chemisier, un trombone et quelques pièces en argent ou dorées.
Puis deux billets pour un spectable de théâtre. Je ne t'accompagnais pas le jour de cette séance. Une amie sans doute.
Dans un petit sac en velours noir fermé par un cordon, je redécouvre une gourmette et un collier en or que fugacement je revois sur toi pour ton anniversaire.
Les souvenirs remontent par vagues successives.
Une heure déjà !
*
J'ouvre alors le carnet en retirant les miettes de pain qui sont restées collées sur la couverture en velours. Dès le début j'avais imaginé qu'il ne contenait que des adresses, des cartes de visites ou des rendez-vous. Mais non, tout au contraire, je retrouve des bouts de phrases, de dates, des bribes d'histoire, de morceaux de toi...
Jacques. Il me fatigue parfois. Et d'autres fois, j'aimerais me blottir à jamais contre lui.
Mardi, 09 : 00. Je consulte un psy, mais je ne suis pas sûre que cela me fasse du bien. Je parle. Il m'écoute. Mais les images restent. Ma fille me manque tellement. Se mettre à nu. Pas facile.
Dimanche j'ai reçu un appel. Cela m'inquiète. Il a laissé un message et demandé à le rappeler. Une voix d'homme. Un gendarme...pour une enquête sur ta disparition, ma puce...
Ma bébé, si petite, si fragile.
Tellement difficile de continuer à vivre sans toi.
*
Voici des photos sorties de son portefeuille. Je ne savais pas qu'elle nous emmenait partout avec elle. De nous trois ensemble ! D'elle, de moi et de notre enfant pris séparément.
Ça me fait mal ! Mes tempes me cognent. Je sens comme une colère sourde qui me ronge.
*
J'atteins le fond de ton sac. Un petit flacon de parfum. Une petite brosse pour du fond de teint. Des cachets pour la gorge, d'autres pour les douleurs ou les migraines.
Des pansements, des patchs pour moins fumer.
Une carte postale de nos dernières vacances sur l'Ile de Beauté.
Un foulard.
Une paire de gant.
Une tétine.
*
Je sors.
Derrière moi, la porte de la maison se referme en douceur.
La voiture semble connaître la route par coeur depuis le temps que je la prends.
(Elle) Je (se) me range sur le parking.
Il fait gris.
Ça sent la pluie.
J'enfile un imperméable de couleur claire en sortant du véhicule et j'ajuste mon feutre sombre sur les rares cheveux qui me restent.
Je franchis à pied le portail. Mes chaussures de ville crissent sur le gravier.
Je porte à la main un bouquet de roses, rouges pour toi et blanches pour elle.
Le temps s'assombrit de plus belle.
Le vent joue avec les feuilles, les vases et les fleurs en plastique.
Il aime se faufiler et taquiner les fantômes, décoiffer ses belles dames de marbre tout en renversant les souvenirs et les hommages.
*
Vous me manquez toutes les deux.
Pourquoi as-tu fait l'irréparable ?
Il y a tant d'amour dans ton sac.
=O=
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