Sondage à la maternelle !
La maîtresse d'école réunit autour d'elle tous ses petits élèves de maternelle dont certains avaient encore un peu de mal à ouvrir les yeux à cette heure matinale.
Chacun prit place sur une chaise proportionnelle à sa taille. L'enseignante les dominait de son regard bienveillant. Elle se lança dans une sorte de sondage dont elle connaissait d'avance le résultat.
- Que diriez-vous ce matin de jouer avec de la pâte à modeler ?
- Oh oui maîtresse ! dirent-ils tous en chœur.
- Alors, allez mettre vos blouses ! Ensuite vous formerez des groupes de quatre. Et vous irez vous asseoir autour de chaque table où je vous ai préparé tout le matériel. D'accord ?
- ... !
La réponse fut tumultueuse, presque impatiente mais relativement muette.
Et sur un signe de l'enseignante, chaque enfant fonça en courant vers son sac suspendu au porte-manteau, comme s'il y avait une urgence particulière, afin de sortir sa blouse ou son tablier. Seule Marina se figea sur place et regarda Mlle Hortense, les yeux plein de larmes.
- Qu'est-ce qui ne va pas, mon petit bouchon ?
- J'ai, j'ai ! hoqueta-t-elle mais le reste ne vint pas.
On aurait dit, en la regardant à son visage rouge pivoine, que tous ces organes allaient jaillir, tellement l'émotion l'étreignait.
- Mais non ! Tu ne vas pas pleurer ?
- Maman ne m'a pas mis mon tablier ! dit-elle entre deux sanglots. Il est encore dans la machine à laver.
- Eh bien, ce n'est pas grave ! Je vais te prêter un grand torchon. D'accord ?
Marina fit oui de la tête en passant la manche de son pullover sur ses yeux de poulbot. La couleur de sa peau redevint alors un peu plus pâle.
*
Une fois le silence revenu et chacun assis par petit groupe autour d'un plan de travail, la maîtresse expliqua ce qu'elle attendait d'eux. Mais certains déjà ouvraient bruyamment les emballages pour détacher des bâtons malléables de pâte à modeler.
- Hop, hop, hop ! On arrête et on m'écoute.
Le bruit de cellophane transparent cessa de bruisser immédiatement.
- Bien ! Vous allez me construire deux choses. Je veux que vous réalisiez un Monsieur et une Madame Patate. Tout le monde les connaît ?
Plusieurs têtes opinèrent quand d'autres recomptèrent les mouches imaginaires qui tournaient dans leur esprit embrumé.
- Je vous montre.
Mlle Hortense sortit, d'une jolie boîte en métal, plusieurs spécimens colorés et assez réussis. Leur apparition provoqua des commentaires et des ressentis chuchotés. Les petits se rendaient compte de la difficulté et en même temps, ils rêvaient en secret de pouvoir faire aussi bien.
- Allez, on y va. Mais en silence ! Je vais mettre un peu de musique pour nous accompagner.
- Oh Madame, ça rentre comme dans du beurre ! s'exclama Antoine.
- Qu'est-ce que je viens de dire Antoine ?
- Oh pardon maîtresse !
*
Alors, Mlle Hortense passa tour à tour près de chaque petit groupe, prodiguant ses conseils bienveillants.
Dehors le temps maussade d'automne donnait une couleur de plomb au ciel d'octobre. Et le vent et la pluie se disputaient la priorité dans la cour de l'école, à celui ou celle qui collecterait le plus de feuilles détachées du platane centenaire.
Les gouttes inclinées de l'averse emprisonnaient dans des flaques déjà plusieurs exemplaires. Le vent, de son côté, empilait en une formidable pyramide sa récolte, recouvrant ainsi, sous le préau, les trottinettes et les mini-vélos parqués, d'une multitude de post-it de couleur ocre, rouge ou jaune.
*
Bientôt la neige hivernale viendrait napper de son blanc manteau toutes les surfaces au sol. Mais aussi le toit des maisons du village, les massifs de buis ou les haies de tuyas et bien sûr les houpiers déplumés des charmes, hêtres ou chênes, compagnons éphémères du seul platane cultivé et philosophe.
*
Tout deviendrait alors comme un gâteau immense couvert de crème glacée. Mais d'ici-là, la maîtresse aurait beaucoup enseigné à ses merveilleux petits enfants, tous encore modelables.
=O=
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