La fracture du temps
Depuis ces derniers mois, des phénomènes étranges et pour certains habitants des plus inquiétants, se produisaient dans la région. Et dans tout le pays, les chaînes nationales reprenaient le fil de ces évènements dans des flashs spéciaux.
Éclairs, souffles dévastateurs, visions de villes dans le ciel, apparitions d'engins volants non identifiés impliqués dans des batailles féroces, en signe évident de guerre. Depuis peu, on rapportait la présence d'individus d'origine inconnue qui erraient comme hagard dans les rues de certains villages, dans les campagnes et dans les vallées de montagnes.
John vivait dans un chalet dédié à la surveillance du Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises. Il organisait des balades de pleine nature et des activités de détente dans un contexte de lac d’altitude et de site géologique exceptionnel.
La présence incomparable de l’Étang de Lers, lac naturel situé à 1264 mètres, offrait aux visiteurs en quête de grand air et de nature, un espace nordique, un parcours de pêche, et surtout des circuits de randonnées. Autant d'animations qui permettaient d'échapper à l'ennui et à la routine quotidienne et stressante des villes polluées et bruyantes.
Le site présentait des qualités minérales et de nombreux scientifiques venaient pour rechercher des pierres rares ou inconnues, comme l'olivine ou l'herzolite, roches d'origine magmatique. Mais pour d'autres, amateurs de pêche, il offrait la possibilité de taquiner la truite fario ou le saumon de fontaine sur les bords de l'étang dans un cadre exceptionnel.
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Dans son chalet, véritable espace de convivialité, il arrivait que l'on fête de petits évènements de la vie comme des anniversaires. John organisait pour l'occasion une soupe à base de poissons, ce qui forçait l'admiration de ses visiteurs dont certains venaient de l'Espagne toute proche. L'endroit devenait alors très cosmopolite et restait malgré tout spartiate. La toilette se réalisait au lavabo ou à l'extérieur avec un tuyau et compte tenu des températures assez fraîches, on ne s'éternisait pas trop.
Après bien des soirées et des sorties mémorables, vint ce jour où il accueillit un groupe d'individus qui semblait venir d'un pays lointain. Les hommes et les femmes parlaient une langue étrange ponctuée par des bruits sonores. Il lui fallut réaliser parfois des croquis ou désigner physiquement les choses pour qu'il se fasse comprendre.
Ces gens portaient des vêtements, près du corps, qui leur donnaient une allure très athlétique. Souvent, à la nuit tombée, ils sortaient sous la voûte céleste si lumineuse et formaient un cercle de méditation. Mais ce comportement grégaire n'inquiétait guère notre guide et tout au contraire suscitait son admiration qui appréciait que ses visiteurs respectent la nature et le calme permanent des lieux.
Il maintenait le contact avec la civilisation, en se rendant le plus souvent possible au marché de Massat. Il prenait des nouvelles, conversait avec les élus et quelques connaissances. Il ne manquait pas l'occasion d'embrasser ses parents au domaine familial. Il profitait de l'opportunité pour échanger avec la maison du parc pour assurer un compte rendu des activités des derniers jours écoulés.
En allant prendre une boisson chaude et une viennoiserie à la boulangerie Couleur café, il découvrit à la une du Midi Libre que des phénomènes étranges se produisaient ces dernières semaines dans toute la région. On signalait des flashs lumineux, le passage dans le ciel des engins inconnus, la rencontre avec des individus désorientés qui parlaient un langage inconnu.
Et depuis peu, on évoquait l'implication des services de l'État sollicités par les élus et les associations, qui organisaient des enquêtes. Mais rien ne filtrait suite à ces investigations. Et pour cause, car ces incidents inquiétants duraient quelques minutes et les visiteurs étranges se volatilisaient presqu'aussi vite qu'ils apparaissaient.
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John pensa alors que le groupe qu'il hébergeait depuis deux jours s'apparentait à ces descriptions. Son cerveau se mit à bouillonner. Devait-il en parler, signaler leur présence à la gendarmerie ?
Il décida de se donner 24 heures pour réfléchir. Sans doute ne resteraient-ils pas. Il ne décelait pas d'animosité à son encontre, à part ce langage étrange et ces vêtements qui épousaient les corps, comme une deuxième peau. Alors qu'il remontait au volant de son 4x4 vers sa maison par la piste forestière, il passa un appel sur le réseau du Parc pour informer de son retour à sa base.
Mais rien ne se passa comme prévu.
Son véhicule stoppa d'un coup, en panne. La radio qui crachait de temps à autre se tut. Il régnait un grand silence autour de lui. Pas de vent, pas de chant d'oiseau. Même le gave qui descendait en contrebas glissait sans bruit.
Une lumière plus forte que le soleil à son zénith, vint occuper tout l'espace. Le chemin, les sapins, la terre et la petite rivière semblèrent alors disparaître devant l'intensité lumineuse. Une onde sonore très vibrante et agressive bourdonna aux oreilles du guide et des douleurs vinrent le lanciner à ses tempes.
Le ciel s'ouvrit et dans une fracture, une déchirure, un engin volant traça une ligne et disparut dans cette sorte d'anomalie atmosphérique.
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John se sentait mal, nauséeux.
Il dégoulinait de sueur et son cœur battait à se rompre.
Mais il reprit le contrôle.
Que s'était-il passé ?
La radio cracha des bribes de nouvelles et le véhicule se remit en route spontanément. Dehors, tout semblait à nouveau dans son état naturel. L'eau chantait en contrebas entre les rochers et des oiseaux se répondaient à travers les sapins.
Sauf que. Là. Dans sa tête. Il entendait à présent quelqu'un lui parlait très distinctement.
- John, on revient ! On sera plus nombreux ce soir. J'espère que ça ne posera pas de difficultés. Si tu peux prévoir un repas plus conséquent et surtout nous cuisiner cette soupe de poissons si délicieuse.
- Oui, oui ! acquiesça-t-il, en bredouillant dans un souffle, à la fois troublé et inquiet. Ok, je ferai le nécessaire.
- Alors, à ce soir, John !
=O=
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