Arrivés à la nuit tombée, nous avions investi une ancienne bâtisse apparemment vide et délabrée. Il nous restait encore plusieurs dizaines de kilomètres à faire, mais la fatigue commençait à nous gagner.

" Demain serait un nouveau jour " comme disait l'expression.

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Un clair de lune nous laissa entrevoir de longs couloirs et d'anciens vitraux. La végétation dans le jardin abandonné d'un cloître s'était introduite un peu partout au fil du temps : par les vitres, les portes et les arcades. Je crus sentir la présence ondulante de chats noirs, sans doute en pleine chasse aux mulots et dérangés par notre arrivée. Un courant d'air, tel un fantôme joueur, vint faire courir bruyamment, comme des gouttes de pluie, des feuilles mortes rescapées du dernier automne.

L'édifice nous apparaissait comme couvert de plaies. Ici ou là, des tags, à la symbolique peu accessible, montraient que les lieux avaient servi de défouloir à des artistes au talent sommaire, accentué par la froide lumière de l'astre sélène. Bien que l'endroit fût plutôt angoissant et morbide avec ces fissures courant sur les murs et ces gravats jonchant le sol, il fallait se trouver un endroit relativement correct pour pouvoir se changer en retirant nos chaussettes, pullovers et t-shirts humides et étendre nos sacs de couchage.

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Curieusement chacun parlait à voix basse, comme sous les voûtes d'une église.

Soudain, j'eus un déclic et je fis le rapprochement. Je me dis que cette infrastructure ancienne avait été le siège d'une abbaye. Et comme pour me donner raison, j'entendis distinctement dans la nuit, le tintement cristallin d'une cloche, pourtant très faible, qui semblait nous enjoindre au plus grand recueillement.

Et tout aussi soudainement, il me revint le souvenir de visites de nombreux édifices dédiés à la prière, la retraite ou l'ermitage. Abbatiales, cloîtres, cathédrales, chapelles, couvents ou églises, tous offraient, une fois à l'intérieur, une source d'inspiration et souvent, l'apaisement venait une fois en assise sur une chaise de bois en paille tressée ou sur un long banc sombre patiné par l'usage. J'aimais me perdre dans les plafonds aux courbes en arc brisés qui dessinaient comme des parts de gâteaux.

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Sans doute, avec un peu d'imagination, pouvait-on y voir une promesse d'élévation suprême.

Ce voyage dans mon passé amena mon regard mental vers des vitraux, parfois issus de demeures les plus humbles, et me laissa envahi par des lumières émanant d'un soleil matinal en drapés multicolores, constellés de poussières. Certaines miettes irisées vinrent inonder le visage d'un moine, d'une nonne, d'une famille en prière ou tout simplement les grandes dalles de pierre au sol, l'une ou l'autre des statues, les tableaux ou le mobilier.

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Ces lieux, par essence même, vivants bien qu'inanimés, remplissaient de joie, pour qui venait le coeur meurtri ou l'âme en peine.

Je revins dans l'instant présent. Marc nous indiqua qu'une pièce offrait un accueil à peu près correct pour récupérer et dormir, à l'abri du vent et de l'humidité. Alors, nous le suivîmes en colonne pour ne pas heurter au sol, des obstacles nombreux et en ordre aléatoire, difficiles à appréhender dans la relative pénombre. En se penchant d'un côté ou de l'autre de celui qui me précédait, je devinai le faisceau de la lampe torche de notre chef de patrouille qui éclairait notre déplacement...

Une fois installé, notre meneur nous adressa un " bonne nuit ", presque chuchoté. Chacun lui répondit comme dans un dernier soupir. La fatigue me gagna très vite et malgré l'inconfort du sol froid, tout juste atténué par l'épaisseur d'une toile cirée posée en tapis de sol et le molletonné du sac de couchage, je fermai les yeux. Cela eut pour effet de relâcher tous mes muscles. Je me mis en méditation, l'esprit s'élevant et vadrouillant dans les courbes harmonieuses et abandonnées.

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Bien que cela fut impossible, j'entendis très distinctement et avec le plus grand étonnement, les voix harmoniques d'un chant en latin, émanant de moines à la prière du soir pour complies...

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