Plein de petits cailloux

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J'attendais que tu me reviennes et je disposais tout autour de ma maison, plein de petits cailloux pour que tu retrouves enfin le chemin.

*

Assis dehors sous la varangue, sur mon grand canapé éclairé par la lune, j'attendais la bonne fortune. Pour éviter d'attirer trop de papillons de nuit, je préférais allumer des chandelles. Et au lieu de me morfondre, j'invitais la poésie, car elle seule m'offrait le privilège de deviner des formes dans les bougies fondues.

*

Alors je revis notre vie ensemble.

Comme dans un tourbillon, je plongeais dans nos souvenirs, sous un ciel démonté où le vent inventait une course pour amuser les nuages. Je prenais chaque jour des cheveux blancs et ma peau se ridait de nos infortunes.

Je t'imaginais naviguer dans la ville et fréquenter des lieux sordides à travers des ruelles sales du vieux port. Je te voyais te mélanger à des foules bigarrées, comme noyée au milieu de beuveries, sans doute pour oublier tes mauvais rêves. Et quand tu rentrais de tes virées nocturnes, je sentais sur toi le parfum des autres, les vapeurs d'alcool et les fumées de cigarettes, perdus dans tes larmes. Alors j'hurlais dans notre chambre, " c'est écrit ! c'est ça notre vie. Et tu veux que je te pardonne ? "

*

Je partis, sans me retourner, perdre mon chagrin aux fins fonds des plus grands continents.

Je m'interrogeais si le monde se réduisait à mon quotidien. Est-ce que tous les hommes pareils à moi, quelle que fût leur couleur de peau, blanc, noir, rouge, jaune, créole, vivaient les mêmes mésaventures et subissaient de tels destins ? D'abord, bien avant des terres éloignées, je traversais l'Europe, me demandant pourquoi il semblait aisé de voyager, sans l'ombre d'un douanier.

*

Puis j'entamais un African tour avec un opérateur photographe, pour découvrir les parcs naturels du Kenya et de la Tanzanie.

Ces grands espaces me semblaient éblouissants et les animaux simplifiaient les choses. La cruauté des prédateurs répondait au besoin évident de survivre. Et toute la chaîne alimentaire en profitait. Ici, je ne voyais nullement de tromperies, d'assassinats, de dualités. La loi de la savane imposait ses exigences dans un mouvement permanent et millénaire. Le lion régnait sur ses femelles chasseresses, l'éléphante patriarche sur sa troupe, les hyènes en bandes hilares et les babouins en unités de campagne, prêtes à déloger le butin du léopard ou du guépard.

*

Je pensais en voguant sur les océans, à notre fille.

Notre Petite Marie.

Tu l'oubliais, incapable de t'occuper d'elle, de répondre à ses attentes et à ses besoins. Pauvre enfant. Elle disparut un soir de pleine lune, emportée par une drôle de maladie dont le nom m'échappait. Elle monta au ciel parmi les étoiles, rejoindre un musicien qui jouaient sur des morceaux de bois, et sans doute que je le confondais avec cette peluche avec laquelle, notre petite s'endormait.

*

Elle ne put même pas se défendre, trop faible.

Et toi et moi, il nous fallut avancer.

Malgré la douleur, malgré le chagrin, on se déchira, se faisant mille reproches. Notre maison et notre chambre devinrent une arène. À tour de rôle, pantin ridicule de l'autre, chaque insulte ressemblait à une banderille plantée sur l'échine. Dans cette corrida sordide, nous nous perdions. Il n'y aurait jamais de gagnant et notre monde n'avait rien de sérieux et nous rendrait malheureux.

*

Pourtant, je ne pouvais me résoudre à cette vie qui jusqu'alors nous refusait le bonheur.

J'avais lu tant d'histoires, rencontré des couples au destin heureux. L'amour existait partout quel que fût l'endroit où je regardais. Il résidait là dans le ciel, dans les moindres recoins de l'espace. J'en rêvais et même la pluie m'apportait dans chacune de ses gouttes des parcelles de tendresse. Je le voyais dans les montagnes et les vallées. Dans les rivières, jusque sur les plages où des gens s'endormaient parfois, nus sur les galets, dorés par le soleil.

*

À force de broyer du noir dans ma case sous les tropiques, à deux pas de la plage de la Cabane du pêcheur, j'oubliais que le monde bruissait, si proche. Au fond de mon canapé, je devinais les lumières du village voisin et parfois, le vent me portait des nouvelles, des rires et des chants, les rythmes endiablés d'un zouk ou d'une samba.

*

Je recomptais les planètes et les constellations dans le ciel.

J'écrivais de futiles poèmes où les phrases que j'inventais se perdaient dans les traînées éphémères des comètes ou des étoiles filantes.

Je fondais l'espoir que quelqu'un écoutât mes prières.

Je voulais juste une chose, que tu me reviennes !

Je t'aimais, je t'aime, je t'aimerai !

=O=

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