Tatiana subissait depuis des semaines tant de rejet. Elle ne supportait plus rien. Sa vie ressemblait à un désastre. Et comme par hasard, les catastrophes s'enchaînaient les unes au autres.

*

Tout commença à son travail.

Très fatiguée après des jours d'insomnies et de douleurs lombaires, elle se présenta en retard à son boulot et ceci à plusieurs reprises. Et plutôt que d'en parler avec le médecin du travail ou son référent santé, elle préféra laisser courir en se disant qu'elle arriverait à surmonter ce passage à vide.

Des agents de l'accueil-sécurité remontèrent ses horaires de travail effectif à son département. Convoqué, son manager lui adressa les remontrances d'usage et en profita pour lui signaler que le rendement de son travail laissait à désirer. Elle devait se reprendre. Et surtout trouver le moyen d'être à l'heure.

Alors, contre toute attente, elle craqua. Elle se confia à lui. Et par chance, elle reçut une écoute, ce qui semblait plutôt rare dans la boîte et qui plus est, dans ce métier de la publicité. Il posa une main compatissante sur son épaule et l'encouragea de la voix à donner corps à ces retards répétés et son manque d'enthousiasme dans son activité créative.

L'échange permit alors de dédramatiser la situation et ils convinrent d'organiser autrement son job. Il proposa un ou deux jours en télé-travail par semaine pour lui éviter les aléas des transports. Elle essuya ses larmes sur un mouchoir en papier qu'il lui passa. Un coup d'oeil dans la baie vitrée donnant sur l'open-space lui montra le reflet de son visage et les cernes accentuées par le mascara qui traçait de petits sillons noirs.

Mais ce ne fut que le début d'une sorte de boucle infernale. Une fois rentrée à son domicile, elle reçut un appel de la directrice d'école qui souhaitait la rencontrer dans les meilleurs délais. Alors son sang ne fit qu'un tour. Son fils unique Adrien, dont elle avait seule la charge depuis le départ ou plus exactement, la fuite de son conjoint, avait-il des difficultés ?

Le soir-même, elle se rendit à l'école primaire de son enfant, à quelques stations de métro. Adrien l'attendait en bordure de la cour, sur une aire de sable, utilisé par les petits pour jouer aux boules. Dès qu'il la vit, il courut vers elle et se jeta dans ses jambes et la serrant très fort. Elle sentait à travers son chemisier soyeux, ses mains qui imprimaient des empreintes dans son dos.

Alors elle n'eut de cesse de le réconforter. L'enfant put ainsi se libérer. Il s'ennuyait dans sa classe et dans son école. Tatiana se savait consciente depuis longtemps des aptitudes de son fils, au-dessus de la moyenne, mais elle ne disposait pas des ressources pour le confier à un autre établissement qui prenne en charge sa singularité.

Pourtant l'échange avec la directrice permit d'apaiser les choses. Cette dernière lui suggèra de contacter une école privée au nom évocateur des Cinq Sens, située dans un autre quartier pas très éloigné de son domicile. Compte tenu de sa situation matrimoniale, elle pourrait peut-être bénéficier d'une aide financière et inscrire son enfant afin qu'il puisse s'épanouir.

Tatiana réalisa que cette journée se déroulait de manière très différente de toutes les autres. Quelque chose se passait. En acceptant de fendre l'armure et grâce à la bienveillance de son entourage, elle voyait se dessiner un avenir plus serein.

Sans doute qu'elle obtiendrait des victoires après toutes ces années de galère en Europe de l'Est. Ce nouveau pays, terre d'asile l'accueillait et l'acceptation pas les instances nationales de lui réserver une place, compte tenu de ses compétences et de sa situtation personnelle, et surtout des risques qui menaçaient sa vie dans sa nation d'origine représentait une chance formidable.

Rejetée et loin de ses racines, sans aucune famille, elle voyait enfin l'opportunité de s'ouvrir à un avenir plus radieux pour elle et son petit garçon.

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