En attendant Émeraude
En ce dimanche chaleureux du mois d'août, midi sonnait au clocher de l'abbatiale bénédictine Notre-Dame, fondée au XIème siècle par le Comte de Bellême. La petite ville aux 1100 âmes de Lonlaix-L'Abbaye s'énorgueillissait de détenir un monument si prestigieux dans ce département de l'Orne, connus pour ses bocages, vergers et collines au sud de la Normandie.
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Pierre, jeune paysan d'une bonne trentaine d'années, s'installa comme à son habitude dans un transat près de la margelle en calcaire du puits devant sa ferme de La Brousse. De là, il pouvait admirer les bois environnants et les champs retournés après la moisson. Et dans le talweg, il entendait le murmure chantant de la jolie rivière de l'Égrenne. Le soleil presqu'au zénith éclaboussait la façade de grès et rehaussait l'enduit au sable et à la chaux.
Il vivait seul au milieu de ses animaux domestique et d'élevage qui profitaient de la lumière dans la cour pavée, cernée de nombreux bâtiments. Des arômes prononcés inondaient tout l'espace à mesure que la température s'élevait. Aldo, un très beau cheval de trait percheron piaffait dans son box. Il espérait que Pierre le sorte dans la journée car il aimait lui aussi ressentir la chaleur sur sa robe au ton chocolat bien qu'elle tirât en vieillissant vers le gris pommelé.
Des oies blanches vinrent parader en cacardant tout en se dirigeant vers leur maître pour réclamer des épluchures de légumes dont elles se montraient friandes. Quelques lézards de murailles couraient en sifflant entre les herbes puis remontaient le long des pierres des murs d'enceinte pour prendre leur bain de lumière et se conter les derniers potins.
Le vent se leva enfin, par de petites brises et ramena vers le propriétaire des odeurs agréables de cuisine et de café. Le ciel très bleu offrait au regard des messagers en forme de nuages blancs épars qui dessinaient des contours insolites d'animaux, des personnages célèbres et parfois un joli cœur.
Pierre sortit de l'appentis à bûches un parapluie aux couleurs de l'arc-en-ciel pour s'offrir un peu d'ombre car il commençait à cuire. Plutôt étonnant comme protection se fit-il à nouveau la réflexion. Il en avait fait l'acquisition sur un coup de tête dans une brocante de Domfront. L'objet, qui tenait davantage d'un parasol avec ses immenses baleines, le mit en joie dès qu'il l'aperçut. Alors ils repartirent ensemble.
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Pierre attendait sa visiteuse dominicale.
Elle semblait un peu en retard.
Il avait réalisé pour elle, un vieux casque américain chiné dans un stock militaire. À l'intérieur, il avait glissé du foin pour constituer un nid et des œufs de poules qu'elle aimait beaucoup. Il la baptisa du nom d'Émeraude, en raison de ses belles couleurs moirées de vert et de jaune qui bénéficiaient à son camouflage tout-terrain de couleuvre.
Très agile, elle pouvait se déplacer dans l'eau, onduler sur terre et même grimper dans les arbres. Elle mesurait un peu plus d'un mètre. Il aimait par-dessus tout son ventre blanc qui tranchait avec son dos si luisant.
Alors qu'il se perdait dans ses pensées, il saisit sa planche à dessin et reprit son esquisse au crayon des corps de bâtiments de la ferme et de tous ses occupants. Vers 13 h00, il se leva et s'étira pour soulager ses épaules et ses lombaires. Sûr d'avoir entendu des sifflements, la fuite éperdue du coq et de sa cour confirma son intuition.
Avec précaution, il se dirigea vers la citerne et regarda dans le casque caché derrière l'un des piliers. Émeraude se trouvait là et se dressa prête à mordre. Le jeune homme se mit en retrait et l'observa reprendre sa place, à digérer son repas. Pierre tenait à cet instant précieux, en parfaite connexion avec la nature qu'il aimait tant et il mesurait la chance de profiter de chaque moment.
L'automne pousserait bientôt les feuilles des ormes et des hêtres dans la cour et sur la surface lumineuse de la rivière. L'hiver, plus clément de ces dernières années, viendraient blanchir les sillons. Le travail ne manquerait pas et les journées seraient sans doute longues et harassantes.
Mais il ne renoncerait pour rien au monde à son univers de campagne et surtout il attendrait avec un bonheur, à chaque fois renouvelé, le retour d'Émeraude.
=O=
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