Le garçon et la baguette de pain (R. Doisneau)

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De prime abord, ce qui m'a tout de suite touché dans cette photo un peu surexposée d'un petit garçon courant dans la rue, une baguette de pain presque aussi grande que lui sous le bras, était la ressemblance avec le petit garçon que je fus.

Mais bien sûr, ce n'était pas moi car la plupart des clichés de Doisneau datent des années 40 ou 50 et pour ma part, je n'arriverai dans ce monde qu'en 1957.

Pour l'occasion, j'ai décidé d'appeler ce gamin Pierre et je dirai qu'il a entre six et huit ans. La scène se situe dans une ruelle de Paris, mais difficile de préciser l'arrondissement. Courant sur un trottoir impeccable sans trace de déchets ou d'averse récente, l'enfant longe une façade dont il vient de dépasser une entrée.

Je dirais qu'il fait chaud ou doux, peut-être par un matin ensoleillé. L'ombre de l'enfant se détache sur le sol et curieusement dessine une chaise à dossier vue par le côté. Le cliché se fige dans un arrêt sur image alors que les pieds de l'enfant ne touchent pas le sol.

Pierre rentre vraisemblablement de la boulangerie du bout de la rue. Dans une main, il tient une grande baguette et dans l'autre, la monnaie de la course qu'il n'a pas dépensé en confiserie car c'est un petit garçon honnête et franc. Il a sur le visage une joie de vivre étonnante avec un beau sourire qui illumine ses traits au point d'estomper la modestie de ses vêtements. Sa mère a dû lui demander de quérir du pain pour le déjeuner et il semble que cette corvée mette notre petit Pierre en joie.

Il porte un pantalon court, sans longue manche, avec des bretelles. Sur le haut du corps, un petit pullover col en v et sans manches à mailles Jacquard par-dessus un polo clair. Les pointes du col dépassent de chaque côté du cou et font penser à des ailerons d'avion. Au bout de ses pieds, de chaussures claires à sangles surmontées de socquettes. Difficile de préciser la couleur avec une photo en noir et blanc, mais je suppose malgré tout que le gris domine.

Cheveux courts, oreilles bien faites, des yeux ronds et rieurs, un petit nez, des fossettes obliques de chaque côté de la bouche ouverte soulignant des joues rondes et découvrant de jolies dents. Il semble en bonne santé et ne pas souffrir d'un quelconque manque. Ses bras et ses jambes sont bien proportionnés. Je dirais qu'il mesure entre un mètre dix et un mètre vingt.

*

Pierre sort de la boulangerie Renard dans la rue des Pyrénées avec une baguette longue, bien blanche et moelleuse sous le bras. Avant que la porte vitrée ne se referme, Pierre lance à la volée :

  • Au revoir m'dame !
  • À bientôt Pierre. Le bonjour à ta maman !
  • J'lui dirai !

Il débouche sur la place Gambetta et prend à main droite dans la rue Belgrand avec l'intention de passer par le square Vaillant, histoire de croiser ses potes pour prendre des nouvelles. Il fait beau et l'air du printemps propose une douceur qui donne envie de flâner. Les tilleuls et les acacias commencent à s'éveiller et fleurir.

Soudain Pierre remarque ce photographe un peu dégingandé qui prend des clichés près de l'entrée de la station de métro en direction de la fontaine centrale de la place. Il s'arrête pour l'observer. L'homme se déplace à présent et lui passe devant pour, sans doute, choisir un autre angle de prise de vue.

Pierre est un enfant curieux par nature et il semble apprécier ce personnage qui vole des morceaux de vie au temps qui passe. Il reprend son cheminement pour ne pas se mettre en retard et décide de courir. En arrivant à hauteur de l'individu, il entend un bruit de déclencheur alors qu'il rayonne dans la lumière du matin. Avant de traverser la rue Belgrand, il adresse un signe et un sourire au voleur d'images qui l'a surpris en pleine action. Puis sans attendre davantage, il rejoint le square.

Il ne faut pas qu'il tarde de trop. Depuis la disparition de son père, accidenté sur un chantier du bâtiment, Marthe, sa maman, doit faire face à des dépenses pour élever seule son enfant. Alors elle réalise des ménages, du repassage et de la couture. Du reste, c'est elle qui adapte les vêtements de son fils en récupérant des pièces de linge dans des friperies.

La vie est difficile et elle ne veut pas que Pierre en pâtisse. Mais le gamin a tout compris depuis longtemps. Il éprouve pour sa mère reconnaissance et infinie tendresse car malgré les journées longues, celle-ci lui consacre toujours un moment pour l'aider à finir ses devoirs ou simplement pour lui expliquer une situation. En retour, le petit garçon lui ramène de petites courses, range sa chambre et la seconde pour mettre ou débarrasser la table.

En rentrant à la maison, après avoir grimpé au premier étage d'un immeuble ancien du quartier, le gamin prévient sa mère.

  • M'man, j'suis rentré !

Sa mère en l'entendant depuis la chambre où elle range du linge s'en trouve rassurée.

  • Pose le pain sur la table et la monnaie dans le cendrier à l'entrée ! lui lance-t-elle d'une voix douce.
  • Oui M'man, répond-il un beau sourire sur les lèvres et le visage plein de fierté. J'peux prendre un verre de lait ?
  • Oui sers-toi ! Mais pas trop. On va passer à table bientôt.
  • J'pourrai sortir tout à l'heure. Les copains sont au square.
  • On verra, on verra. Tu veux bien mettre la table ? lui demande-t-elle en revenant vers la cuisine.
  • Hum, hum. Oh tu sais pas ?
  • Non ! Mais tu vas me le dire.
  • Ben, j'ai vu un photographe sur la place. Il prenait en photos les gens qui passaient dans la rue ou qui se rendaient vers la bouche de métro.
  • Et alors !
  • Eh bien, j'crois qu'il m'a pris sur le chemin du retour. Tu crois que j'vais être célèbre ?

=O=

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