Épisode 01 - Un visiteur inattendu

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 Le manque de tact de mes contemporains me plonge toujours dans la plus grande perplexité. Ma vie est une mécanique complexe et bien rodée dont l'efficience et la perfection repose sur la routine et la certitude. Je n'ai pas de place pour la perplexité dans mon univers. Pourtant, ce jour-là, elle est venue knocker à la porte de mon atelier avec la main de mon majordome.

 J'étais plongé dans l'étude d'un délicieux tableau attribué à Peter Tillemans soumis à mon expertise par le centre d'art britannique de Yale. C’était une petite scène de chasse à courre du 18e siècle. Potentiellement une œuvre préparatoire du célèbre “Parcours circulaire de Newmarket” ou l’on voit un cavalier chuter de cheval. J’observais comment les coups de pinceaux se fondaient les uns dans les autres dans une symphonie de couleur pour former le pelage de la monture. Sans oublier d'admirer cette lumière orangée rasante typique du style de Tillemans qui donnait du relief à l’ensemble. Je dus prendre trop de temps à répondre à la sollicitation sonore des phalanges frappant le bois pour mériter un raclement de gorge de rappel à l’ordre. Charles savait pourtant combien j’abhorre ce type de bruit de bouche.

 — Il est trop tôt pour l’heure du thé Charles, dis-je. Et vous savez que je ne veux pas être dérangé par des problèmes domestiques lorsque je travaille.

 — Il y a un gentleman qui demande à voir Monsieur. Il prétend être envoyé par Grumphy.

 — Je doute fort que ce soit un gentleman. Un homme bien éduqué sait qu’il est impoli de faire du tintamarre à la porte des gens sans avoir entériné leur démarche par un appel téléphonique. Mais les étudiants que m’envoie ce bon vieux Grumphy font partie de cette génération qui aime visiter ses amis sans civilités ni raisons.

 — Ce n’est pas un étudiant. Enfin si c’en-est un, il ne correspond pas au profil du genre.

 — Que voulez-vous dire ?

 — Mon expérience personnelle me ferait plutôt dire que c’est une “petite frappe”.

 — De quelle expérience parles-t’on, celle que vous avez vécue au sein de la Marine Royale ou celle, plus précoce, qui vous a conduit à porter l’uniforme ?

 — Ce n’est pas un terme de marine. C’est plutôt le type de mauvaises fréquentations qui m’a amené à fuir la justice Monsieur.

 — N’avez-vous pas usé de votre... charme habituel pour accueillir cet importun ?

 Quand je parle de “charme”, je fais référence au fait que mon majordome possédait un physique aussi massif et avenant qu’une porte de prison. Son regard acéré faisait fuir les malséants aussi vite que s’il avaient rencontrés un dragon soufflant des flammes... ou ma grand-tante Hortense, ce qui est à mon sens tout aussi dangereux.

 — Il semble immunisé contre mon “sex-appeal” et très insistant. Dois-je le faire entrer, ou faire preuve de plus d’amabilité en l’expulsant de la propriété ?

 — Faites-le entrer. Après tout, s'il nous est recommandé par Grumphy, peut-être est-ce pour une activité lucrative. Vous savez combien, quelques subsides tomberaient à point nommé.

 — A votre place Monsieur, je me méfierais de toutes les activités que peut vous proposer cet homme. Et je ne doute pas qu’il va les présenter sous un jour très rémunérateur.

 Quelques instants plus tard, alors que je recouvrais la toile de Tillemans pour éviter les regards indiscrets, mon majordome se décida à démontrer à notre visiteur combien notre maison est respectable en faisant l’une de ces introduction de l’ancien temps ou les gens de maisons déclamait les noms et titres de noblesses des invités. Pour une fois que Charles faisait des efforts pour coller à l’image du parfait majordome, je n’allais pas lui jeter la pierre. Même s’il est mal avisé de faire ressentir à un invité qu’il ne possède de son côté aucun titre à étaler de façon aussi tonitruante. Je n’en voulais pas à Charles, après tout à l’époque je ne lui payais aucun gages. A domestique donné, on ne regarde pas les dents… ou le sens de la mesure.

 — Monsieur Alexander Petrov, je vous présente le très honorable Sir Alistair P Woodhouse, le 14e Vicomte de Bedshire !

 Pour contrebalancer cette présentation grandiloquente je me précipitais la main en avant, vif comme un politicien un jour d’élection.

 — Enchanté monsieur Petrov, comment va ce bon vieil Hector Grumphy ?

 L’homme au visage allongé et angulaire comme un lame couteau de chasse, probablement d’origine slave, me serra la main de façon virile, puis fit un mouvement de menton en direction de mon domestique par-dessus son épaule en répondant :

 — L’affaire dont je viens vous parler est confidentielle.

 — Laissez-nous Charles. Je sonnerai si j’ai besoin de vous, dis-je en faisant un signe pour lui signaler que tout va bien.

 Charles s’éclipsa en me jetant l’un de ses regards soupçonneux qui signifiaient, qu'à son sens, je faisais une erreur de le congédier ainsi. J’eu l’impression que cet incident allait déclencher l’une de ces petites crises domestiques qui ponctuent la vie du manoir. Je désignais les fauteuils bergère élimés situé à côté de la cheminée éteinte pour convier notre hôte à s'asseoir, puis me dirigeais vers la desserte pour lui proposer une boisson. C’est devant un whisky pour mon invité et un brandy pour moi que notre conversation a pu débuter.

 — Connaissez-vous une œuvre de Raphaël nommée : “Portrait d’un jeune homme” ?

 — Si c’est du fameux tableau emprunté par les nazis au Musée Czartoryski de Cracovie en 1939, je n’en connais que la légende. La dernière fois qu’il a été aperçu c’était dans la résidence d’Hitler en 1945 et depuis il a disparu. C’est un tableau fabuleux qui vaudrait aujourd’hui une véritable fortune. C’est pour cette raison que de nombreux faussaires tentent d’en vendre des copies régulièrement. Vous désirez que j’authentifie une toile qui pourrait-être un candidat possible ?

 — C’est exactement ce que mon patron désire que vous fassiez.

 — Je ne suis pas vraiment un spécialiste des italiens du “cinquecento”, mais je peux déjà éliminer les copies les plus grossières avant de vous adresser à un expert compétent.

 — En fait, mon patron pense que c’est une copie peinte par Bassano.

 — C’est étrange, quelqu’un m’a déjà interrogé sur Bassano et dans ce cas l’expertise sera rapide à faire. Ce faussaire hispanique spécialisé dans les toiles de la Renaissance qui a œuvré principalement dans les années 60 avait tendance à laisser une signature discrète sur les excellentes copies qui sortaient de son atelier. Quand on la connaît, elle est facile à repérer. D'où provient ce tableau ?

 — Connaissez-vous Prométhée ?

 — C’est un personnage de la mythologie grecque connu principalement pour avoir volé le feu sacré de Zeus pour en faire don aux humains. C’est pour celà que ce bon gros bougon de roi des dieux l’a condamnné à une forme de torture raffinée. Chaque jour un oiseau, un aigle je crois, venait lui dévorer le foie qui repoussait dans la nuit pour resservir de repas au volatile le lendemain. Je dois répondre à un quiz avant d’expertiser ce tableau ?

 — Le Prométhée dont je parle n’a rien à voir avec un vieux grec. C’est un voleur de tableaux particulièrement doué qui signe ses cambriolages avec ce nom. Il sévit sur Londres et sa banlieue depuis 2 ans et demi environ.

 — Mais quel est le rapport avec la toile qui nous intéresse ?

 — Monsieur Kravtchenko, mon patron, est…, pour ainsi dire, chargé de la sécurité d’un certain nombre d'œuvres volées par Prométhée. Ses clients sont mécontents et se sont plaint auprès de lui que... l’assurance qu’il leur a vendue n’est pas aussi efficace qu’il pouvaient l’attendre. Monsieur Kravtchenko s’est donc mis à enquêter sur Prométhée et a fini par découvrir que le premier larcin de cet acrobate cambrioleur passé inaperçu il y a trois ans n’était rien de moins que la copie de Bassano dont nous venons de parler.

 — Ha, je comprends mieux ou vous voulez en venir. Et où se trouve cette œuvre picturale en ce moment ?

 — Mais c’est à vous de me le dire répondit le visiteur en sortant de sa veste un pistolet étonnement compact pour le braquer dans ma direction. Puisque c’est vous Prométhée….

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