Episode 04 - Pauline a disparu
Voler “La Ronde sur la musique du Temps”. L'une des toile majeure de Nicolas Poussin détenue par un des plus fameux musée de Londre... Au début, je n’avais pas fait attention au fait qu’Alexander Petrov avait utilisé le titre français de l'œuvre et pas celui, qu’aux Royaumes Unis, la collection Wallace utilise pour présenter cette œuvre. C’est un détail qui avait bigrement son importance, mais qui sur le coup a échappé totalement à ma perspicacité légendaire. J’étais littéralement estomaqué par cette demande qui relevait de l’impossible. Je savais, plus que tout autre, que cette mission rocambolesque posait un problème hautement insurmontable. J’allais en informer mon interlocuteur lorsqu’un nouveau complice entrait dans la pièce.
— Je n’ai pas trouvé la fille, dit-il.
— Tu es sûr que tu l'as bien cherché partout ?
— Mais oui…
Je n’eus pas l’occasion de me concentrer sur la suite de cette conversation signifiant que ma nièce Pauline semblait faire partie de la liste des abonnés absents car Charles s'approchant discrètement de moi me surrura quelques mots extrêmement surprenants :
— “Monsieur devrait accepter la mission”.
Je croyais que la visite de ce fâcheux personnage, la monstrueuse méprise de son patron et l’énormité de la tâche qu’ils attendaient de moi m’auraient vacciné contre toute forme de surprise, mais en entendant ces mots j’ai senti ma raison vaciller suffisamment pour croire qu’un séjour de quelques mois dans un établissement de santé devait être nécessaire.
— “Charles je ne saurais comment mener cette mission au succès. Je pensais que vous vous étiez rendu compte en me côtoyant toutes ces années que je n’ai pas les compétences ou les nerfs pour initier la moindre action criminelle.”
— “Je connais bien ce type de malfrat monsieur. Il est extrêmement hasardeux de leur refuser quoi que ce soit, surtout lorsqu'ils braquent ce type d’arme dans votre direction.”
— “Je suppose que c’est… encore plus imprudent, de lui faire des promesses qui ne seront pas tenues.”
— “Mais vous pouvez gagner du temps monsieur, vous…”
De l’autre côté de la pièce, la conversation en train de s’achever sonnait la fin de nôtre discret conciliabule. Alexander Petrov s’avança vers moi tandis que Charles reculait ostensiblement comme un serviteur zélé pour ne pas se retrouver au milieu de la conversation. La disparition du sourire que Petrov affichait jusque-là était certainement l’indicateur que nous allions passer à l’étape de “la motivation”.
Je ne possédais pas l’expérience de mon majordome sur les us et coutumes de la mafia ukrainienne, cependant j’avais l’intuition qu’il fallait que je m’attende à des menaces pour mon intégrité physique ou ma vie. M’attendant au pire je fus fort étonné par les premiers mots qui sortirent de sa bouche
— Je ne vais pas te frapper ou te casser une jambe. Mon patron m’a demandé de ne pas m’en prendre à toi. Je suppose que tu vas avoir besoin de toutes tes facultés pour faire ton casse. Donc pour te convaincre, j’avais pour projet de faire une petite démonstration sur l’un de tes proches. Ta nièce est introuvable et ton gorille risque de prendre son pied si je le frappe. Je suis sûr que la violence le fait bander.
Joignant le geste à la parole, il décocha un monstrueux coup de poing dans le ventre de Charles. Celui-ci accusa le choc de façon stoïque en laissant échapper un petit toussotement avant de répondre.
— Pour ça il faut me frapper. Pas me caresser comme une midinette.
Le gangster recommença à sourire. Il frotta doucement l'extrémité de son arme sur le visage et la bouche de mon majordome pour lui indiquer de se taire.
Mon dieu, je n’avais jamais rencontré une expression de plaisir aussi vile et effrayante. Cet homme, se délectait par avance de la souffrance qu’il pourrait infliger à mon domestique.
— J’adorerai tester ta résistance. Voir en combien de temps tu me supplierais de t’achever. Mais ce serait trop long pour aujourd’hui. Nous allons devoir remettre ça à plus tard.
Le slave se tourna alors vers moi. Son expression de plaisir sadique maintenant remplacée par une mer de glace de la couleur de ses yeux clairs.
— Mon patron sait que ça peut prendre du temps pour organiser ce genre de casse. Tu as un mois pour voler le tableau. Je reviendrai pour sa livraison. Si au bout de ce délai le tableau est toujours à sa place dans le musée, je réapparaîtrai pour m’occuper de ta nièce. Nous n’avons pas pu faire connaissance aujourd’hui, je trouve ça regrettable. Je saurais comment la trouver pour organiser une rencontre... pas très romantique. Je te déconseille de tenter de partir en voyage. Mon patron prendrait ça comme un refus de travailler pour lui et je serais obligé d’être... beaucoup moins sympathique. Je pourrais même devenir très antipathique, si tu vois ce que je veux dire…
— Je comprends, répondis-je en tentant, sans succès, de ne pas claquer des dents.
— Bien ! Dit-il en distribuant une nouvelle manchette ravageuse dans le foie de mon majordome. Inutile de me raccompagner, je connais le chemin.
Le gangster fit un signe à ses deux acolytes de le suivre en sortant de l’atelier en direction de l’entrée du manoir.
Je me précipitai à l’aide de Charles qui semblait avoir besoin de soutien, mais celui-ci me fit un signe de la main pour me signifier qu’il était un grand garçon qui pouvait prendre soin de lui tout seul. J’ai toujours été admiratif de cette fierté purement militaire qu’affiche mon majordome vis à vis des aléas de la vie. Même face à une apocalypse nucléaire, et cette visite impromptue y ressemble diablement à l’échelle de notre microcosme, Charles est de ces hommes qui savent rester debout pour défier la fatalité en arborant l’un de ces sourires tristes et éternels.
— Si monsieur veut bien me pardonner, je crois que c’est l’heure du thé, dit-il en sortant de la pièce à son tour.
En apercevant ma main en train de trembler, je me rendis compte que mon corps tout entier tremblait comme une feuille d’automne s’accrochant à son arbre désespérément pour ne pas choir comme toutes ses amies disparues. J’avais eu métaphoriquement, moi aussi, mon compte d’uppercut et je ne suis pas comme Charles capable de les encaisser en faisant une bonne plaisanterie. Une simple tasse de thé ne serait pas un breuvage assez fort pour me réconforter. Je m'approchai donc de la desserte pour me servir un verre de brandy bien tassé. Un de ceux que l’on se sert d’habitude pour passer une bonne soirée lecture au coin du feu en fumant un cigare. Ces soirées solitaires qui commencent pleines de promesses et finissent lorsqu’un peu gris, on ressasse le passé, ses occasions manquées, avant de s'apercevoir que l’on ferait mieux d’aller se coucher.
Je m’assis sur l’un des fauteuils près de la cheminée en attendant Charles qui ne tarda pas à revenir avec un plateau pour servir le thé.
— Assoyez-vous Charles !
Mon domestique s'est mis à me regarder d’une façon étrange qui voulait dire “Mais qu’est-ce qui ce passe ?”
— J’ai besoin de parler à l’ami, pas au domestique. On peut arrêter de jouer cette comédie quelques instants ?
Charles restait debout avec une mine suspicieuse comme si le fauteuil bergère sur lequel je lui proposait de s'asseoir était un piège.
— Bon dieu Charles ce fauteuil ne va pas vous manger ! Servez-vous du thé, je serais étonné que vous désiriez une boisson plus forte. Pauline est absente. Elle ne vous en voudra pas d’utiliser sa tasse. J’ai des questions à vous poser et je ne désire pas toiser votre haute stature en contre plongée pendant cette conversation !
Mon majordome remplit les deux tasses se trouvant sur le plateau, puis il s'empare de l’une d’elle, sachant l’autre à ma portée. Enfin, il daigne poser son auguste séant sur le fauteuil en face du mien.
— Charles, je serais direct avec vous. Êtes-vous un voleur de tableaux ?
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