Prologue partie 2 :
M. Scott s'arrêta brusquement et son sang ne fit qu'un tour. Pas de doute, c'était bien la voix d’Heinrich. Il resta planté au milieu du trottoir paralysé par ce cri abominable. Des perles de sueur dégoulinèrent lentement de son front tandis qu’il se mit à trembler. Il déglutit et se retourna lentement. Debout dans la lumière du réverbère, il fixa l’immensité noire d’où le cri était parvenu. Maintenant le silence régnait. Un silence de… il cligna des paupières « non … non, non, non » pensa-t-il les larmes aux bords des yeux. La terreur laissa place à la panique. Il haletait maintenant bruyamment. Il avait dû arriver quelque chose à Heinrich, comment en douter ? Que faire ? Il passa en revue toutes les solutions possibles :
-Demander à son cocher de venir avec lui se battre ?
D'une part sa femme refuserait de le laisser partir ne comprenant pas l'enjeu crucial de la chose, d'autre part aussi loyal que fut son cocher celui-ci refuserait sans doute de le suivre car il avait lui aussi une famille et M. Scott ne pouvait envisager que ses enfants perdent leur père par sa faute !
-Lui demander plutôt de l'amener sur les lieux ?
Non, le temps d’arriver à la voiture et de repartir, il serait trop tard, et l'existence d'Heinrich était cruciale, car, comme celui-ci l'avait fait remarquer plus tôt, avec M. Scott, ils étaient les seuls à connaître la vérité. Si jamais le policier venait à mourir, l’indice du bouton disparaîtrait avec lui et le témoignage de M. Scott, à lui seul, ne suffirait pas !
Alors que faire. Il n'y avait plus qu'une solution, mais celle-ci le terrifiait, s’il ne pouvait se rendre jusqu'à son moyen de locomotion, il n'avait d'autre choix que de rebrousser chemin et de se porter au secours d'Heinrich seul ! Si M. Scott voyait qu'il n'était pas de taille face à son assaillant, il pourrait peut-être avec de la chance s'éclipser sans qu'on le remarque et laisser Heinrich à son funeste sort. Le cas échéant l'aider au mieux en attendant l'arrivée des secours. Une fois sa décision prise bien que douloureuse, il s'efforça d'avancer au plus vite, mais on aurait dit que ses jambes étaient engluées au sol tant elles se faisaient lourdes et refusaient de lui obéir. Chaque pas lui coûtait et plus il réduisait la distance entre lui et la source du cri plus sa vieille blessure l'élançait horriblement.
« Voilà que tu es pétrifié par la terreur mon ami, se dit M. Scott à lui-même, tu n'aurais jamais fait un preux chevalier, un peu de courage bon sang !!! »
Mais le courage tardait à venir, au lieu de ça, l'angoisse se faisait plus présente. Il fit l'inventaire de ses chances. Face à l'ennemi il aurait pour lui l'effet de surprise, mais il ne pourrait en profiter longtemps, il fallait faire vite et bref, éviter tout héroïsme et décamper au plus vite. Étant ensorceleur, il n’avait cependant, pour seul pouvoir, que celui d’effacer et manipuler la mémoire humaine. Un atout certes intéressant, mais qui n’avait aucune utilité au combat. À moins, bien sûr, de parvenir à immobiliser suffisamment son adversaire pour pouvoir retirer de son esprit tout souvenir de sa personne ou le désorienter. Mais là encore, on en revenait à la case départ car cela impliquait qu’il arrive d’abord à en sortir vainqueur, ce qui en vue de ses conditions physiques, n’était pas une évidence. Pour ce qui est de ses armes, il ne possédait rien à part sa canne, mais que faire face à quelqu'un qui savait utiliser « l'Art » lui aussi ou qui possédait une canne de duel et savait s’en servir ?
« Je suis trop jeune pour mourir, se dit-il, je n'ai que soixante ans et je possède encore la plupart de mes dents ! Bien trop jeune pour mourir ! Et qu'adviendra-t-il de ma femme et de ma fille si je quitte cette terre ; auront-elles le courage de s'en sortir et de continuer sans moi ? »
« Sans doute non ! », se dit-il, et il allait rebrousser chemin quand il s'aperçut qu'il était presque arrivé, que le lieu d'où le cri était parti n'était plus qu'à quelques mètres de lui. Au point où il en était, rebrousser chemin eût été ridicule et il ne pourrait plus se regarder dans une glace s’il partait sans essayer. Dans trois mètres, il déboucherait sur la rue perpendiculaire à la sienne. Dans trois mètres, il serait fixé. Il devait envisager toutes les possibilités, se préparer au pire, prendre son courage à deux mains et surmonter la vision d'un cadavre s’il y en avait un, ou du sang, si Heinrich était blessé. Il coinça l'enveloppe contre la fermeture de son pantalon, et se cramponna à son bâton comme si sa vie en dépendait, et ce serait peut-être bien le cas si par malheur on l’attaquait.
Mais, il constata avec surprise que dans la rue perpendiculaire à la sienne il n'y avait rien, absolument rien ! C'était une rue bien éclairée, et les pavés reflétaient la couleur orangée des lampadaires. M. Scott eut beau tourner sa tête de tous côtés afin d'y trouver un corps ou de comprendre la raison d'un tel cri, il n'y en avait pas ! Peut-être avait-il rêvé ? Non, ce cri était bien réel et il l'entendait encore résonner dans ses oreilles. Où était passé Heinrich ? Avait-il pu rentrer sain et sauf chez lui ? M. Scott ne connaissait pas son adresse, il n'avait que son numéro et ne pouvait donc pas se rendre chez lui pour vérifier s'il allait bien. Cette histoire ne sentait décidément pas bon et quand M. Scott avait un mauvais pressentiment, en général il ne se trompait jamais. Il remarqua qu'il avait marché sur quelque chose. Un liquide poisseux lui éclaboussa les chaussures. Il se pencha en surélevant son pied sur le rebord d’un lampadaire, pour les essuyer d'un revers de la manche. Le liquide était épais et pourpre. Il n’y avait pas vraiment de doute sur ce que c’était. Comme hypnotisé, M. Scott se baissa et y trempa le doigt : c’était encore chaud. Il vacilla et tomba en arrière les fesses sur la pierre fraîche du trottoir quand il réalisa que la flaque dans laquelle il marchait, était une large flaque de sang !
Là, au beau milieu d'une rue déserte, son ennemi avait œuvré. Il ne savait pas comment il s'y était pris pour en cacher le corps (s’il y en avait un du moins). Oui, cette histoire ne sentait décidément pas bon.
Que faire maintenant ? Il valait mieux encore qu'il rentrât chez lui au plus vite. Le danger n'était pas écarté et plus il tardait sur le lieu, plus il augmentait ses chances de faire une mauvaise rencontre. Par exemple, un passant pouvait surgir et l'accuser ou pire le tueur pouvait le prendre par surprise !
Il reprit ses esprits, regarda une dernière fois l’obscurité et bien que difficilement, il se remit debout assez vite. Sa respiration devint saccadée et sans hésiter un instant il fonça vers sa voiture. La peur au ventre, il ne voulut même pas prendre la peine de vérifier si c’était bien le sang d’Heinrich, s’il était toujours en vie ou non, ou s’il pouvait trouver un indice. Pour M. Scott, il n’y avait aucun doute. Ils l’avaient attrapé et bientôt ça serait son tour, s’il ne marchait pas plus vite. Malgré la douleur lancinante de sa jambe qui le retardait comme d’habitude, il accéléra au point de courir quasiment. Enfin courir ! Il clopinait plutôt, mais pour la première fois depuis longtemps il ne poussa pas le profond soupir à chaque fois qu'il s'appuya sur sa jambe droite car la peur lui en avait fait oublier la douleur. Il avançait si vite qu'il ne mit que quatre minutes pour rejoindre sa voiture là où il en avait presque mis quinze à l’aller. Des larmes coulaient sur ses joues tellement la peur le prenait aux tripes. Si ça se trouve, on l'observait même en ce moment !
A son approche le cocher sursauta, tant M. Scott l’avait pris par surprise et était si pâle et déconfit qu'il avait cru un bref instant à un fantôme. Pressé de quitter les lieux au plus vite, M. Scott n’attendit même pas que son cocher reprenne ses esprits, et monta lui-même. N'ayant qu'une chose en tête : retrouver le confort et la sécurité de son chez lui. Il aboya ses instructions à son employé avant de claquer la porte derrière lui.
Sa femme fut surprise de son attitude quelque peu belliqueuse et le questionna sur sa conduite. Mais il repoussa toutes ses questions. Lorsqu’elle insista un peu plus il lui somma de se taire. Plus inquiète que vexée par cette attitude elle cessa de discuter tout en gardant un œil craintif sur son époux. Ce n'est que lorsque qu'ils quittèrent les bas quartiers que M. Scott retrouva un semblant de calme, son cœur battait la chamade et il n'arrivait plus à se concentrer. Il n’avait pas osé jusqu’alors regarder à travers le rideau qui masquait la fenêtre pour voir la rue. Ses yeux n’avaient pas quitté l’intérieur de la voiture, il avait bien trop peur. Mais en voyant sa femme lui lancer des regards inquiets mais pleins d’amour, en regardant sa fille dormir paisiblement, souriant à un rêve, il se dit qu'il y avait là quelque chose de beau et de rassurant. Il se dit que tant qu'il serait ainsi entouré il ne craindrait rien ni personne. Fort de ce constat, il put enfin se ressaisir et remettre un peu d'ordre dans ses idées.
Que s'était-il passé ? Qu'avait-il donc entendu ? Heinrich était-il mort ?!! Il n’avait même pas pris le soin de le vérifier. Tenaillé par la peur et mu par l’instinct de survie, il avait lâchement fui, laissant le jeune homme à un triste sort. C’est ce qu’il supposait néanmoins avec le cri qui avait déchiré le silence de la nuit et cette coulée de sang… Mais y avait-il seulement un espoir que le jeune policier soit toujours en vie ? Ou prisonnier de ses malfaiteurs après avoir été lourdement blessé ?... Non sûrement pas. Il n’avait vu aucune trace de rose, ni de corps par la même occasion, mais il en était certain : si Heinrich était mort ce soir c’était uniquement à cause de leur discussion et de leur découverte. Le cerveau avait été d’une quelconque manière au courant de leur rendez-vous pourtant tenu secret. Il avait par la suite sûrement pris peur et voulu se débarrasser des témoins gênants ou en charger son sbire. La théorie que détenait Heinrich était des plus compromettantes, et par les photos des suspects qu’il lui avait transmises, M. Scott en savait trop lui aussi. Mais le tueur était-il au courant que c’était lui qui détenait le fameux dossier à présent… ? Dans ce cas il ne lui restait plus que quelques minutes à vivre. Son sort était scellé. Il fallait au plus vite qu’il se mette en sécurité … lui ainsi que sa famille ! Sa femme, sa fille, pas une seconde il n’avait pensé au danger qu’il amenait avec lui en courant à la voiture ! L’assassin aurait pu le poursuivre, le tuer sous l’œil du cocher endormi et aurait fait de même pour son enfant et son épouse afin de faire disparaître les traces.
Mais une autre question le taraudait. Y avait-il suffisamment de sang répandu sur le sol pour qu'un homme en meure ? A cette dernière question M. Scott pouvait y apporter une réponse. Un homme avait en moyenne quatre litres de sang dans le corps, c'était beaucoup et en même temps peu. M. Scott se rappela du petit incident de la veille ou il avait malencontreusement renversé sa bouteille d'eau sur le sol de son bureau. Sa bouteille contenant à peu près trente-cinq centilitres, l’étendue de la flaque de sang était-elle plus importante ? Se rapprochait-elle plus de ce qu'aurait pu faire une bouteille d'un litre ? Y avait-il quatre litres de sang sur le sol ? En y réfléchissant bien la quantité volumétrique de sang devait avoisiner les trente ou quarante centilitres. Pas de quoi tuer un homme. Sans doute le fruit d'une blessure, si quelqu'un l'avait agressé, assommé et transporté au loin il y aurait sans doute eu des traînées sur le sol. Or ce n'était pas le cas, il n'avait rien constaté de tel pas même des gouttes de sang aux alentours. Cela voulait sans doute dire, que suite à un accident, une chute ou une agression (M. Scott n'était pas encore prêt à en écarter l’idée) Heinrich avait perdu du sang mais pas en quantité suffisante pour mourir. Suite à cela, lui ou quelqu'un avait dû plaquer quelque chose sur sa blessure pour en empêcher l’hémorragie, ce qui expliquait l'absence de sang ailleurs qu'à cet endroit précis. Après cela, il était parti ou on l'avait amené de gré ou de force quelque part !
Heinrich n'était sans doute pas mort, voilà ce que lui disait sa raison. Un lourd poids disparut de sa poitrine, Heinrich était vivant ! D'ailleurs si le tueur à la rose l'avait attaqué n’aurait-on pas trouvé la fleur sur les lieux ? Paranoïaque, voilà ce qu'il était ! Heinrich s'était sans doute cassé la figure et était rentré chez lui se soigner. Cette histoire l'obsédait trop, il était trop tendu, s’il continuait sur cette voie il finirait sans doute avec un ulcère à l’estomac. Par acquis de conscience, il téléphonerait tout de même chez lui dès son arrivée et si ses appels s’avéraient infructueux, il irait aux aurores en parler à la police. Bien sûr, il passerait sous silence ce qu'Heinrich lui avait révélé, car s’il avait raison, trop de personnes étaient impliquées pour faire des confidences au premier venu. Non, de ça il en parlerait à ses amis et ensemble ils décideraient de la marche à suivre ; n'étaient-ils pas, pour la plupart eux aussi concernés ? Le regard fixe, il se jura tout de même d’être à présent continuellement sur ses gardes. Fort de cette résolution, il se sentit peu à peu sombrer dans l'endormissement. Pour finir, bercé par les secousses de la voiture et le son de la pluie qui s'était mise à tomber et qui frappait contre les carreaux, il s'endormit bel et bien.
Il fut réveillé par quelque chose et ne comprit pas tout de suite ce qu'il lui arrivait. D’abord il reconnut par la fenêtre son quartier. Dans deux minutes, il serait chez lui. Mais quelque chose clochait, ils allaient trop vite, bien trop vite ! Il crut un bref moment que la voiture s'était enfin arrêtée et passa sa tête hors de la fenêtre. Il aperçut avec horreur les chevaux s’ébrouer et se cabrer, soulevant avec eux la voiture de quelques centimètres. Effrayés par quelque chose ils étaient indifférents aux ordres de leur maître. Sous l'inclinaison de la voiture, M. Scott sentit son corps se plaquer contre le fond de sa banquette mais il parvint à s'accrocher au rebord de la fenêtre pour continuer à voir. Sa fille était maintenant réveillée et sa femme poussait des cris horrifiés. Pourtant tout se passa très vite et ne prit pas plus de quelques secondes. En un bref instant, la situation fut hors de tout contrôle, les liens qui rattachaient les chevaux à la voiture se brisèrent et la voiture retomba sur le sol violemment. Les chevaux forts de leur liberté poursuivirent leur course effrénée dans la nuit entraînant avec eux le corps du pauvre cocher, qui s'était retrouvé emmêlé à un de leur harnais. M. Scott avait suivi la scène avec effroi voyant le corps de son cocher rebondir avec fracas sur le sol et être emporté dans le sillon de la course des chevaux.
Mais les ennuis de M. Scott ne s'arrêtèrent pas là, car de son côté la voiture n'avait pas fini sa course. Pour leur plus grand malheur ils se trouvaient dans une grande pente, et là où les chevaux prirent à gauche ils continuèrent tout droit. Tout droit contre la barrière d'un petit parc municipal fermé à cette heure. Sous l'impact les gongs des portes sautèrent et la voiture continua sa course quelques secondes encore, avant qu’une des roues de devant ne se brise. Ceci provoqua un déséquilibre et la voiture tomba sur le côté et fit plusieurs tonneaux. Dans la voiture M. Scott ne savait plus distinguer le bas du haut. Son corps fut rudement projeté contre les murs et il heurta même un coin de porte qui l'assomma à moitié. A chaque fois que la voiture heurtait le sol et qu'il croyait qu’elle s'était immobilisée celle-ci se retournait à nouveau. A un moment donné son corps fut comme en lévitation avant de retomber brutalement sur la jambe de sa femme dont un bruit caractéristique lui indiqua qu'il en avait cassé les os. Enfin après une dernière embardée la voiture s’arrêta à quelques centimètres seulement de la mare aux canards. Pendant quelques minutes il n'osa bouger de peur de déséquilibrer leur véhicule une nouvelle fois. Puis il s’autorisa enfin quelques mouvements. Toutes les parties de son corps étaient atrocement endolories, chaque geste était pour lui une torture. Il rampa jusqu'à sa femme. L'os de sa jambe était apparent et celle-ci saignait abondamment. M. Scott enleva sa veste et en fit une compresse contre la plaie, ce qui lui valut des cris de douleurs de la part de sa femme. Celle-ci tenta de lui dire quelque chose mais il n’en comprit le sens que parce qu'elle rassembla ses dernières forces pour tendre la main en direction de sa fille. Par ce geste, M. Scott comprit qu'elle l'intimait de se détourner d'elle au profit de leur enfant. M. Scott rampa comme il put vers la masse jaune et vaporeuse qui en boule se trouvait un peu plus sur le côté. Il retourna le corps de sa fille qui semblait être inanimé et s'aperçut avec effroi que sa main se trouvait maintenant recouverte de sang. Le liquide rougeâtre coulait le long du crâne et de la figure de sa fille, et s'emmêlait dans ses cheveux. Dans un réflexe d’horreur, il retira précipitamment sa main qui retenait la tête de sa fille et celle-ci retomba lourdement. Dans une vision de cauchemar il vit son crâne rouler sur le côté, inanimé. Pourtant elle respirait encore il en était sûr. Leur seule chance de salut était qu'il aille chercher du secours au plus vite, car il n'était pas médecin et n'avait aucun moyen en sa possession pour les aider un peu plus. Un bref instant, il envisagea de hisser sa fille hors de la voiture mais il n'en avait pas la force. A peine s’il lui en restait pour se hisser lui-même. Il prit cependant son courage à deux mains et parvint dans un grand effort à se mettre debout. Il se hissa à l'aide de tout son corps par la fenêtre qu'il avait ouverte quelques minutes plus tôt et qui se trouvait maintenant au plafond. Puis, une fois à l'extérieur et à plat sur le côté de la voiture, il se laissa choir et atterrit sur le sol dans une roulade n'ayant pas la force de se relever une seconde fois. Là, étalé de tout son long sur l’herbe, il essaya de reprendre son souffle et ses forces puis entreprit de ramper jusqu'en haut de la pente qu'ils avaient préalablement dévalée. Il n'avait pas fait six mètres, qu'il avait déjà besoin de s'arrêter pour faire une pause. A ce train-là il n'arriverait jamais à sortir du parc avant le lever du jour et qui sait ce qu'il adviendrait de sa fille et de sa femme s’il ne se dépêchait pas. Mais il était perclus de douleur et quelque chose lui piquait méchamment les fesses. Il passa sa main au-dessus de son postérieur et en sentit une bosse. Il se souvint du dossier qu'il avait roulé en boule et plaqué contre l'élastique de son pantalon ; dans l'accident le dossier avait migré droit dans ses sous-vêtements. Satané dossier ! Et si tout ceci n’arrivait que par sa faute… ?! Il le retira rageusement et le posa à côté de sa tête. Il reprit encore une fois son souffle car rien que cet effort-là lui avait coûté. Il ne se sentait pas bien et sa tête tournait dangereusement, sa vision se brouillant peu à peu. Ce n'est que très difficilement qu'il vit des chaussures noires, pointues et luisantes s'avancer dans sa direction. C’était donc ça le bruit qui s'intensifiait de plus en plus, des pas !! Il était sauvé ! Puis un mauvais pressentiment l’envahit…
La personne se tenait maintenant au-dessus de lui et le regardait en souriant ; M. Scott ne comprit que trop tard que son destin l'avait rattrapé. Heinrich, avait raison et était sans doute trop intelligent pour rester en vie. Car M. Scott reconnut en l'homme « le cerveau ». Le cerveau lui-même et non un de ses acolytes s'était déplacé pour lui offrir le repos éternel. Tel un ange de la mort, la personne sortit du creux de sa canne, une longue et fine épée qui s'abattit sur lui dans un éclair argenté, le transperçant de part en part. Les dernières pensées qu'il eut furent pour sa femme et sa fille qu'il abandonnait à leur sort, puis pour l'humanité qui se promettait des heures bien sombres. Puis il eut une dernière pensée qui lui parut d’une importance cruciale et pendant un bref instant il sut, pendant un bref instant, il comprit quel allait être l'enchaînement logique de cette histoire, quelle avait été exactement sa place, puis une idée encore plus horrible lui apparut et si tout ça n'avait été qu'une...
Mais il ne put aller plus loin et sa pensée s'interrompit en même temps que sa vie.
Cet homme allongé là-bas recouvert de sang était Monsieur Arthus Prestt Scott, il aurait pu être le protagoniste de cette histoire pourtant comme vous l’avez sans doute compris, c’est le genre de personnage qui dans un livre ne fait jamais long feu…
La personne rangea alors sa canne encore recouverte de son sang. Puis elle sortit de sa poche un briquet, dont elle se servit pour brûler le dossier qu'elle avait ramassé. Elle en brûla le contenu sans même y avoir jeté au préalable un coup d’œil. Puis, évitant de justesse de se brûler les doigts, elle jeta le tout dans l’herbe après y avoir versé du pétrole lampant. L'herbe était sèche en cette saison et comme il avait arrêté de pleuvoir, le feu prit.
Avec un peu de chance, d'ici dix minutes le feu commencerait à brûler la voiture et ses occupants. Que ses passagers y survivent ou non l'inconnu à la cape marron s'en moquait bien, il avait fini son travail et comme toujours cela avait été vite et bien fait. Chaque tête qui tombait le rapprochait de plus en plus de son objectif. Un sentiment de triomphe et d'orgueil s'empara de ses tripes, triste qu'il n'y ait personne pour l'admirer dans sa toute puissance. Avant de remonter la pente la personne sortit de dessous sa cape une rose rouge, qu’elle posa sur le corps sans vie. Puis s'en détourna, sans même un regard sur le feu qui se propageait ou même des gens qui s'en trouveraient bientôt prisonniers. Il passa les débris de ce qui avait été plus tôt une barrière et sortit dans la rue juste à temps pour éviter de se faire voir. En effet, des badauds alertés par le bruit et l’odeur de fumée, commençaient à descendre de leur immeuble pour voir quelle extraordinaire histoire s'était produite pendant le sommeil de leur vie rangée. Quelqu'un avait dû appeler les pompiers car il en entendait maintenant les sirènes au loin. Il fallait croire que la famille de sa victime allait être secourue, peut-être que la femme ou la fille succomberaient des suites de leurs blessures avant l'arrivée des secours, mais selon toute probabilité, il y avait de fortes chances pour qu'au moins l'une d'entre elle s'en sorte, le monde ne pouvait pas toujours être parfait ! Et son rire s’éleva dans la nuit.
Annotations
Versions