Et tout était dans ce désordre ?

7 minutes de lecture

Elena s’accroupit devant le tapis roulé. Le policier s’était finalement rapproché pour le rapport, mais le tapis était dans une drôle de position. Elle se tourna vers lui.

- Vous l’avez déroulé ?

- Pardon ?

Avec cette enquête sur leur capitaine elle n’était pas exactement bienvenue.

- Vous avez déroulé le tapis ?

- Nous n’avons touché à rien. C’est comme ça que Jérôme a trouvé l’appart…

- Le capitaine Martel n’est pas de retour ?

Jérôme Costa s’était approché, il avait entendu son nom. Elena le regarda à peine, encore absorbée par ce tapis roulé soigneusement sur un côté de la pièce.

- Non, pas encore. C’est moi qui prends l’enquête, dit-elle et puis en se retournant vers lui : Vous êtes entré en premier ?

- Oui.

- Et tout était dans ce désordre ?

- Oui.

Question débile, mais depuis qu’elle était arrivée sur les lieux elle n’avait eu que des réponses en monosyllabes…

Un policier entra en hésitant sur le couloir :

- Vous avez pu parler avec tous les voisins ? demanda-t-il sans savoir exactement vers qui s’adresser.

Jérôme fit un geste d’impatience.

- Karim, tu as fait le tour ?

- Il reste l’appartement en dessous, mais il n’y a personne, répondit Karim en haussant les épaules comme pour s’excuser.

- Il y a une dame…

Le visage de la dame passa rapidement derrière le policier dans le cadre de la porte. Âgée, avec de petits yeux vifs, scrutant non pas l’appartement, se dit Elena, mais les policiers dans la pièce. La femme rencontra son regard et eut un bref sourire moqueur, presque insaisissable.

- Oui, madame, on peut vous aider ? dit Jérôme et il sortit en grandes enjambées.

- Qui a appelé la police ce matin ? continua Elena vers Karim une fois restés seuls.

Karim Lahlou, penché près d’une grande chaise renversée, était en train d’examiner le sol. Mince, des cernes creusés sous ses yeux, ses cheveux fins ébouriffés comme après le passage d’une bourrasque, Elena se dit que sa fille ne devait pas faire ses nuits encore.

Il fit un signe du menton vers la porte :

- La voisine d’en face, Géraldine Fournier. Lorsqu’elle a ouvert la porte tout était comme ça.

- La voisine était ici ? reprit Elena en se tournant également vers la porte. Pourquoi faire ?

- Pour arroser les plantes.

Silence. Puis Karim reprit :

- Elle arrose les plantes chaque fois que le professeur Laval part en voyage. Et elle prend soin du chat du professeur.

- Il est là le chat ? dit Elena surprise.

- Non, dit-il et il continua avec un léger étonnement dans la voix : il s’est échappé peut-être.

L’appartement, un très confortable trois pièces avec balcon, dans un beau bâtiment haussmannien comme plein d’autres dans ce quartier de centre-ville, semblait avoir été décoré avec goût et, surtout, avec beaucoup d’argent, pensa Elena. Des tableaux et gravures choisis d’une main sure dans toutes les pièces, chaises imposantes, une grande bibliothèque en bois massif, avec les livres jetés furieusement par terre, mais à toute évidence beaux livres, un grand vase bleu ancien, brisé, à côté de la porte, plusieurs petites statues en métal renversées ou jetées des étagères avec les livres… Mais qu’est-ce qu’ils cherchaient dans la bibliothèque ?

Et ça continuait : des couteaux au milieu de la cuisine, comme tombés d’un tiroir ou d’une boîte renversée, assiettes cassées, ainsi que quelques verres, puis, dans la chambre, des habits jetés partout, de belles chemises en soie visibles sous le lit, en boule, des papiers partout dans le bureau comme pour tapisser le sol avec les feuilles des cours du professeur… Le miroir brisé sur le couloir… Ça c’est de la vengeance, pensa Elena.

Elle se retourna vers Karim, qui attendait, les yeux rivés sur son téléphone, qu’elle termine son inspection.

- Le rapport ? demanda-t-il.

- Oui.

Du couloir leur arrivait la voix d’un homme en grande discussion, qui finit par entrer dans l’appartement malgré les protestations du policier à l’entrée.

- Monsieur vous ne pouvez pas entrer, s’il vous plait !

- Vous voyez les gens comment ils sont, madame Fournier ? dit-il vers la voisine restée quelque part derrière.

- C’est une horreur, monsieur Ricci, répondit la voisine depuis le couloir.

- Monsieur, reprit le policier en lui touchant le bras.

A côté de lui, l’intrus lui arrivait à peine à l’épaule, un homme dans la cinquantaine passée à juger par son visage, bien en chair, qui regardait avec avidité autour tout en continuant ses phrases malgré les protestations du policier.

- Le professeur, il était très populaire, messieurs, pas comme les autres propriétaires… et regardez ! continua Frédéric Ricci en montrant vers l’appartement avec un geste de désolation.

Le policier à la porte le poussa doucement vers la sortie.

- Ils s’acharnent contre lui, je vous le dis, monsieur Ricci, reprit la voisine depuis le couloir. Et la police n’est jamais du bon côté, écoutez-moi !

- Monsieur Ricci, demanda Elena depuis la porte du salon, vous voyez le professeur Laval souvent ?

- On ne le voyait presque jamais… c’était un grand homme, répondit-il avec un soupir en se laissant finalement conduit dans le couloir.

Jérôme passa à côté d’eux en revenant dans l’appartement, regard malicieux, à peine retenant un sourire. De la même taille qu’Elena, sinon plus petit, et presque même âge, avec un visage en partie caché par une barbe épaisse, encore noire, et un début de calvitie au sommet du crâne, il était aussi, dans cette nouvelle brigade, celui qui montrait le plus son désaccord avec ses décisions.

- Qu’est-ce qu’elle voulait ? demanda Elena.

- C’était la voisine qui a appelé la police, Géraldine Fournier, expliqua-t-il et puis en se révisant, …savoir si on a une piste.

- C’est un peu tôt. Elle a entendu quelque chose ?

Il hocha la tête. Karim reprit ses notes.

- Elle a 76 ans, à la retraite, connait le professeur Laval depuis plusieurs années, cela fait environ un an qu’il lui demande d’arroser ses plantes pendant son absence.

- Et de prendre soin de son chat… compléta Elena en regardant un joli cadre avec une esquisse d’une forêt en été.

- Comment ?

- Elle prenait soin de son chat ? reprit Elena.

- Ah, …. euh, oui. Doonc, c’est elle qui a appelé à 10h17 ce matin pour signaler que le professeur a été enlevé.

- Il a été enlevé ? demanda Elena.

- Euh…, fit le policier en montrant d’un geste impuissant le décor autour d’eux.

- Je suis désolé capitaine, intervint Jérôme, mais c’est évident qu’il a été enlevé… je veux dire pour quelqu’un avec beaucoup d’expérience comme nous, c’est évident.

Elena se tourna vers lui. Malgré ses 40 ans passés dont 20 dans la police, elle semblait toujours une petite demoiselle fraichement sortie de l’école aux yeux de ces vieux loups aguerris sur des scènes de crime. L’idée la fit sourire, Jérôme n’était pas beaucoup plus âgé qu’elle, et Karim, qui venait d’entrer dans la trentaine, avait intégré la police depuis deux-trois ans à peine.

Karim reprit :

- On est arrivés vers 10h45, la porte était ouverte, elle était encore ici.

- Elle avait trouvé la porte ouverte ?

- Non. Fermée à clé.

- Personne n’avait rien entendu ?

- Non, j’ai interrogé les autres voisins, rien de spécial.

- Et comment elle a su que le professeur était en voyage ?

- Il l’avait prévenue la semaine dernière qu’il serait parti dès ce matin.

- Elle l’a vu quand la dernière fois ?

- Euh… la semaine passée, il semblerait, mais elle ne se rappelle pas très bien le jour, « mercredi peut-être après le passage du postier ».

- Donc il y a…. on est quel jour aujourd’hui ? fit Elena en se tournant vers Jérôme.

- Jeudi, dit celui-ci surpris.

- Merci, continua promptement Elena en retenant un sourire, Donc il y a 8 jours. Et pour les autres voisins ?

- Simon David, au premier étage, la cinquantaine, agent immobilier, l’a croisé mardi au coin du parc lors de son jogging, le professeur allait à l’université, mais il semblait énervé de le voir, il n’a pas répondu au salut…

- Il y a deux jours ? Vers quelle heure il fait son jogging ?

Karim la regarda médusé.

- Je ne lui ai pas demandé.

- Vous pourriez le faire ?

- Oui…

- Quelqu’un d’autre ?

- Non.

- Des querelles ? Des gens qui venaient ici… ?

- Pas grand-chose. Il y avait des patients, mais sans problème pour les voisins. Et puis, madame Isabelle Bertrand-Muller, à l’étage au-dessus, me disait qu’il y a eu un problème il y a quelques jours avec le chat du professeur.

- Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Il a fait peur au petit chien de madame Bertrand-Muller.

- Vous avez demandé pour le chat.

Court silence. Visiblement il avait posé la question par rapport au chat.

- Personne d’autre ?

- Les autres ne savaient pas de qui il s’agit…

- Personne ne l’a vu partir en voyage ?

- Euh… Non.

- Les voisins d’en bas n’ont pas entendu le bahut ?

- Personne ne répond.

- Ok. Vous avez trouvé un agenda ?

- Non.

- Téléphone ?

- Fixe, dit Karim et montra le téléphone arraché de son socle et jeté avec les autres objets sur le parquet.

L’équipe scientifique entra et, après les salutations, se faufila à côté d’eux dans les pièces.

Elena reprit :

- Ordinateur, tablette ?

- Rien.

- Cahiers ? Dossiers des patients ?

- Dans le bureau, fit Karim timidement.

- Il faudrait embarquer tous les papiers que vous trouvez.

- C’est prévu, intervint Jérôme.

- Parfait alors, dit-elle machinalement, l’état de l’appartement l’intriguait. La porte avait été forcée ?

- Comment ?

- La porte, on avait forcé la serrure ?

- Non, aucun signe.

- Et les fenêtres ? dit Elena, mais ils étaient au troisième étage quand même.

- Fermées.

- Vous avez trouvé les clés ?

- Quelles clés ?

- Les clés de la porte d’entrée ?

Karim la regarda perplexe.

- Non…

- La serrure se ferme automatiquement ? Sans clés ?

- Il me semble, oui.

- Vous pourriez les chercher s’il vous plait ?

Il fit un geste vers les scientifiques en combinaisons blanches. Un flash tout près les aveugla un instant.

- Après leur passage, bien évidemment, il y a le joggeur entre temps.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire bluesoll ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0