- Je cherche… euh monsieur Gabriel Mélinot. Elena Brama, Police Nationale.

Devant elle, l’accueil de l’AFA, Agence Française Anticorruption. Mais passant à côté d’elle, un groupe de plusieurs personnes, qui attirèrent toute son attention et firent vaciller sa phrase.

- Vous avez envoyé une demande ?

Elena se ressaisit.

- Je l’ai avec moi, tenez, la D-739, et elle lui tendit le formulaire.

- Monsieur Mélinot, cria la femme de l’accueil en se levant.

- Oui ?

Une personne du groupe se tourna effectivement vers elles. Gabriel Mélinot. Mais il n’était pas le seul à se retourner. Elena s’approcha de lui en ignorant le reste du groupe.

- Bonjour monsieur, Elena Brama, Police Nationale. Vous avez un instant ?

- C’est par rapport à quoi ?

- Le professeur Hugo Laval.

- Ah, Damien, c’est ton dossier, c’est lui votre homme, dit-il en pointant vers un autre homme, la trentaine passée, barbe blonde grisonnante, cheveux à peine clairsemés.

- Tu veux dire que c’est moi le bon interlocuteur, j’imagine, remarqua Damien.

Petit regard étonné de l’autre en s’éloignant. Elena ouvra machinalement le dossier qu’elle avait amené.

- Monsieur Mélinot, fit de nouveau la femme de l’accueil, et la demande ?

- C’est Damien qui s’assurera qu’elle est conforme, répondit-il à moitié tourné vers eux.

Quelques feuillets s’échappèrent du dossier d’Elena et finirent sur le sol. Un des hommes se pencha pour les ramasser, mais Elena ne sembla remarquer rien de tout cela. Damien récupéra les feuillets et l’invita sans un mot à le suivre à son bureau.

- Donc tu enquêtes sur le professeur Laval, dit-il en prenant un dossier et ouvrant la porte d’une petite salle de réunion.

- Bonjour Damien. Oui, c’est exact, dit-elle avec le souffle coupé comme après une course.

- Il a disparu, c’est ça ?

- Il semblerait.

- Mon enquête n’est pas finalisée, tu penses qu’il s’est tiré à cause de ça ?

- La mienne est encore plus loin d’être finie. Mais ça pourrait être une piste, s’il s’est vraiment tiré.

Il lui poussa une chaise. Elena accueilli avec soulagement la sensation du métal froid dans sa main.

- Ce sont les réactions à son étude de janvier qui nous ont mis à enquêter sur sa chaire.

- L’étude sur la grippe ? Quelles réactions ?

- Tu as fait tes devoirs ? dit-il en marquant à peine la question. Les réactions sur internet et dans la presse, ça a fait un énorme scandale.

Il chercha dans son dossier. Damien semblait égal à lui-même, imperturbable, pourtant Elena surprit un regard furtif en sa direction de temps à autre, comme pour s’assurer qu’elle tenait le coup. Ca l’énerva.

- Ce qu’on a à date, reprit-il, une première somme de trente mille euros en janvier il y a sept ans, pour une modélisation de la transmission des virus de type H1N1 au niveau européen sur les derniers dix ans… montant divisé sur une période de cinq ans. Puis une deuxième demande de quarante-quatre mille il y a cinq ans pour élargir l’étude au niveau mondial… et puis en septembre dernier encore cinq pour une étude clinique d’un traitement révolutionnaire de la grippe…

- Cinq mille ?

Il leva les yeux vers elle avec un regard si direct, si sincère, qu’Elena dut poser sa main droite, la main avec laquelle elle prenait des notes, à plat sur le métal froid de la table.

- Soixante-dix-neuf mille euros au total, sept ans de recherche, en plus six conférences avec déplacements et tout payé, pour un article en clôture de l’étude, de dix pages du niveau d’un étudiant de collège… dans Epidemiology Review, tout de même. Il était censé représenter les conclusions du travail de toute une équipe, lui et six assistants au total sur la période, plus les contributions de trois thèses de fin d’étude et d’un doctorat.

- Les thèses ont été validées par une commission lors des examens, non ? L’article a été accepté par le magazine…

Damien eut un petit rire amusé, yeux bleu-vert toujours aussi envoûtants, elle détourna le regard.

- Effectivement. Mais le magazine est géré par Jean-Martial Desmoulins, ancien mentor de Hugo Laval. L’approbation des sommes pour la recherche a été faite sur la base des conférences, brillantes il semblerait. Mais basées uniquement sur des hypothèses et des graphiques du modèle de transmission du virus sans plus de data…

- Qui a écrit l’article ?

- C’est le professeur qui relisait et validait ou réécrivait tout. Lui qui décidait du suivi des essais cliniques, du contenu et de la tournure des recherches… ses assistants mettaient juste en exécution les consignes du professeur.

- Vous pensez qu’il y a eu un détournement des fonds ?

- C’est bien fait. La paperasse est impeccable, pas de traces dans ses comptes.

- Peut-être que c’est juste une étude ratée ?

- Peut-être. Mais… passer tant de temps à travailler dessus pour ça ?

- Il a travaillé sur d’autres choses.

- Les demandes des sommes complémentaires sont très explicites. Et puis, il s’est enfui. J’imagine que tu as parlé toi aussi avec ses assistants avant de venir me voir ?

Elena resta silencieuse, le regard perdu.

- Elena ?

Elle n’y pouvait toujours rien, portant elle s’était promis de passer à autre chose.

- Elena ?

Cette fois la voix était plus personnelle, un brin inquiète peut-être.

- …Oui, j’ai parlé avec eux. Il a disjoncté quand il a eu l’info. Mais son appart est saccagé.

- Tu penses qu’il a été enlevé ?

Même sollicitude, Elena continua à répondre sans le regarder.

- Je ne pense rien, j’essaie de comprendre. Il aurait pu faire accuser quelqu’un de son équipe, ou tous, or il les a juste virés le jour même.

- Je ne sais pas… ça a tout l’air d’une accusation pour moi. Tu ferais quoi toi pour protéger ta réputation ?

Elle le regarda sans un mot, les deux mains appuyées à plat sur la table.