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Le soleil assommait la petite foule de badauds. L’odeur du bitume, du café et de la friture lui prit les narines. Jacques avait beau dévisager les bâtiments, lire le nom des rues, les confronter à sa mémoire, la petite ville qui l’entourait ne lui revenait pas. Il n’avait pas la moindre idée de la manière dont il s’était retrouvé ici. Il s’appelle Jacques Morelli, il a quarante deux ans, il n’est pas marié, n’a pas d’enfant, travaille pour une compagnie d’assurance à Lyon, place des Terreaux, partage le même bureau depuis douze ans avec son collègue et seul ami, Bertrand Martin. Il s’appelle Jacques Morelli, il habite un petit appartement près de la rive au soixante rue Saint-Georges, avec son chien, Castor, un bâtard de dix ans qui pue le vieux et souffre d'arthrite. Il s’appelle Jacques Morelli, il a quarante deux ans, hier il a fait sa journée de bureau, est parti à cinq heures sonnantes, comme à son habitude, et il s’est réveillé dans une chambre d'hôpital au beau milieu d’une ville inconnue. Cette histoire n’avait aucun sens. Il devait rentrer. Quelque part, on l’attendait. Son corps ne mit pas longtemps à lui rappeler son état de fatigue. Il manqua de perdre l’équilibre. Il avait besoin de quelques minutes de repos, d’un instant pour démêler le fil de ses pensées. Ne pas se laisser gagner par la panique. Il trouva un coin d’ombre près d’une boutique, s’adossa au mur. Ses idées s’embourbaient, prises dans une poisse de nausée. On l’avait drogué, c’était certain. Son cerveau affolé croisa les regards inquisiteurs des passants. Ne pas se faire remarquer. Il lui fallait un peu de temps pour se remettre. Il devait trouver un lieu à l’abri des curieux. Un parc, un parc c’était bien.

Il reprit sa route, longea les trottoirs de béton défoncé. Tout lui paraissait si étrange. L’architecture des rues, des immeubles, les feux de signalisation, les plaques de rues et les noms inscrits dessus, rue Peel, Bank, Frontenac, Camirand, Arsenault, et autant d'autres aux références toutes aussi obscures. Sur sa droite, un jardin où quelques gamins jouaient sous les regards distraits de parents empêtrés d'ennui. Jacques repéra un banc vide. Il s’y affala. Ses jambes avaient bien du mal à tenir le rythme. Une vague sensation de vertige refusait de le quitter. Les gosses hurlaient et braillaient dans leurs jeux aux allures de chaos, manquaient à chaque instant de se percuter au beau milieu de leurs courses. Jacques se massa les tempes. La fatigue et les cris lui martelaient le crâne. Que pouvait-il faire ? Il n’avait pas de téléphone, pas d’argent, pas de voiture. Dans sa tête lancinait cet air de country entêtant, dont les paroles ne lui revenaient pas. Jacques se surprit à sentir les larmes lui monter aux yeux. Il ne vit pas approcher la gamine au visage tout crassé de morve et de poussière. Elle s’était arrêtée à deux pas de lui et le dévisageait en silence, comme seuls les enfants savent le faire.

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