Visiblement, vous n'êtes pas amateur de fins d'histoires heureuses. Tant pis pour vous.

Retournons un peu en arrière.

…. je me laisse envahir par les vibrations envoyées par les musiciens du groupe.

L'introduction hypnotise le public, je laisse le son s'évanouir. Silence.

Je surveille Samantha qui me donne le signal, quand elle relève la tête et me regarde.

D'une voix douce , j'entame « I want you ».

Je vois le visage de Samantha se plisser en même temps qu'elle joue ses notes. J'aime sa moue à ce moment-là. Elle relève la tête.

« I want you so ba-a-a-a-a-ad. » Nouvelles grimaces de Samantha, ses doigts glissent, j'adore ses mimiques.

Je continue à l'observer dans l'attente de son signe de tête…

Calme, la chanson incite au repos, voire au recueillement intérieur.

Cependant, je perçois des mouvements agités dans la foule. Probablement un ou deux types que l'alcool rend fébriles.

Je ne vois pas très bien ce qui se passe mais le ou les gars bousculent le reste du public et se déplacent du fond de la salle vers l'avant. Les gens s'écartent pour laisser le passage. Les gars se dirigent vers les premiers rangs. Ce n'est pourtant pas le genre de morceau sur lequel danser un pogo.

A l'approche, je me rends compte que ce ne sont pas quelques gars un peu ivres mais juste une seule personne. Et parfaitement sobre. Je le sais car je la connais bien. C'est ma femme.

Elle était jusque là restée dans le fond de la salle car elle ne porte franchement pas le même intérêt que moi pour le rock.

De plus près, je remarque une crispation, un vilain rictus sur son visage. Ses yeux noirs expriment la colère. Elle vient vers moi et le groupe.

Je continue à observer Samantha dans l'attente de son prochain signe de tête.

« I want you so bad, she's driving me mad, she's driving me…. »

J'attends son signal pour lancer, cette fois d'une voix plus plaintive, comme désespérée « I want you... »

Ma femme se tient maintenant devant la scène. Je la vois s'agiter nerveusement, elle ouvre la bouche pour crier quelque chose que je ne comprends pas.

Je me déplace sur scène en maintenant le contact visuel avec Samantha. J'en ai besoin pour rester connecté avec la chanson.

« ... I want you so bad, I want you-ou-ou-ou-ouh... »

Ma femme dirige son agressivité vers Samantha.

Pourquoi ?

Elle ne la connaît pas, ne l’a jamais vue avant ce soir. Et je ne lui ai pas particulierement parlé d’elle. Quel est le problème ?

Que lui veut-elle ?

Qu'a-t-elle à lui reprocher ?

Ces réflexions embrouillent mon esprit, je m’avance près de l’endroit où ma femme s’est postée.

Mon cerveau n’est plus entièrement connecté au concert mais les répétitions m’ont permis d’acquérir certains automatismes. Machinalement , je chante :

«...she's driving me mad, she's driving me…. »

Les gesticulations de ma femme ont attiré l’attention d’une partie du public.

Je suis placé entre elle et Samantha.

Je comprends enfin les mots que n'arrête pas de crier ma femme : « She wants you, she wants you ! »

Oh non ! Toi et ta saleté de jalousie !

Tu crois que c’est le moment ?

J’aimerais pouvoir rassurer ma femme, lui dire qu’elle se fait de fausses idées.

Que c’est du grand n’importe quoi.

Que je suis à cent lieues d'envisager une relation plus intime avec Samantha.

Mais, en plein coeur de mon concert, je ne peux pas. Avec le groupe, nous avons répété dur pour jouer ces chansons. Le public apprécie. Ce n’est pas le moment.

Je ne peux pas tout stopper maintenant.

Je dois continuer coûte que coûte, je le dois aux autres membres du groupe, je le dois au public.

The show must go on.