Pablo 2
Arrière cour, salle du personnel reconvertie temporairement en salle de danse improvisée.
« Au feu, au feu ! », j’entends des gens crier dans la cour.
C’est raté pour ma danse. Je sors en trombe, suivi par la danseuse.
Effectivement, il y a beaucoup de fumée. Une fumée bien sombre et puante.
Vu ce qui brûle, ce n’est pas étonnant. Panneaux de particules, plaques de polystyrène, tout un tas de saletés hautement inflammables que des ouvriers venaient de remplacer dans la semaine. Ces déchets étaient entreposés dans la cour en attendant l’arrivée du camion de l’entreprise de recyclage. Un camion qui devait passer cet après-midi. Et qui a annulé suite à un blocage routier. Ce bordel n’aurait pas dû se trouver ici. Et maintenant, tout est en train de cramer. La fumée monte au niveau des bouches d’aération de la salle de spectacle. Et elle rentre directement à l’intérieur de la salle.
Je dois rester calme, appliquer les consignes.
Mon téléphone, vite appeler les pompiers. Je compose le 112.
Des personnes sortent de la salle en toussant. Vu ce qu’ils respirent à l’intérieur, il y a de quoi. La fumée les asphyxie.
J’écoute le message préenregistré du 112.
Ce n’est même plus envisageable d’utiliser l’extincteur de secours, le feu est déjà trop important. Dire que j’étais dans la cour il y a quoi... trois minutes peut-être. C’est fou la vitesse à laquelle le feu a pris. Comment a-t-il pu se déclencher ? Il n’y avait personne dans la cour pourtant tout à l’heure.
Les gens sortent de la salle, la main sur la bouche, ils reprennent de l’air à l’extérieur dès qu’ils le peuvent.
« Eloignez-vous de la sortie », je leur crie.
Combien de personnes dans la salle ? Environ cent cinquante d’après les entrées, plus les musiciens et le personnel. En quatre ou cinq minutes, tout le monde pourrait être sorti. Le problème, c’est que ce temps peut être long avec le manque d’oxygène et cette fumée toxique. Certains risquent de tomber dans les vapes. Mais les secours arriveront vite et ils vont s’en sortir.
Pas de panique, je dois rester calme pour bien faire mon job.
Au téléphone, je tombe enfin sur une vraie personne.
Je décris la situation :
– Bonjour, nous avons un incendie à l’ Usine, la salle de concert rue St Roch...
...oui, à peu près cent soixante personnes... le feu s’est déclenché à l’extérieur mais il y a de la fumée à l’intérieur de la salle. A priori, pas de feu à l’intérieur, les gens sortent au fur et à mesure... les sorties ? ...oui, une qui donne sur une cour à l’arrière, c’est de là que je vous appelle... Et la porte d’entrée.
Les gens qui sortent de la salle suffoquent. Je n’aimerais pas être à leur place. Certains paniquent complétement. A l’intérieur, on ne voit rien qu’une fumée noire.
«Eloignez-vous de la sortie, liberez la place pour laisser sortir les autres »
Je dois rester serein, j’ai été réactif , je maîtrise la situation.
Je reprends la communication au téléphone :
– Oui, prévoyez des ambulances, du matériel de réanimation... la salle est complétement enfumée, certains vont avoir besoin d’assistance respiratoire... merci.
Les secours ont l’adresse et les coordonées GPS suite à mon appel, ils vont venir rapidement, tout le monde s’en sortira sain et sauf.
J’ai bien géré. Le truc qui m’ennuie, c’est que je n’étais pas là où je devais être au moment de l’incendie.
J’étais [tranquillement en train de danser] en pause quelques minutes, c’est réglo. Mon collègue [était en pause lui aussi] venait de reprendre le service de surveillance. A la porte d’entrée [à mon poste où j'aurais dû me trouver], mon collègue aide probablement les gens à se sortir de ce côté.
Je dois vérifier, je l’appelle. Première sonnerie, deuxième, il ne décroche pas. Troisième sonnerie, quatrième, je tombe sur le répondeur, je raccroche. Où peut-il bien être ?
Tout à l’heure, quand j’étais à l’entrée et que je suis intervenu pour m’occuper de la femme qui s’énervait au bord de la scène [la même femme avec laquelle je danserai plus tard, pendant l'incendie ], j’ai fermé la porte pour que personne ne puisse entrer[et que personne ne puisse sortir], cela aussi c’est réglo. Je n’avais pas le choix, j’étais obligé de fermer la porte et d’intervenir pour calmer la femme. Ensuite, je l’ai accompagnée à l’extérieur, c’est la procédure, je suis ok.
Après, je me suis [laissé draguer par la femme] assuré que tout allait bien et qu’elle ne tenterai pas de revenir faire le bazar à l’intérieur de la salle. Sur le dernier point, je suis limite avec la procédure.
Les gens continuent de sortir. Combien de personnes sont-elles sorties de la salle ? Soixante, soixante-dix ? Et par la porte d’entrée ? Autant ?
Sauf si elle est toujours fermée. J’avais oublié ce détail.
Faut que j’aille vérifier. Je longe le bâtiment par l’extérieur. Quatre cent mètres à faire, en courant, cela devrait aller vite. Pas de panique.
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