Une piste

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Fille entrouvrit les yeux. L’eau était encore fraîche en ce début d’été, mais elle n’avait pu résister à la tentation. À un quart de lieue du hameau, la rivière se jetait en une série de cascades dans un petit bassin au milieu de la forêt, avant de reprendre son cours. Le lieu était bucolique.

Flottant sur le dos, les bras en croix, les yeux plissés, elle contemplait le jeu des rayons de soleil qui se frayaient un passage au travers des arbres majestueux. Bercée par le frémissement des feuilles agitées par la bise et par le chant des oiseaux, elle se laissait doucement glisser au fil de l’eau. Quand elle fut parvenue à l’extrémité du bassin, là où la rivière reprenait ses droits, elle remonta toute la longueur de l'étang en une trentaine de brasses vigoureuses, jusqu’aux cascades, puis se laissa à nouveau glisser, immobile, telle un crucifix de bois flottant à la surface. L’eau fraîche tonifiait ses muscles fatigués. Ce matin, elle avait couru deux allers-retours jusqu’au hameau, c’était deux fois ce qu’elle endurait habituellement. Tabor avait tenu à enchaîner très vite sa leçon, lui laissant à peine le temps de se sustenter entre la course et l’escrime. Ou plutôt le bâton. Il ne l’avait pas ménagée, enchaînant les techniques avec des exercices censés renforcer ses muscles et tout son corps. Il les lui avait fait répéter encore et encore, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus se relever. Alors, satisfait, il lui avait laissé le reste de l’après-midi. Mais il était temps de rentrer maintenant, la fraîcheur allait tomber sous peu. Elle se dirigea vers la petite crique, et ce fut à ce moment qu’elle le vit. Un jeune homme, à peine plus âgé qu’elle, était adossé à l’ombre du gros arbre.

— Que … que faites vous là ? demanda-t-elle.

— Je profite du spectacle. Celà n'est point interdit, n’est-ce pas ?

Elle rampa dans l’eau, pas question d’en sortir entièrement nue.

— Ma tunique ! Où est ma tunique ?

Elle était certaine de l’avoir laissée sur la grosse pierre, juste sur la berge.

— Ah, ceci serait donc à vous ? minauda le jeune homme en agitant la pièce de tissu ocre.

— Rendez-la moi sinon…

Il éclata de rire.

— Sinon quoi ? Vous sortirez de l’eau telle une chrysalide hors d'un cocon et me poursuivrez en courant nue comme un ver ?

Elle fulmina et s’énerva plus encore devant l’air goguenard de l’intrus qui, plein d’aplomb, ajouta :

— Venez donc la chercher. Je ne vais pas m’encourir et n’ayez crainte, le mal est déjà fait. Je vous observe depuis un moment et j’ai eu tout le loisir d’étudier vos jolies courbes.

Elle rougit. L’importun se leva d’un bond et vint déposer la tunique là où il l’avait prise, sur la pierre. Il recula ensuite d’une dizaine de pas mais resta campé sur ses deux jambes, bras croisés. Il n’avait manifestement aucune intention de lever le camp.

— Allez-vous en !

— Pas avant que nous ne nous soyons présentés l’un à l’autre, ma demoiselle. Mais passez donc quelque chose, il ne serait pas correct de procéder dans une tenue aussi indécente.

Il sourit, narquois.

— Alors tournez-vous !

Contre toute attente, il obtempèra et tandis qu’elle sortait de l’eau en dissimulant d’une main son sexe et de l’autre ses seins, il lui conta à quel point il trouvait l’endroit charmant. D’un geste vif, elle s’empara de la tunique et se retourna face à l’étang pour l’enfiler. Elle n’avait pas même pris le temps de se sécher.

— Voilà … vous pouvez vous retourner.

Le garçon ne se fit pas prier. Quand il s’approcha, elle eut un geste de recul.

— Hé, je ne mords pas! s’exclama-t-il.

— Moi si !

Il éclata de rire. Un rire franc qui découvrait deux rangées de dents parfaites et qui fit frémir ses cheveux blonds coiffés en bataille. Le garçon la dominait d'une tête au moins. Ses yeux étaient aussi bleus que le ciel, elle n’en avait jamais vus de pareils.

— Je suis Gunar.

— Moi je suis Fille.

Il sourit, amusé.

— Oui bien sûr. Je n’en ai pas douté un seul instant. Mais vous avez bien un nom ?

— Mais oui, je suis Fille. C’est ainsi qu’on m’appelle.

— Eh bien enchanté, Fille. Après tout, rarement prénom aura été aussi bien porté.

— Vous n’êtes pas d’ici !

— Non, je suis de Saad-Ohm. Mon Maître m’a envoyé quérir un objet chez un forgeron du coin. J’ai chevauché trois jours pour rien, il semble qu’il s’en soit défait. Ou qu’il n’ait pas envie de me le vendre. Ou encore, que mon Maître se soit trompé.

La jeune fille tressaillit lorsqu’il prononça le nom de la ville. Il poursuivit :

— L’après-midi était déjà bien entamée. J’ai décidé de dormir au village avant de reprendre la route, et une petite promenade a porté mes pas jusqu’ici. J’en suis particulièrement heureux, ajouta-t-il, tout sourire.

— Eh bien Messire Gunar, je vous souhaite le bonsoir. Je dois y aller maintenant.

— Prenez garde de ne croiser quelque rustre. Dans pareille tenue, vous ne manqueriez pas d’attiser les convoitises.

Effectivement, la fine tunique de lin, toute détrempée, ne dissimulait que difficilement les formes qu’elle était censée cacher. Gunar semblait d’ailleurs avoir un mal fou à détacher les yeux des deux petits seins qui pointaient sous l’étoffe et dont on devinait les aréoles sombres. Dans un sursaut, Fille les dissimula en croisant les bras.

— Ah et oui, très joli tatouage ! fit-il en lui lançant un clin d’oeil.

Fille tressaillit. Mais ce fut une décharge d’adrénaline qui la parcourut toute entière quand il ajouta en s’en allant :

— Je pensais cette langue disparue à jamais.

D’un bond, elle le rattrapa et l’agrippa par le bras.

— Qu’avez-vous dit ? s’exclama-t-elle.

— Heu … c’est une langue ancienne non ?

— Je n’en sais fichtre rien ! Je n’ai aucune idée de la signification de ces symboles !

— Ah mais moi non plus ! En outre, je n’ai fait que les apercevoir quand vous batifoliez.

— Aidez-moi ! Pouvez-vous m’en dire plus ?

Il sourit à nouveau, lui lança qu’il lui faudrait pour cela qu’elle le lui montre de plus près. Fille rougit, soupesa le pour et le contre. Elle n'avait aucune envie de se plier à son jeu ! Mais pareille occasion ne se présenterait peut être plus ? Elle s’assit sur le rocher, lui tournant le dos, dégagea une épaule, découvrant l'encrage qui ébordait de part et d'autre de son omoplate.

Gunar s’approcha, hésitant. Il ne put s’empêcher de l’effleurer du bout des doigts, provoquant un sursaut chez Fille qui se raidit.

— Tout doux, jeune demoiselle. D’où vous vient cet encrage ? Qui vous l’a fait ?

— Un Maître Encreur à Saad-Ohm. Je lui avais fourni le modèle.

— Et d’où le teniez-vous ?

Fille, méfiante, prétendit qu’elle s'était inspirée d’une amulette gravée, offerte par un ami. Après tout, ce n’était qu’un demi-mensonge.

— Je n’ai vu qu’une fois quelque chose de similaire. Pas les mêmes caractères, mais ils y ressemblaient.

— Où ? Dites-moi où c’était !

— Chez mon Maître. J’y ai vu un objet gravé avec des caractères semblables, il appartenait à un de ses amis. Il y avait plus de symboles mais je jurerais qu’il s’agit de la même langue.

— Que fait votre Maître ?

— Il est forgeron.

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