Le Repos du Guerrier
Lorsqu’elle se présenta le lendemain pour s’enquérir des directives, une surprise attendait Fille.
— Comment ça, pas besoin de moi ? Mais…
— C’est Aurore qui est chargée du bain ce soir.
Aurore ! Fille l’avait croisée il y a quelque temps. Une jeune femme rousse, flamboyante, avec de grands yeux d’un vert profond.
— Et pourquoi donc ? Je suis certaine que Dame Layna préfèrerait que ce soit moi.
Dwan soupira, manifestement exaspéré.
— L’ordre vient de la Maîtresse elle-même.
Fille tressaillit. Avait-elle fauté ? Manqué de respect à sa maîtresse ? Un sentiment étrange et inconnu l’envahit. Un mélange de frustration et de colère, d’envie aussi. Et de déception. Était-ce donc cela la jalousie ? Dwan ne manqua pas de remarquer le mécontentement de la jeune fille.
— Je ne sais ce que tu t’imaginais, fit-il. Le Légat rentre ce soir de sa tournée d’inspection, il a eu maille à partir avec des rebelles, j’imagine que notre Maîtresse souhaite que tout soit parfait. Aurore sait y faire, elle est expérimentée.
— Et que suis-je censée faire alors ?
— Tu pourras en profiter pour assister la Cheffe de rang dans la préparation de la salle de banquet. Si toutefois ce n’est pas trop demander à Méédêême.
Elle fulmina devant le ton moqueur de l’eunuque mais n'eut d’autre choix que de se plier à l’évidence. Tout Premier Cercle qu’elle était, elle n’en demeure pas moins une employée de maison. Elle s’éloigna, plus vexée encore que déçue, tandis que Dwan lui portait un vilain coup :
— Que croyais-tu donc ? Que tu accédais soudainement à la Cour et que tout t’était dû ? Apprends donc à tenir ton rang !
***
— Bon retour chez vous, Mon Seigneur.
— Le bon jour, ma Dame. Relevez donc la tête, cette attitude ne vous sied pas.
Quoique Layna fût plutôt grande, Ronan de Neixtador, Légat du Roi pour les Provinces de l’Ouest, la dominait de plus d’une tête. Du milieu de l’index, il lui souleva le menton. Ses mains, immenses, laissaient présager d’une grande force. Il avait le visage hâlé et buriné des soldats qui ont passé plus de temps sur les champs de bataille que dans les palais.
— Grands Dieux, vous êtes plus belle encore que lorsque je vous ai quittée ! C’est faire injure à votre beauté que de me présenter à vous dans cet état.
L’homme était couvert de poussière. Sa chevelure hirsute et sa barbe négligée témoignaient des longues chevauchées des derniers jours. Pourtant, ses yeux gris clair brillaient d’une intensité qui trahissait son désir. Il étreignit longuement Layna.
— Vous sentez le cheval et la bête, murmura-t-elle à son oreille.
Ronan s’écarta lentement et passa sa main sur le visage de la Courtisane, tout en chuchotant à son oreille :
— Vous devrez vous en accommoder. J’ai faim de vous et ne saurais souffrir de plus attendre. Menez-moi donc à nos appartements, si vous ne voulez pas que je vous prenne devant tous ces gens.
***
L’aube n'allait pas tarder à pointer. Ronan était déjà bien réveillé. Couchés sur le côté, en chien de fusil, les deux amants s'imbriquaeint si parfaitement l'un dans l'autre qu'il eut été impossible de glisser une étoffe entre le torse de l'homme et le dos de la femme. Ou entre son pubis et ses fesses. Dieu qu'elles étaient douces, se dit-il. Il ne résista pas à la tentaion et oscilla lentement du bassin, prenant garde à ne pas la réveiller. Sans succès. Elle entrouvrit les yeux et se fendit d'un doux sourire.
— Comment pouvez-vous encore être aussi dur après une si folle nuit d’amour ? lança-t-elle d'une voix encore tout ensomeillée..
— Le bon jour, Reine de mes nuits.
— Je ne suis point Reine, pas même épouse.
Le Légat se mordit les lèvres. Il avait tendu à la belle le bâton pour le battre. Le sujet du mariage demeurait entre eux un point de discorde. La Courtisane savait ce qu’elle voulait et ne semblait pas vouloir en démordre. Maudite femme ! Il était encore juste assez fort pour lui tenir tête, mais trop faible pour renoncer à cette Déesse descendue parmi les mortels dans le seul dessein de satisfaire ses sens et ses mâles désirs. Et les Dieux savaient s’il en avait. C’était tout au début qu’il aurait dû la répudier, ou la faire empaler prétextant un quelconque acte de sorcellerie. Il en serait maintenant bien incapable. La beauté de Layna faisat l’objet de toutes les conversations, jusqu’aux confins des territoires de l’Ordre. Il se disait que même le Roi lui aurait fait des avances appuyées. De mauvaises langues prétendaient qu’elle ne s’y est que très peu opposée et que c’est en s’activant dans sa bouche que le Souverain aurait scellé le sort de bien des malchanceux. C’était d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le Légat la traitait avec autant d’égards. Se la mettre à dos reviendrait à le précipiter en disgrâce voire à signer son arrêt de mort. Maudite femelle ! Qui plus était, là voici qui ondulait doucement des hanches, comme pour le faire durcir plus encore. Si toutefois cela fût possible. Ronan se glissa en elle et constata qu’elle n’aurait pu être plus prête à le recevoir. Calé dans son dos, il allait et venait avec une lenteur infinie.
— Eh bien mon ami, qu’en est-il au final de cette rébellion aux frontières ?
— Tuée dans l’oeuf. Une horde de paysans affamés ou prétendant l’être. Quelques exemples ont suffi.
— Qu’avez-vous fait ?
— Je vous le dis, un exemple. Leur meneur était assez stupide pour imaginer pouvoir négocier à découvert. Sa tête et toutes celles de la délégation qui l’accompagnait pourrissent encore au bout d’une pique.
— Ne craignez-vous pas qu’ils en fassent un martyr ?
— Cela eut pu. C’est la raison pour laquelle nous avons incendié quelques villages.
Au fond de lui, Ronan savait fort bien qu’il faudrait bien plus que quelques huttes incendiées pour mater les voix qui s’élèvaient. Le peuple avait faim et quand il avait faim, il se rebiffait. Lui et d’autres de ses pairs avaient bien tenté d’infléchir la politique du Roi en matière d’impôts, mais soutenu par les vautours assoiffés d’or, le monarque s’était entêté. Un jour viendrait où maintenir l’ordre couterait bien plus cher que les richesses jusqu’ici accumulées.
Entre ses bras, Layna ondulait maintenant sans vergogne et gémissait doucement.
— Vous êtes une fieffée catin. Est-ce donc le récit de ces malheurs et l’évocation de tous ces morts qui vous met dans cet état ?
— Non, mon Seigneur. C’est de vous savoir puissant, craint et respecté. Victorieux aussi.
— Il n’y a aucune gloire à vaincre des paysans avec des soldats, surtout quand ils sont menés par le meilleur Général du royaume. Khaleb abonderait dans mon sens.
Le Général Khaleb Ibn Al Whahid Al Khawf, Commandant de l’Armée de l’Ouest, s’était à l’époque rangé derrière son Seigneur au sein de la fronde des Légats qui s’opposaient à la politique de l’Ordre en matière taxatoire. Il avait bâti sa gloire en combattant les armées ennemies, pas le peuple.
Dans les bras de Ronan, le souffle de Layna se faisait de plus en plus court.
— Vous brassez du vent mon beau Seigneur, pourfendez donc plutôt mon corps de votre vaillante épée. Votre… fieffée catin… ce sont bien vos mots n’est ce pas ? Votre fieffée... ca... tin...
Elle ne parvint pas à finir sa phrase. Ils jouirent de concert dans un entremêlement de râles et de soupirs.
Finalement, peut-être devrais-je la demander en mariage.
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