Prologue
L'homme sait qu’il touche au but. Il le sent. L’instinct du chasseur, probablement. Il éperonne sa monture ; si seulement il pouvait en finir rapidement ! Cela fait près d’une lune qu’il les piste dans cet enfer blanc. Tout ici n’est que neige et glace, figé dans un silence de mort depuis que le vent a cessé de souffler. La pénombre est maintenant bien plus dense. Sous peu il fera si sombre qu’il lui faudra s’arrêter.
Il chevauche un temps encore, avise un arrachement rocheux presque entièrement enfoui sous la neige. Une anfractuosité lui prodiguera un abri de fortune. L’homme peine à ramasser un peu de bois mort pris dans la gangue de glace. Lorsqu' enfin les premières flammes crépitent, seules garantes de sa survie, il ôte sa capuce. La lueur du feu éclaire son visage d’une lumière orangée. Ce qu'il reste de son visage. Une plaie béante dans laquelle deux yeux noirs étincelants de détermination rappellent qu'il fut autrefois un homme. Des boursouflures suinte un liquide jaunâtre, seules quelques touffes de cheveux ornent çà et là un crâne couvert d’escarres et de cloques.
Il paye le prix de son long séjour dans les Territoires Interdits. Quelques jours de plus, et il n'y aurait pas survécu. Les vomissements ont déjà commencé. Il doit en finir au plus vite. Dès qu’il aura accompli sa mission, il pourra rentrer, les médecins auront tôt fait de le remettre sur pied. En attendant, il va devoir dormir. Dans quelques heures, lorsque la noirceur de la nuit fera place aux premières lueurs, il reprendra la chasse.
***
Il enrage. Moins d’une demi-journée qu’il a repris sa traque, et ce qu’il craignait devient maintenant une évidence. Ses proies se sont séparées, les traces ne laissent aucun doute. Il doit maintenant choisir. Va-t-il suivre la piste qui oblique sur la gauche, vers l'est, ou celle qui file droit vers le sud ? Il opte pour la première, il ne veut pas s’attarder dans ces contrées inhospitalières, autant régler ce problème au plus vite. Il lui sera toujours loisible de revenir plus tard sur l’autre piste, celle qui file vers le midi. Vers la douceur. Vers la vie.
Il lui faut repartir. Les fugitifs ont près d'une demi-journée d’avance, il n’est plus question de repos avant de les avoir rattrapés.
L'homme chevauche l’après-midi encore, puis une partie de la nuit, manquant de défaillir sous la morsure du froid. Mais tout à coup, il la voit ! Une faible lueur brille au loin. Personne ne survit à ces nuits sans abri ou sans feu. Lui-même a perdu, l'hiver précédent, deux doigts à la main gauche, emportés par les engelures et la gangrène. Son gibier doit profiter de la chaleur des flammes, probablement endormi. Sûr de lui, le prédateur poursuit calmement sa route. Parvenu suffisamment près de son objectif, il met pied à terre et poursuit sa progression à pas de loup.
S’il n’était à ce point épuisé et pressé par le temps, il trouverait tout ça bien trop facile.
Un très jeune homme, un adolescent, est endormi au bord du feu. Il tient contre son torse un paquet blanchâtre. Il ne se réveille même pas lorsque l’épée du chasseur s’enfonce profondément dans son flanc et vient cueillir son coeur, volant sa vie au passage. Le tueur s’empare du paquet dont s’échappent maintenant des cris et des pleurs. Il plaque sa main sur la bouche et le nez du nourrisson. Le petit être tressaute sous la brutale étreinte mais il n’est pas de taille. L’homme maintient sa prise un moment encore. Son forfait accompli, il dépose le bébé emmailloté auprès du cadavre de l’adolescent.
Il siffle son cheval campé au loin.
L'assassin va s’accorder quelques heures de répit, profiter du feu salvateur, puis il se remettra en route.
Il lui faut accomplir sa mission jusqu'au bout.
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