La gifle

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La jeune Aurore n’en finissait pas de peigner la chevelure noire de jais. Elle n’avait pas pipé mot depuis que sa maîtresse était sortie du bain. Aussi, lorsque cette dernière lui tendit la perche, elle n'hésita pas à s’en saisir. Ce fut sans détour que Dame Layna lui posa la question :

— Que penses-tu de la nouvelle ?

— C’est une intrigante. Je ne lui fais pas confiance. Nul ne sait d’où elle vient, elle n’a même pas de nom.

— Je t’arrête. Aussi bizarre qu’il soit, elle a un nom.

— Sauf votre respect, ma Dame, ce n’est pas un nom.

— Elle est fort belle. Elle est aussi encore très jeune.

Aurore ne répondit pas, mais sa mine renfrognée trahissait ses pensées.

— Serais-tu jalouse, Aurore ?

— Moi, jalouse ? Je ne pourrais jalouser une paysanne. Lorsqu’elle ne se sait pas observée, sa démarche et ses gestes trahissent ses origines. C’est une pouilleuse à peine dégrossie, même si je dois reconnaître que Dwan a fait des miracles.

— Tu exagères.

— Saviez-vous, ma Dame, qu’elle s’est faite prendre par les gardes après avoir fait le mur ?

— Que racontes-tu là ?

— C’était avant-hier. Elle a été interceptée par les sentinelles en tentant d’entrer par la poterne de service, après avoir quitté l’enceinte, bien sûr.

Layna se redressa d’un coup, fronçant les sourcils. Aurore connaissait bien cette mimique, sa maîtresse était contrariée, très contrariée ! La jeune fille jubila et peina à retenir un sourire. Elle enchaîna :

— Elle s’est tellement débattue qu’il a fallu six gardes pour la maîtriser. Le sang lui pissait par le nez et je ne suis pas certaine que son oeil gauche aie déjà dégonflé.

— Pourquoi ne suis-je pas au courant ?

— Madame, les gardes qui l’ont laissée sortir n’allaient pas s’en vanter, ils devaient craindre votre courroux. Ils ont réglé l’affaire avec Dwan.

La Favorite se raidit, pour le plus grand plaisir de la jeune servante. Elle s'agitait dans son bain. Le rituel, habituellement synonyme de relaxation, l'irritait. Layna repoussa la main d'Aurore d'un geste sec. Elle était furieuse, l'affaire allait faire grand bruit. Et cette petite écervelée aux airs de sauvageonne mal dégrossie en ferait fort probablement les frais.

— Tu peux aller, Aurore. Si tu les peignes plus encore, il ne m’en restera plus. Et fais-moi mander Dwan et Fille. Les soldats qui étaient de faction aussi. Je veux voir tout le monde.

La jeune fille ne se fit pas prier. Elle s’éclipsa, partagée entre la perspective d'enfin  remettre cette gamine à sa place et la crainte de ce qu’elle venait peut-être de déclencher.

***

— Tout s’est bien passé ?

— Oui Maître, le chef bucheron était absolument ravi, il m’a chargé de vous remercier. Il a trouvé les cognées particulièrement bien finies et s'excuse encore de vous avoir imposé d'aussi courts délais.

Le jeune homme tendit religieusement au forgeron la bourse contenant le payement de la livraison. L'artisan s’en empara et ne prit pas même la peine de vérifier. Il avait une confiance aveugle en son apprenti. Il l’interrogea sur la façon dont s’était passé le voyage. Gunar décrivit son périple avec ferveur, il peinait à cacher son enthousiasme. Quand enfin il reprit son souffle, son aîné intervint, d’un air faussement détaché :

— Une jeune fille est passée te voir.

— Une jeune fille ?

Gunar contempla son Maître, interloqué.

— Oui, une jeune fille. Fort jolie ma foi. Un vrai rayon de soleil.

— Ne me torturez pas, Maître. Qui donc était-ce ? Son nom ?

— Elle m’a simplement dit s’appeler… Fille. Étrange comme nom, ne trouves-tu pas ?

Le coeur de Gunar bondit dans sa poitrine. Les images l’assaillirent de toutes parts. La forêt, le lac, la jeune baigneuse au corps juvénile avec dans son dos cet étrange encrage. À la fois farouche, sûre d’elle et pourtant d’apparence si fragile. La joute verbale qui s’ était ensuivie. C’était il y avait des lunes, pourtant le jeune homme devinait encore la caresse du vent sur son visage, venant y déposer la subtile odeur de la jeune fille.

— Fille ? Mais … comment est-ce possible ? Je l’ai rencontrée à des dizaines de lieues d’ici.

— Ah bon ? Il faut croire qu’elle est sortie de son trou. Elle travaille au château.

***

Ils sétaient alignés, debout sur un rang. Quatre hommes et une jeune fille. Tous fixaient le sol devant leurs pieds, sauf Fille qui regardait droit devant elle. Dame Layna déambulait sous leur nez, la mine contrariée. Elle n’était cependant pas mécontente d’avoir l’occasion d’affirmer encore une fois son autorité. Sans un mot, la gifle fusa, cinglante, violente, au point de faire valdinguer la tête de la servante indisciplinée. Fille redresse la tête mais baissa les yeux. Sa joue portait la marque cramoisie de la main assassine.

D’une voix étrangement calme, la Courtisane demanda à Dwan de lui détailler les faits par le menu. Une fois qu’il se fut exécuté, elle intervint :

— Et tu comptais me cacher tout ça ?

Dwan acquiesça, penaud. Le ton de la Dame se fit plus dur quand elle s’adressa aux gardes.

— Dites-moi Sergent, sont-ce là les deux soldats qui étaient de faction lorsque la jouvencelle s’est glissée hors du corps de logis ?

— Oui, ma Dame.

Elle se tourna vers les deux soldats qui semblaient vouloir rentrer sous terre.

— Et vous n’avez rien vu ?

Les deux hommes firent non de la tête. Layna interrogeait maintenant Fille, qui confirma s’être glissée par le portail en profitant d’un instant d’inattention des deux gens d'arme. La concubine enchaîna :

— Tu as eu moins de chance au retour.

Elle se tourna à nouveau vers le sergent, lui demanda pourquoi il avait fallu six hommes pour maîtriser une frêle jeune fille.

— Elle s’est débattue comme un démon ma Dame. C’est grande chance qu’elle n’ait pas été armée, la tâche se serait alors révélée bien ardue.

Layna éclata de rire.

— Allons donc, Sergent, si vous disiez vrai, le château serait bien mal gardé.

Elle marqua un temps d’arrêt, posa son regard sur les deux soldats.

— Ce sont ces deux-ci qui sont des incapables. Il ne m’appartient pas de me mêler de l’ordre au sein de votre escouade. C’est vous, Sergent, qui allez déterminer la punition pour ces deux bons à rien. Mais vous m’en rendrez compte, et si je ne la trouve pas suffisamment sévère, je la doublerai ou la triplerai selon mon humeur. Allez maintenant, tous les trois ! Tous les quatre, va-t-en toi aussi, lança-t-elle à Dwan.

Restée seule avec Fille, elle l’interrogea plus avant :

— Est-il vrai que tu leur as résisté ?

— Oui ma Dame, fit-elle, penaude.

— Pourquoi ? C’était stupide. Tu aurais pu simplement obtempérer. Dans un cas comme dans l’autre, ton périple devait s’achever ici même.

Fille baissa les yeux, silencieuse.

— J’attends ta réponse.

— Le … le premier garde ne s’est pas contenté de vouloir m’arrêter. Il a voulu me fouiller.

— C’est là leur procédure, je pense.

— J’ai … j’ai pris peur ma Dame. Quand j’ai senti sa main …

Fille peina à terminer. Layna, qui imaginait très bien la scène, n’insista pas.

— À les entendre, tu as failli mettre en déroute six gardes armés, et ce à mains nues. Est-ce bien vrai ?

— Je … oui, ma Dame.

— Ils auraient pu te tuer.

Fille releva la tête, fixa sa maîtresse droit dans les yeux. Son regard était déterminé. Dur.

— J’aurais pu les tuer, moi. Tous.

Layna cacha à grand peine son trouble avant de lancer :

— Où as-tu appris à te battre de la sorte ?

— Auprès de mon Père, ma Dame. C’est un grand guerrier.

La Favorite sourit, un brin moqueuse. Pour un enfant, un père était toujours un héros. Pas pour elle-même bien sûr, le sien l’avait vendue quand elle avait douze printemps. Mais les morveux avaient tous tendance à idéaliser leurs géniteurs.

— Au moins, tu as un père.

Silence.

La Dame s’approcha de la jeune fille, posa délicatement sa main sur sa joue.

— Au final, tu me seras peut-être plus utile encore que je ne l’imaginais. Mais n’oublie jamais ce que je t’ai déjà dit par le passé. Pour les femmes comme nous, la chair est plus puissante que l’acier.

Fille frissonna sous le « comme nous ».

Layna posa sa deuxième main sur son autre joue, celle encore rougie par la gifle, avec toujours cette douceur extrême. Elle se rapprocha.
Quand les lèvres de sa maîtresse vinrent étreindre les siennes, le frisson laissa la place à une douce chaleur.

— Va maintenant ! Ce soir, c’est toi qui me donneras mon bain.

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