Le tournoi (2/2)
Fille gisait à même le sol, couchée dans la poussière de la zone d'attente, les yeux fixés sur un nuage. Poussé par le vent léger, il semblait en poursuivre un autre, sans se hâter. C'était peut-être pour ça qu'il ne parvenait pas à réduire la distance qui les séparait. C'était tellement ... futile. Comme ce tournoi où des jeunes gens s'affrontaient et risquaient leur vie pour divertir les notables et le peuple.
Elle avait peur maintenant. L'homme en noir l'inquiètait, il dégageait quelque chose de sombre, une aura compacte et noire comme une nuit sans lune. Elle l'avait vu combattre, il se montrait à la fois rapide et puissant, sa lame était aussi précise que son bras était sûr. Maudite maîtresse, dans quel enfer l'avait-elle envoyée ? Et pourquoi, au final ? L'orgueil ? Ou voulait-elle la mettre à l'épreuve ? La punir ? Peut-être s'était elle simplement lassée de son jouet et avait-elle trouvé là un moyen commode et spectaculaire de s'en défaire ? Se pourrait-il qu'elle prenne plaisir à voir sa tête rouler au sol ? Que sous cette peau si douce, derrière ce visage angélique, cette bouche aimante, se cache une âme aussi noire et cruelle que Dwan le prétendait ? Combien de fois n'avaient elles pas voyagé et touché le ciel toutes les deux ? Et tout celà ne serait donc pour elle qu'un jeu ?
Petite sotte. Bien sûr que ce n'est qu'un jeu. Dwan avait raison.
Et Seth ? Seth ? Où diable était-il bien passé ? Si elle survivait, elle ne pourrait jamais lui pardonner ! Mais pour survivre, il lui fallait vaincre le Chevalier noir. Et remporter les deux combats qui s'ensuivraient. Le Chevalier noir ... la boule dans son ventre grandissait à nouveau. Une frisson glacé la parcourut toute entière. Puis vint la nausée. Le haut-le-coeur. Elle n'eut pas le temps de se retourner que le reflux fusa hors de sa bouche pour se répandre dans son cou.
Pouah !
Elle glissa sur le côté, tenta de se relever sur son coude. Tout remonta encore une fois, un liquide jaune et épais, au goût à la fois âcre et infâme, jaillit en une gerbe immonde. Elle de redressa, prit appui sur ses mains et ses genoux, cracha et recracha encore la bile comme s'il se fût agi d'un poison mortel.
Allons, debout !
Elle se leva avec difficulté. Ses bras lui faisaient mal, et puis il y avait cette tension qui lui emprisonnait les épaules et lui comprimait la poitrine. Un rebouteux s'approcha.
— Vous m'avez l'air bien mal.
— Non. Non. Tout va bien.
Effectivement, maintenant qu'elle s'était ainsi vidée, elle sentait ses forces revenir. L'appréhension demeurait, mais son corps répondait présent. Elle s'activa, s'étira longuement. Fichue douleur au bras, pourvu qu'il tienne le choc.
Deux jouvenceaux vinrent la quérir. Ils étaient plus jeunes qu'elle encore et l'invitèrent à les suivre. Leur regard admiratif, loin de lui donner du courage, lui renvoyait en pleine figure sa misérable position. Quelle sotte elle était de se laisser embarquer dans cette cruelle absurdité.
***
Le combat venait à peine de commencer qu'elle déjà subissait la loi de son adversaire. L'immense silhouette noire la dominait de presque deux têtes. Le premier assaut, rapide comme l'éclair, faillit la surprendre, et ce fut de justesse qu'elle l'esquiva d'un pas de côté. Il était si puissant et violent qu'une simple parade aurait probablement eu raison de son bâton. L'homme était sûr de lui. Si elle s'était plue à harceler ses deux adversaires précédents, fondant sur leurs flancs voire leurs arrières quand ils s'y attendaient le moins, elle n'en menait maintenant pas large. La silhouette noire était tout à la fois le chasseur et la meute, elle était le gibier, la biche acculée à une paroi imaginaire, incapable de fuir et bien trop frêle pour faire face.
C'est la peur ! C'est la peur qui te tétanise et qui retient tes coups ! Donne tout ce que tu as, ma vieille, sinon tu finiras ici ! Allez, vas-y !
Elle feinta, initiant un mouvement vers l'avant gauche et faisant mine d'armer son bâton du même côté, comme pour frapper le flanc droit de son adversaire. Mais au dernier moment, alors qu'il s'apprêtait déjà à parer l'attaque, elle se lança dans un pas glissé vers la droite tout en imprimant un large mouvement circulaire à son arme pour l'abattre avec force sur la clavicule gauche de l'homme. L'impact fut violent et lui arracha un cri de rage et de douleur. Il s'éloigna vivement, la foule exultait. Fille, elle, reprenait confiance.
Le laisse pas récupérer !
L'homme avait baissé sa garde, c'était le moment. Elle arma au-dessus de sa tête, mais n'eut pas même le temps d'achever son geste. Vif comme l'éclair, l'homme en noir avait déjà amorcé un large déplacement circulaire.
L'épée fendit l'air dans une ample mouvement de taille horizontal. Fille n'eut que le temps de bondir en arrière. De justesse. Une vague secoua la foule, la clameur qui l'accompagnait lui parvint, distordue.
Dans les tribunes, des spectateurs s'étaient levés d'un bond. Certains la pointaient du doigt.
Ressaisis-toi !
C'est à ce moment qu'elle remarqua le sang sur le dos de sa main. L'homme ne semblait pourtant pas à ce point blessé. Alors l'évidence s'imposa. Sans quitter son adversaire des yeux, en maintenant sa garde de la main droite, elle passa la gauche sur son ventre, la ramena dans son champ de vision.
Elle était toute poisseuse du liquide rouge vif. C'était son sang !
Panique !
Non, ça ne pouvait pas être grave, elle n'avait rien senti sur le coup, et là il y avait juste ... ce léger picotement qui lui irritait le ventre. Il fallait en finir, et vite !
Son adversaire, lui, l'observait, indécis, la tête de travers. Le heaume ainsi penché lui confèrait une allure presque cocasse. Le répit fut de courte durée car déjà, il fondait sur elle. Elle esquiva, suffisament cette fois, pivota sur elle même, tournoya. Frappa !
Le coup porta, imprécis et sans vigueur, pour venir mourir sur le séant du fier chevalier, provoquant un immense éclat de rire parmis les spectateurs ravis. Elle pouvait encore reprendre l'initiative ! Elle feinta, frappa d'estoc. Visa la gorge, juste sous le heaume, mais le coup porta deux ou trois pouces trop bas. L'homme tituba, s'écarta pour échapper à cette ballerine porteuse de mort.
Maintenant !
Elle tournoya une fois de plus, il lui fallait frapper très fort, conjuguer force et vitesse pour ...
Le choc fut violent, il la cueillit dans son élan et vint la frapper à l'arrière du casque.
Elle s'écroula, sonnée. La voix de Seth résonna dans son crâne.
... "chaque fois que tu pivotes sur toi-même, tu offres ton dos à l'ennemi" ...
Elle s'accrocha à la terre, recracha la poussière âcre qui lui emplissait la bouche, se retourna pour se prendre le pied adverse en pleine figure. Son dos puis sa tête cognèrent durement le sol. Un bourdonnement sourd résonna dans son crâne. Elle ouvrit les yeux, incapable de bouger.
La silhouette menaçante était là, immense, auréolée du soleil au zénith. On aurait dit un Dieu. Un Dieu sombre et menaçant dont les deux bras semblaient toucher le ciel. Il brandissait son épée à deux mains, verticale, comme s'il s'apprêtait à l'enfoncer dans le sol. Comme un arpenteur enfonce un vulgaire piquet dans une terre sableuse. La dernière chose qu'elle vit, ce fut cette pointe d'acier menaçante, un mètre à peine au-dessus d'elle. Elle n'eut même pas le temps d'esquiver. La lame s'abattit puissamment, elle vint la percuter en pleine poitrine.
Et puis ce fut le trou noir.
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