En remontant le fleuve Istros

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Les trois barges s'éloignaient paresseusement du quai. Debouts à la poupe de la seconde, Ronan et sa compagne observaient les toits du palais qu'éclairait la lumière rasante de l'aube.

— Il me tarde de rentrer à Saad-Ohm, déclara le Légat. J'ai perdu bien assez de temps ici alors qu'au nord, nos hommes peinent à maintenir l'ordre.

— Que craignez-vous donc ? L'automne passé, vous mettiez vous-même ces tensions sur le compte du petit peuple et vous qualifiez les trublions de paysans peu aguérris. On ne part pas en guerre avec quelques centaines ou même milliers de pouilleux armés de fourches et de faux.

Ronan affichait maintenant une mine bien sombre. Après quelques instants, il reprit :

— Toute cette agitation autour de la capitale n'annonce rien de bon. Et l'absence du Légat Sigfried Indurasson à une convocation royale ne me dit rien qui vaille. Il se retranche derrière des impératifs sécuritaires... Foutaises ! Les Terres Sombres n'ont rien d'un havre de paix, mais j'avais autant de raisons que lui de rester à Saad-Ohm ! Je ne crois pas une seconde à ses excuses ! Le Roy non plus n'était pas dupe.

— Bah, dans moins d'une lune nous serons chez nous, vous recouvrerez le contrôle sur les événements. En outre, l'automne arrive et l'hiver ne tardera pas à figer toute cette agitation dans une gangue glacée .

Layna n'osait évoquer le départ de Khaleb pour le nord. Elle doutait que Ronan l'ignore, mais lui avouer qu'elle était elle-même au courant aurait pu éveiller sinon sa méfiance, au moins sa curiosité. C'est lui qui poursuivit, lui prenant la main :

— Puissiez-vous avoir raison. Je veux en tous cas profiter du répit que nous accorde cette longue navigation pour vous retrouver. Vous étiez bien distante durant notre séjour ici, et notre souverain a accaparé mes journées.

Layna sourit, un peu amère. Le Roy ne s'était pas gêné pour accaparer ses nuits. Il y avait quelques heures encore, il allait et venait entre ses cuisses. Une subite envie d'effacer l'image de ce gros porc incapable de la faire jouir lui traversa l'esprit. Se rapprochant de Ronan, elle vint se frotter doucement sur sa cuisse, passa la main entre les jambes de son amant et constata avec satisfaction à quel point elle lui avait manqué.

— Que diriez-vous d'aller rejoindre notre cabine, mon beau Sire ? Nous avons du temps à tuer...

***

Cela faisait maintenant dix jours que les barges remontaient langoureusement le cours du fleuve. Le vent s'était fait rare, imposant aux rameurs un rythme soutenu car, même si le courant demeurait faible dans ces contrées peu vallonées, il n'en constituait pas moins une réalité. Sous peu, ils atteindraient les contreforts montagneux, les cadences infernales pousseraient l'équipage dans ses retranchements. Il leur faudrait en outre procéder par trois fois à des changements d'embarcation et transborder à l'aide d'attelages bagages et passagers sur de nouvelles barges, situées plus en amont. C'était pour un temps encore le seul moyen de franchir les plus grandes barres de rapides qui s'opposaient à la remontée des navires. La manœuvre prenait une journée mais présentait l'avantage de renouveler le gros de l'équipage et surtout les rameurs qui eux, restaient attachés à leur unité. Ce sang frais permettait alors d'aborder le tronçon suivant avec l'énergie nécessaire pour lutter contre le fleuve.

La matinée était déjà bien avancée. Les rayons du soleil caressaient les corps nus, enlacés et endormis des deux amants. Layna entrouvrit les yeux. D'ordinaire, la cale qui leur tenait lieu de cabine était faiblement éclairée par une ouverture mal occultée, mais là, le rayon lumineux était si intense qu'elle devinait qu'il devait être tard. Bien que leurs ébats eussent duré jusque tard dans la nuit, elle avait tardé à trouver le sommeil et avait bien mal dormi. Elle se glissa en douceur hors des bras de son homme en veillant à ne pas le réveiller et s'assit sur la couche. Une douleur lancinante lui vrillait les tempes, sa gorge était si comprimée qu'elle craignait de manquer d'air. Elle se leva avec lenteur, passa une robe de chambre. Il fallait qu'elle monte sur le pont, un peu d'air lui ferait le plus grand bien. Elle eut à peine fait trois pas que le bateau sembla tanguer autour d'elle. Le fleuve était probablement agité, le roulis lui tordait maintenant le ventre et une désagréable bouffée de chaleur s'empara de son corps tout entier. Une nausée sans nom lui retourna l'estomac, bien plus puissante que celle qu'elle avait traînée toute la matinée du jour précédent. Fichue coquille de noix, vivement la terre ferme pensa-t-elle.

Parvenue sur le pont, elle constata à sa grande surprise l'absence de remous et de vent. Seule une douce oscillation alimentée par les coups puissants des rameurs berçait l'embarcation. Pourquoi son esprit se fixait-il ainsi sur ce balancement, somme toute bien minime ? Trop tard ! Elle eut juste le temps de se précipiter vers la rambarde tandis que l'immonde mixture refluait depuis le tréfonds de ses entrailles. Elle vomit tripes et boyaux sous le regard amusé d'une partie de l'équipage. Elle se redressa, les larmes aux yeux et la bouche encore pleine du goût infect. Elle avait à peine eu le temps de reprendre ses esprits que déjà, une deuxième salve s'annonçait. Elle toussa et crachota, mais rien ne vint. Puis subitement, sans prévenir, c'est un jet compact de bile jaunâtre qu'elle éructa avec violence. Le spasme fut si brutal qu'elle tomba à quatre pattes à même le pont. Quand le Second la saisit par les épaules pour tenter de la soulager, elle n'eut même pas la force de le repousser. La peste soit de cette barcasse, se dit-elle. Elle faisait un bien piètre marin. Dire qu'ils n'avaient couvert que la moitié du chemin. Le reste du voyage promettait d'être un enfer.

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