Faux-frère

5 minutes de lecture

— Tiens donc, une revenante, s'exclama Lando tandis que Fille faisait irruption dans le quartier des officiers.

— Bien le bonjour, Maître Lando. Je suis moi aussi contente de vous revoir.

Le ton à la fois moqueur et empreint de reproches ne laissait aucun doute sur le fait qu'elle imaginait un accueil plus chaleureux.

— Pardon. Ne te méprends pas, je suis content que tu sois là. Mais tu es restée si longtemps absente, je ne m'attendais pas à te voir.

— Je sais et j'en suis désolée, j'ai été empêchée. La neige.

— Nous nous en doutions. Je ne me souviens pas l'avoir vue aussi abondante. La précocité de l'hiver n'aura finalement d'égale que sa rudesse. Tu as l'air épuisée, ajouta-t-il en la dévisageant.

— Vous le seriez aussi si vous aviez comme moi bivouaqué six nuits sur neuf dans un trou de neige.

— Viens ici...

Il l'étreignit longuement, avant de la repousser d'une bourrade amicale.

— Tu pues le cheval et l'humidité. Pourquoi n'irais-tu pas faire un brin de toilette ? Nous pourrions ensuite partager le souper ?

— Ce sera très volontiers. Mais abuserais-je si je vous délestais d'une bolée de ce chay qui semble n'attendre que moi ?

— C'était pour Bulgur, qui ne devrait pas tarder. Mais s'il y en a pour deux, il y en a pour trois, n'est-ce pas ?

C'est le moment que choisit le colosse pour faire son entrée. Sans un mot, il posa ses mains sur les bras de la jeune fille et la fixa d'un regard ardent. Le géant la souleva alors du sol comme s'il s'était agi d'une jeune enfant.

— C'est bien que tu sois de retour, lança-t-il en la déposant.

Ce furent ses seuls mots. Mais Lando parlait pour deux et assaillait l'ordonnance de questions sur son séjour à la campagne, disait-il avec une pointe de moquerie dans la voix. Fille n'avait pourtant pas l'intention de trop partager ces instants qui, pensait-elle, lui appartenaient. Aussi se hâta-t-elle de finir son chay.

— Il faut que je file prendre mon service, s'excusa-t-elle.

— Ne te hâte pas trop, rétorqua Lando. Je ne pense pas que tu sois attendue.

— Que veux-tu dire ?

— Il semblerait qu'en ton absence, il y ait eu bien du changement. Le Sieur Ronan est en train de constituer une garde personnelle pour sa belle, et il insiste pour que tu en prennes le commandement. Félicitations, capitaine.

Elle blémit. Elle n'avait en aucun cas marqué son accord, mais Layna se souciait apparament bien peu de son avis. De promotion, il n'était d'ailleurs point question. Moins d'une lune auparavant, Khaleb lui proposait de l'affecter à un escadron de cavalerie légère, et elle se voyait maintenant reléguée au rang de soldat de cour. Un officier de palais, comme les appelait Bulgur avec une pointe de dédain dans la voix. Elle s'en ouvrit à Lando.

— Khaleb ne t'a en aucun cas promis le commandement de cet escadron.

Elle rougit, prise en défaut d'orgueil, tandis que Lando continuait.

— Tu es intelligente et tu t'es révélée être une redoutable guerrière, si l'on en croit Lupus. Mais tu es aussi impulsive et lunatique. Un peu égoïste aussi. Tout celà est normal à ton âge. Si notre... maîtresse peut s'en accomoder, c'est très bien. Mais tu as encore beaucoup à apprendre. Plus avec ta tête et ton coeur qu'avec tes bras et ton sabre.

— Je pourrais rester au service du Général ! Je n'aspire pas à devenir un soldat !

Il la fixa, pensif.

— C'est toi que Layna veut, et tu es mieux placée que nous tous pour savoir qu'elle parviendra à ses fins.

Fille pesta et se leva sans prévenir. Elle allait et venait entre la table et l'unique fenêtre, fixant un horizon invisible dans la nuit noire.

— Certains donneraient cher pour avoir ta chance, tenta l'aide-de-camp. Plus de campagne, plus d'expédition aux confins des Terres, plus de combat à l'issue incertaine. Tu mèneras une vie confortable, bien au chaud - enfin, si l'on peut dire - et ton plus gros problème sera de t'assurer que ta maîtresse puisse se rendre en ville sans encombre. Pourquoi refuser ?

Elle prit son temps avant de répondre.

— Layna est cruelle et sans pitié.

— Et ?

— Je... je ne suis pas sûre de toujours l'approuver. De terribles rumeurs courent sur son compte. On dit qu'elle fait jeter par dessus les murs ceux qui lui déplaisent.

— L'as-tu vu de tes yeux ?

— J'ai vu une jeune esclave à qui l'on avait arraché la langue !

— Et tu en conclus que c'est Layna qui a fait ça ? Ou le Légat ?

— Certains disent qu'elle boit le sang de jeunes vierges pour ne pas vieillir.

Lando éclata de rire, puis reprit avec le plus grand sérieux.

— Et sais-tu ce que l'on dit de toi ?

— Peu m'en chaut...

— Que tu serais un démon. Que transpercée en plein cœur par une épée, tu serais revenue d'entre les morts. Qu'à toi seule, tu peux affronter quarante guerriers, que tu tues tes ennemis sans jamais montrer la moindre pitié.

Elle leva les yeux au ciel, exaspérée, tandis que Lando poursuivait :

— Je sais comme toi que c'est faux. Mais nous savons aussi tous les deux que tu as eu beaucoup de chance que Bulgur ne t'ait pas tuée ce jour-là, et que quelques malfrats ont payé de leur vie leur audace quand ils ont tenté de vous attaquer, toi et Lupus.

— Bulgur ! s'exclama-t-elle. Es-tu en train de me dire que Bulgur était ce chevalier noir durant le tournoi ?

Elle fulminait. Lando, lui, affichait un grand sourire.

— Bien sûr ! Il ne te l'a jamais dit ? s'amusa-t-il en lançant un regard goguenard à son frère d'armes. Mais je te rassure, il est content de t'avoir manquée ce jour là. Au fond, il t'aime bien.

— Rhhhaa ! lâcha-t-elle, rageuse, s'éloignant d'un bond d'un Bulgur aussi penaud que taiseux.

— Ce que j'essaie de t'expliquer, c'est qu'il ne faut pas accorder trop d'importance aux ragots. Ils ont souvent un fond de vérité, mais à force d'être colportés, les faits sont déformés. Layna est dure, impitoyable, calculatrice, perverse aussi. Mais elle n'est pas stupide, et ce n'est pas non plus une succube assoifée de sang comme on la présente. Elle ne va pas te manger.

Rouge de colère, elle posa violemment son bol vide sur la table et marcha sur Bulgur qui dans un réflexe, se leva de sa chaise. Elle pointa du doigt le géant, réitéra son geste accusateur.

— Toi ? Toi ! éructa-t-elle.

— Calme-toi, femme ! tonna l'homme. Et tiens ton rang ! Pour un temps encore, tu restes une Ordonnance !

Elle tourna les talons et s'en fut en claquant la porte, furieuse.

Les deux aides de camp se regardèrent en chiens de faïence. Curieusement, ce fut Bulgur qui brisa le silence.

— La petite est furibonde, grogna-t-il.

— Elle est fatiguée. Mais tu as bien fait de la remettre à sa place. Elle avait et a toujours grand besoin d'une petite leçon d'humilité.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire J. Atarashi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0