Red Ocean

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C’est à cet instant que je m’évanouis…

Rouvrant les yeux, masque au visage, détendeur en bouche, je viens de m’immerger dans cet abîme bleu. Je n’y crois pas, enfin mon rêve se réalise ! Nous sommes deux, l’océan et moi. Personne pour m’importuner. Un coup œil sur mon manomètre. Parfait, une bonne heure de plongée m’attend. Une heure pour en profiter pleinement. Tout en vidant l’air de ma combinaison, me voilà en train de descendre, porté vers le fond grâce à ma ceinture de poids. Palier par palier, je veille à bien habituer mon corps aux changements de pression. Évitons un accident stupide à cause de ma précipitation. Difficile de contenir ma joie, l’excitation me submerge à la pensée de cette aventure.

Je m'enfonce dans les profondeurs. Rien autour de moi, uniquement un voile azuréen infini. Les reflets de lumières m’empêcheraient-ils de distinguer la moindre espèce animale ? Ou bien n’y a-t-il aucun signe de vie dans cet océan ?

Pourtant, jeter mon dévolu sur ce lieu n’est pas un hasard. Il est décrit par les spécialistes comme la demeure d’une faune aussi extraordinaire que diversifiée. Mes amis m’ont déconseillé de partir en expédition. « C’est dangereux ces endroits-là, il ne faut pas s’y aventurer, et surtout pas seul ». Ils ne peuvent pas comprendre cette envie qui me porte depuis l’enfance : plonger dans le grand bleu, papillonner parmi les poissons et les mammifères marins.

Enfin, me voici à vingt-cinq mètres de profondeur. Un tapis de sable blanc accueille mes genoux. Des rochers aux multiples couleurs m’entourent. Les algues m’invitent à valser au rythme des eaux. Les coraux forment une imposante muraille autour de moi. Tout mon corps est caressé, avec douceur, par les courants. L’océan m’emprisonne ainsi chez lui. Pour l’instant, impossible de discerner le moindre habitant marin. Même pas un simple crustacé à la recherche de son chemin. Ou bien un banc de krill subissant la dure loi de la nature. Alors, tout ce que l’on entend serait bien réel ? Une terre dépossédé de toutes ces beautés maritimes ? Impossible à croire. Je devais y aller pour le constater de mes propres yeux.

Cependant, cette tragédie semble réelle. Au pire, mon souhait est tout de même en partie exaucé. Aucun regret de ce voyage. Cela me fait penser à l’histoire du marin qui chercha, durant toute son existence, une île au trésor. Après avoir défié les océans et failli perdre la vie un nombre incalculable de fois, il trouva son eldorado. Mais cette île ne possédait finalement aucun coffre rempli de bijoux ou d'une quelconque richesse. Pourtant, le voyageur pleura de bonheur en touchant le sol. Aucune déception, aucun regret. Il avait accompli son rêve. Il s’agissait d’une aventure qui l’avait rendu heureux même si l’objectif n’avait pas été pas atteint. Pour moi, cette plongée restera la plus belle expérience de ma vie.

Je jette un regard à ma montre. Encore quarante minutes d’investigation. Je pourrais partir explorer un peu les fonds marins. D’un coup, un nuage de poissons s’élance à toute vitesse vers moi. Sorti de nulle part. Comme par magie. Comment n’ai-je pas pu les voir avant ? Ils nagent, ondoyant autour de moi. Quelles merveilles ! Je n’arrive pas à distinguer les espèces tant elles abondent. Des poissons d’un bleu si intense qu’ils se fondent au paysage. D’autres aux écailles si jaunes qu’ils pourraient illuminer la nuit. Certains argentés, semblables au contenu d’un trésor. Les larmes me montent. Ce tableau est tellement merveilleux.

Je veux en voir plus alors je commence à nager vers d’autres horizons. Ce qui m’attend est incroyable. Le banc de poissons de tout à l’heure n’était que les prémices d’un magnifique spectacle. À travers les roches colorées, je découvre un nouveau festival maritime. Un florilège d’espèces vit en ces lieux. Des milliers de poissons coexistent avec crustacés, céphalopodes, reptiles et plantes océaniques. Je veux m’amuser à identifier et garder en mémoire chacun d’entre eux. Ces images ne doivent jamais sortir de ma tête. Il y a même de grandes tortues marines qui nagent près de moi. Peu farouches, elles poursuivent leur route sereinement. J’assiste en direct à l’attaque d’une murène verte refermant ses mâchoires sur un pauvre poisson isolé. Triste destinée pour les faibles créatures en ces lieux. Un groupe de raies Manta me survole, agitant leurs ailes apocalyptiques. Elles ressemblent aux voiles noires d’un bateau annonçant la mort d’un héros. Il me semble avoir même distingué au loin un dauphin, mais trop lointain pour le confirmer.

Le temps s’arrête, un son mélodieux me berce comme si l’océan jouait d’un instrument avec ses courants. Ce concert me fait presque oublier de vérifier mon oxygène. Vingt minutes… Il est temps de commencer à remonter. Gonflant mon gilet, je quitte ces fonds. Dans mon ascension, je choisis de suivre un autre banc de poissons. Ensemble, battant leurs nageoires, ils forment un tourbillon, m’indiquant la direction du retour. Le moment est venu de dire au revoir à toutes ces incroyables créatures.

Soudain, ils se dispersent tous en un éclair. « Ai-je fait un geste qui les a effrayés ? Trop de confiance ? ». Difficile de comprendre leur réaction. Ils restent des animaux après tout. Je me retourne alors, choqué par la scène qui se joue devant moi. Sortant du rideau bleu, un immense requin nage dans ma direction. C’est un grand requin blanc. Le roi des océans. Je ne l’ai pas vu arriver. La peur me gagne. Mon cœur s’emballe. Impossible d’attraper le couteau de ma jambière. Trop de tremblements. Et même armé, que puis-je faire face à ce monstre ? M’enfuir ? Piètre solution sur son territoire. Le prédateur s'approche davantage de moi. Une mâchoire armée de multiples dents aiguisées. Une vraie machine à tuer ! Ses yeux noirs m'arrivent au visage. Et plus rien. Il passe à côté de moi, ignorant mon existence. Les tremblements s’arrêtent. La peur devient admiration. Je ne discerne plus un monstre marin prêt à m’ôter la vie, plutôt la plus belle créature qu’il m’ait été donné d’observer. C’est vrai, malgré sa réputation, ce prédateur ne tue pas plus d’hommes qu’une autre bête. Au contraire, il se situe très bas dans le classement. De véritables animaux meurtriers, je peux en citer un paquet : abeilles, chiens, serpents, hippopotames ou moustiques. Chacun d’eux tuant cent fois plus d’humains que les requins. Pourtant, cette espèce demeure dans le folklore une terrible menace. Merci Spielberg ! Qu’importe, aujourd’hui, une preuve de son innocence m’a été présentée en direct. Ne détachant pas mon regard, le voilà en train de disparaître dans le bleu intense de l’océan. Une rencontre avec le maître des lieux.

Les rayons de lumières commencent à s’atténuer. « Étrange, nous sommes en pleine journée ». Une ombre gigantesque me recouvre. Un bruit lourd résonne à travers les eaux. J’entends les mouvements pesants de ses nageoires. La peur me reprend. Les courants marins trésaillent. Je lève la tête avec angoisse. « Est-ce toi que le requin fuyait ? ». Un mastodonte me survole. Je souris gaiement. C’est le dernier spectacle avant mon retour à la surface. Une baleine bleue, le plus grand animal du monde. Équivalent en poids à vingt-cinq éléphants. Et moi, pauvre humain, j’ai la chance de l’observer si proche. Sa poche gonflée d’eau, elle nage près de la surface, prête à activer son geyser. Elle doit sûrement être à la recherche d’un nuage de krill pour déjeuner. Quelle prestance ! Un titan marin. Je continue à entendre son chant alors qu’elle s’éloigne petit à petit de moi. Cela signe la fin de mon voyage…

Ma montre sonne. J’ouvre les yeux. Il fait déjà nuit… Quel beau songe je viens de faire. Le lieu parfait pour rêver d’une plongée sous-marine. Allongé sur le sable rouge, les hauts reliefs m’entourent. Les pics rocheux écarlates atteignent presque les nuages et les quelques astres brillant dans le ciel. Le cri d’une bête au loin me surprend, bien moins mélodieux que le chant de la baleine bleue. Passer une nuit à la belle étoile dans cet immense canyon était une excellente idée. Tout comme l’histoire du marin, je reste satisfait de cette aventure, un rêve en partie réalisé.

L’alarme de ma montre poursuit son alerte. Plus de temps. Je dois rebrancher mon masque à la réserve d’oxygène. Je me lève et me dirige vers mon véhicule. Tripotant l’écran digital de ma montre connectée, je déclenche les différentes fonctionnalités. La porte de devant s’ouvre. Les roues s’arment et se retournent, les réacteurs s’activent. Je suis prêt à décoller. Dès mon arrivée dans ma voiture volante, je branche le câble de ma combinaison au réservoir d’air. Le tableau de bord s’illumine de ses mille lueurs. Les portes se ferment, m’isolant du monde extérieur. Il ne me reste plus qu’à programmer mon chemin de retour. Je jette un dernier regard à ce magnifique paysage. « Merci pour cette nuit, beau canyon ».

Je démarre le pilote automatique. Le véhicule commence à léviter et se dirige en volant vers la route située en hauteur. Il est temps de rentrer à la maison, de revenir à la réalité. À la sortie du site, j’aperçois la vieille pancarte en bois abandonnée que j’avais remarquée en arrivant. Posée sur son piquet, elle est à deux doigts de se briser. L’effet de souffle du véhicule l’a fait chavirer. Tombant au sol, le sable commence déjà à recouvrir son inscription.

« Océan Atlantique »

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