Chapitre 4

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Alors qu’il ignorait tout de ces lieux qu’il n’avait pas eu l’occasion de parcourir de son vivant, la bride de Sucre d’Orge dans une main, son outil dans l’autre, l’Ankou déambulait dans les longs couloirs sinistres de l’hôpital. Les limbes étaient terriblement silencieux ; pas le moindre son du monde des vivants ne leur parvenait ; ni bip mécanique, ni souffle d’appareil à oxygène, ni même le bruit de la circulation extérieure. Rien. Seuls résonnaient les grincements de la charrette, le son mat des sabots de Sucre d’Orge, le chuintement de ses vêtements et les pleurs. Ces derniers brisaient le silence d’une façon angoissante, pour ne pas dire oppressante. Il entendait ces derniers provenir de trois endroits différents et se dirigeait vers celui qui lui semblait être le plus proche. Il passa devant un grand nombre de pièces, il s’étonna de toutes les découvrir sans porte.

— Curieux ces chambres dépourvues de portes… commenta-t-il.

Bilal s’esclaffa sur la charrette.

— Ouais… Imagine comme c’est pratique pour se planquer…

La voix du jeune homme était presque tremblante sur ces derniers mots. Ainsi il est possible d’être mort et terrifié, même après un an de fauchage… songea l’Ankou. Il resta silencieux par égard, mais à sa surprise, le jeune homme reprit la parole.

— Après qu’elle m’ait choppé et une fois que je me suis habitué au truc, je lui ai demandé pourquoi il n’y avait de porte nulle part… Elle m’a souri et m’a répondu : « Enfant, la Mort est la seule porte ici-bas ».

Un spasme d’effroi sembla le traverser. L’Ankou se détourna du jeune homme et s’aventura dans un nouveau couloir. Il y était presque. Alors qu’il s’approchait, les pleurs s’éloignèrent soudainement avant de disparaître. L’être en noir fronça les sourcils et s’aventura dans la chambre.

Une femme d’âge mûr était assise sur le lit, tournée vers son alter recouvert d’un drap. Son visage, marqué par les années, n’en était pas moins gracieux. De là où il se tenait, l’Ankou fut frappé par le calme émanant de cette femme. Elle dut sentir son regard, car elle se tourna. Ses yeux s’écarquillèrent un instant face à son visiteur.

— Oh ! Voilà qui est inattendu, dit-elle d’une voix douce, souriante. Je suppose que vous êtes là pour moi ?

Le sourire sincère qu’elle lui offrit lui serra l’âme. Elle se redressa et se tint face à lui. L’Ankou lui, était pétrifié. Il ressassait ses derniers instants face à la Mort. Comment… ? Malgré leur éclat, il distingua finalement la fatigue et la douleur dans les yeux de la vieille femme. Il n’était pas la Mort dans ses yeux, il était la Délivrance.

— Je suis navré des circonstances de cette rencontre, madame.

— Ne le soyez pas. J’ai bien vécu et je me suis vaillamment battue. Il est temps pour moi de me reposer.

L’Ankou s’inclina doucement, cette femme lui inspirait énormément de respect. Tandis qu’il se redressait, il réalisa l’horreur de son geste à venir. Faucher ce petit c… ce jeune malotru de Bilal avait été difficile (initialement en tout cas), alors comment infliger cela à cette charmante dame ? Il se souvint que l’acte était sans douleur, il eut une idée.

— Fermez les yeux, je vous prie. Cela ne prendra qu’un instant et vous ne sentirez rien.

Elle obtempéra aussitôt, confiante, s’offrant aveuglément au Faucheur. Ce dernier leva son instrument en serrant les dents, puis le laissa doucement retomber. Au contact de la lame, la silhouette de la femme s’estompa et disparut en volutes de fumée. Lorsqu’il se retourna, il la découvrit assise face au jeune homme.

— Hey madame ! C’est bon, vous pouvez rouvrir les yeux !

Elle s'exécuta et lui sourit timidement.

— Salut, moi c’est Bilal !

— Enchantée Bilal, moi c’est Rose.

S’ensuivit une conversation que l’Ankou jalousa quelque peu ; ils échangèrent souvenirs et anecdotes avec une complicité grandissante. Exclu par son statut, l’Ankou prêta l’oreille néanmoins tout en reprenant son chemin vers les prochains pleurs.

Rose était la gentillesse incarnée et une vraie force de la nature. Enfin, avait été… Eteinte à l’âge vénérable de 98 ans des suites d’un cancer généralisé, elle avait eu une vie riche et impressionnante. Née entre les deux guerres, elle avait vécu toute sa vie à Quimper. Elle raconta l’Occupation et la Résistance au jeune homme qui écoutait avec fascination. Anciennement professeur, elle lui expliqua comment le lycée où elle enseignait alors avait été réquisitionné par les Allemands pour servir de caserne. Son mari de l’époque, un des membres de la Résistance Johnny, avait été déporté ; elle lui avait dit au revoir un matin avant de partir travailler et ne l’avait jamais revu. Son frère aîné avait subi le même sort. Son frère cadet, quant à lui, avait été abattu par les Allemands lors de leur arrivée. L’Ankou fit profil bas, les liens entre l’Allemagne et le Japon à cette époque n’étant pas quelque chose dont on puisse être fier …

Tandis que Rose en venait à raconter son vécu des trente glorieuses et la frivolité des années soixante, le Faucheur arriva dans le hall de l’hôpital et il réalisa que les lamentations des deux pleureuses venaient de dehors.

* Je pense que - pour la publication scribay - je vais faire un chapitre par rencontre. Cela risque donc de donner des chapitres un peu dépareillés, désolée ^^' *

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