Chapitre 11-2 : Offrande

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  Il nous avait presque rejoint lorsqu'une racine jaillit du sol dans une explosion de terre. Ruadh dirigea aussitôt son arc vers elle alors que je m’étranglais dans un hoquet de stupeur, mais elle fut bien trop vive. Dans un claquement sec digne d’un coup de fouet, elle fendit l’air et s’abattit sur l’offrande de l’asperge avant de se retirer tout aussi vite. Elle avait presque disparu lorsque Jäger referma sa main sur celle du bûcheron pour retenir la corde que Ruadh lâchait.

  –Ne tirez pas. Elles pourraient revenir sur leur autorisation.

  –Mais c'était... que...

  –Par Holtz et Yogwi, jura Sorcha en se signant.

  –Ce... C'était une dryade ? haletai-je.

  –Oui.

  –Mais je croyais...

  –On en a jamais vu, balbutia Ruadh.

  –Parce qu'elles évitent de se montrer, surtout lorsqu'elles vivent dans de petite forêt comme celle-ci, sans dryade mère.

  –Alors pourquoi maintenant ? soufflai-je.

  J'avais déjà vu ma mère leur faire des offrandes. Elle disait que c'était grâce à leur contact que les propriétés médicinales étaient plus puissantes chez les plantes à l'état sauvages. Et puisque nous prélevions une part de leur être, leur faire un don en contrepartie était la moindre des choses. Mais aucun esprit n'était jamais venu récupérer ses présents.

  –Parce que je viens de leur promettre que nous allions tuez le fenrir, expliqua Jäger. Regardez les arbres. Ils sont en train de dépérir. Elles sont trop faibles pour avoir sur leur terre un monstre pareil. Il massacre leurs habitants, leurs plantes, leur domaine... Elles en souffrent tout autant que vous.

  –Mais pourquoi leur avoir demandé si on pouvait cueillir les tue-loup ? On a d'jà cueilli plein d'trucs sans rien donner en échange et on a jamais eu d’problèmes, fit remarquer Sorcha.

  –Car il s'agit de leur dernier rempart contre cette bête. Comment réagiriez-vous si quelqu'un tentait de vous en déposséder ?

  J'aurais bien aimé pourvoir lui dire d'arrêter de se foutre de notre gueule. Des dryades, s'en prendre à nous ? Pour quoi les prenait-il ? Des océanides ? Des anémoïs ? Ces nymphes-là étaient connus pour les ravages qu'elles pouvaient causer ! Cependant, je ne pouvais ignorer la vitesse avec laquelle la racine avait bougé et cette démonstration de force venait de me rappeler une vieille histoire que m'avait raconté ma mère : l'histoire de la fureur de Mallkim.

  Wiegerwäld était un pays très boisé, près des trois quarts du pays était enfoui sous la canopée, et Mallkim était l'esprit mère de la forêt la plus vaste et la plus dangereuse de tout le royaume. Certaines de pires bêtes jamais créées par les dieux, dont des fléaux, se trouvaient en son sein. Y mettre les pieds revenaient ni plus ni moins à signer son arrêt de mort. La dryade n'avait pourtant jamais été vu comme un esprit néfaste. Au contraire : si peu de créature quittait son domaine, comme si elle les en empêchait, que les Wiegerwälders la qualifiaient de gardienne et la vénéraient parfois en conséquence.

  Jusqu'au jour où Berritzia, leur voisin de l'ouest, avait été rayé de la carte. Contrairement à Snervïg, personne ne savait vraiment ce qu'il s'était passé. La théocratie avait tout bonnement été réduite en cendre en l'espace d'un instant. La majorité était évidemment persuadé qu'il s'agissait de l'œuvre des fléaux, que les Berriztars avaient reproduit les erreurs que les Snervois et en avait payé le même prix. Mais d'autres hypothèses avaient été soulevées, dont certaines accusant les esprits.

  En Wiegerwäld, une congrégation de mages avait adhéré à cette hypothèse et, de peur qu'un esprit du pays déclenche à son tour un cataclysme, elle avait décidé d'éradiquer le plus puissant de leur région : Mallkim.

  La dryade avait répondu à cette attaque par un bain de sang.

  Elle avait massacré tous les mages venus la détruire, puis marché droit sur la congrégation, escortée d'un millier de bêtes. Véritable part d'elle-même, la forêt s'était entendue dans son sillage, engloutissant tous les champs, villages et villes sur sa route, jusqu'à ce qu'elle ait atteint les portes de la confrérie.

  Elle avait alors attendu l'arrivée du roi, puis, sous ses yeux, avait exterminé la congrégation, afin de lui montrer ce qu'il en coûtait de s'en prendre à elle et ses sœurs. Elle n'était repartie qu'après lui avoir expliqué que ce sort serait désormais celui de tous mage qui s'approcherait à portée de branches de son domaine.

  Mais également celui de tout le pays, si jamais un mortel avait de nouveau la folie d'attaquer sa forêt.

  J'eus du mal à déglutir. Nos nymphes n'étaient peut-être pas aussi puissantes que Mallkim, mais je ne voulais pas imaginer ce qu'elles auraient été capables de nous faire si nous avions cueilli des tue-loups sans leurs autorisation. L'avions-nous vraiment, d'ailleurs ? Après tout, la racine avait écrasé l'offrande de Jäger. Ce que je m’empressais de faire remarquer.

  L’intéressé secoua la tête.

  –Sans esprit mère pour guider leur conduite, elles ne sont peut-être pas toute d'accord et nous allons devoir rester sur nos gardes. Cependant, si elles avaient toutes refusés, nous n’aurions eu aucune réaction ou elles m’auraient rendu les graines. À leurs yeux, il s'agit de nourrissons. Jamais elles ne leur feraient de mal

  –T'es sûr d'toi ? insista Ruadh. J'rentre pas là ’dans si les dryades sont pas d'accord. On peut rien faire contre des esprits !

  –Comme je vous l'ai dit, je ne peux me prononcer pour l'ensemble d'entre elles, mais puisque le bois est toujours calme, cela doit être le cas de la majorité.

  D'accord. Nous avions la majorité des dryades de notre côté. Ce qui en laissait les dieux seuls savaient combien contre nous. Parfait. C'était vraiment parfait. Il ne manquait plus que nous croisions la route d'un sorcier et notre expédition se transformeraient définitivement en promenade de santé !

  Alors que Jäger rencochait une flèche en reportant son attention sur le bois, je me secouai pour chasser ma nausée croissante. Sans succès. Lorsqu'il se tourna vers moi pour me lancer un simple « quand vous voulez, mademoiselle », j'eus encore plus envie de vomir.

  Pourquoi j'avais dit à Lennox que je savais où se trouvait ces maudites plantes ? Je n'étais qu'une pauvre villageoise de seize balais qui n'avait pas mangé à sa faim depuis une semaine. Je n'étais pas taillée pour une expédition pareille.

  Mais j'étais la seule à connaître l'emplacement des tue-loups et j'aurais été incapable d'indiquer à quelqu'un comment s'y rendre alors que je pouvais presque y aller les yeux fermés. De plus, nous avions besoin de ces fleurs. C'était une question de vie ou de mort, ni plus ni moins.

  Alors, le cœur au bord des lèvres, je finis par hocher la tête.

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