Chapitre 17-3 : Vide

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  Puis un soir, après m'avoir fait manger une soupe, Fearghus quitta la chambre sans me donner de laudanum ni éteindre la bougie. Je ne le rappelai pas pour le lui faire remarquer. Qu'il s'en rende compte de lui-même et vienne rectifier son erreur ou qu'il ne réalise son oubli que le lendemain me laissait indifférente, comme tout le reste. La bougie pouvait même se renverser et mettre feu à la chambre, pour ce que j'en avais à faire.

  Fearghus revient finalement quelques minutes plus tard. Armé d'un sac en toile. Il le leva au niveau de sa tête, pour être certain qu'il entre dans mon champ de vision.

  –Tes affaires ont sauté avec l'grenier, mais on a réussi à r'trouver des trucs, dans l'cellier. Faut en r'prisé pas mal, mais v'là un premier sac avec tout c'qui t'faut pour t'fringer quand tu pourras sortir du lit. Y a même une cape, la rouge, j'crois, si jamais tu veux faire un p'tit tour de... Ali ?

  Mon regard était rivé sur le sac. J'ignorais à quel moment il s'était posé dessus – lorsque le tissu écarlate, visible à travers la maille grossière de la toile, était passé devant moi ? lorsque Fearghus avait évoqué mon manteau ? lorsque le fantôme de ma seamhair avait jailli du vide de mes pensées, un sourire aux lèvres et les bras chargés de cette étoffe ? – mais, le souffle court, je le fixai. Ma gorge se serra alors que d'autres souvenirs, liés à cette cape, ressurgissaient. Ma stupeur en découvrant la qualité du tissu. Ma réprimande que Seanmhair avait tué dans l'œuf d'une tape sur la tête. La certitude dans sa voix, quand elle disait que je méritais ce vêtement. La promesse que je m'étais faite de le lui prouver. Sa fierté quand j'avais essayé la cape pour la première fois. La bienveillance de son sourire. Son compliment concernant mon teint et mes yeux, qui ressortaient mystérieusement par contraste avec ce rouge vif. Les fleurs qu'elle s'était lancées en disant qu'elle avait toujours l'œil pour ce genre de chose. Sa plaisanterie sur ma taille et le fait qu'il fallait que j'arrête de pousser, quand elle s'était finalement baissée pour ajuster l'ourlet et avait remarqué qu'elle avait juste ce qu'il lui fallait de tissu...

  Sans quitter le sac des yeux, je voulus me redresser sous le regard médusé de Fearghus. Mes blessures se réveillèrent immédiatement, coupant court à mes efforts et me mettant au supplice. Malgré sa stupeur, Fearghus s’empressa de venir me prêter main forte et déposa le sac sur mes cuisses. Tout mon corps tremblait contre lui, aussi bien de douleur que d’émotions. J’étais dans un tel état que Fearghus dut ouvrir le sac à ma place. Sa grande paluche plongea ensuite à l’intérieur et retourna tous les vêtements. De cette masse terne finit par émerger un tissu écarlate.

  –C'est ça qu'tu cherches, gamine ?

  Je hochai la tête, la vue trouble, et m'en saisis. Comme la première fois, je fis rouler le tissu entre mes doigts, le caressai... Plusieurs lignes de raccommodage perturbaient la qualité de l'étoffe, mais c'était bien elle.

  –C'est... (Je me raclai la gorge, aussi bien pour repousser la boule qui croissait à l'intérieur que le timbre rocailleux de ma voix, dû à ma soudaine prise de parole après plusieurs jours de silence.) C'est le dernier cadeau qu'elle m'a fait. Elle me l'a offert le jour où tu m'as virée. Elle disait... Elle disait que je le méritai. Même quand elle a su que tu m’avais mise dehors, elle l’a pas repris… Elle... Elle pensait vraiment ce qu'elle avait dit et je... je voulais lui montrer qu'elle avait raison. Qu'elle avait raison de croire en moi. Mais personne voulait de moi... et maintenant.... Maintenant, elle est plus là. J'ai pas eu le temps... J'aurais plus jamais le temps...

  Une première larme glissa sur ma joue. Pressant la cape contre mes yeux, je tentai de retenir les suivantes. Ce fut une erreur. Malgré l'odeur de fumée qui imprégnait le tissu, le parfum de Seanmhair s'y accrochait encore. Mes digues cédèrent immédiatement. Une plainte déchirante remonta des profondeurs de ma poitrine. Un large bras vin me soutenir alors que je me repliais sur moi-même.

  –Eh, gamine....

  Sans lâcher ma cape, je me raccrochai à la chemise de Fearghus.

  –Qu'est-ce que je vais faire ? sanglotai-je. J'ai plus personne...

  Je n'avais même pas pu veiller sur Seanmhair avant l'enterrement, ni lui dire au revoir en jetant la première pelletée sur son cercueil, comme j'aurais dû le faire.

  –Mais non, dis pas ça. On va t'aider.

  Qui on ? Et pour combien de temps ? Le village m'aidait peut-être en ce moment par respect pour Seanmhair, mais sa mort n'allait pas changer leur vision du monde. Combien me maudissaient déjà pour avoir survécu à sa place ? Combien de temps avais-je avant de redevenir la métisse indésirable sur qui on crachait et jetait des cailloux ? Avant que quelqu'un d'autre essaye de me tuer ?

  Puis ça ne changerait rien au fait que je n’avais plus personne. À quoi bon continuer à endurer tout ça, alors qu’on m’avait tout pris ?

  À quoi bon continuer à faire quoi que ce soit ?

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