Corday, la Victorieuse
22 août 1962, vers 20h30, à l’aérodrome militaire de Villacoublay. Le personnel de la base fait le pied de grue devant un DC-4. Sur le tarmac, le colonel Collombet regarde sa montre. Il ne devrait plus tarder, désormais. Pourtant, personne à l’horizon. Lui, en retard ? Impossible, c’était un militaire lui aussi, et les militaires n’arrivent jamais en retard. 20h35, toujours personne. Intriguant, aurait-il été retardé ? 20h40, une DS arrive. Dieu tout puissant, elle est criblée de balles. La voiture s'arrête brusquement devant le DC-4, un militaire descend catastrophé de la voiture. Il ne salue même pas, et dit juste “ils nous ont eu !”. Par tous les saints... 20h45, Collombet tente de joindre l’Elysée par téléphone, pour les prévenir. Les sirènes d’une ambulance raisonnent… 21h, 24 quai de Béthune, à Paris. Le vacarme d’un téléphone vient perturber la soirée. Madame Pompidou voit son mari quitter son fauteuil, grommelant qu’il était tard, et qu’il y avait intérêt que la raison de le déranger était bonne. Soudain, l’homme hurle “Comment ?!”. Sa femme sursaute. Le premier ministre quitte l’appartement, l’air grave. 21h30, palais de l'Elysée. Autour de Pompidou se réunit en urgence les membres du gouvernement. Monnerville, le président du Sénat, est là aussi. Tout le monde est réuni autour du téléphone. 21h37, le téléphone sonne. C’est le Val-De-Grâce. La crainte de tout le monde est confirmée. On se tourne alors vers Monnerville. L’homme baisse la tête, l’air grave. Il donne l’ordre de faire transmettre l’information. 22h00. Le premier ministre se prépare à enregistrer un message à destination de l’ORTF. Les principaux journaux du pays sont mis au courant. Les unes sont modifiées en catastrophe. 23h00, les français écoutant encore leur radio peuvent alors entendre le message du premier ministre à leur adresse : “Francaise, Francais. Le général De Gaulle est mort. La France est veuve”.
23 août 1962, 5h54, le soleil se levait sur Paris. A l'Elysée, l’ambiance était nébuleuse, comme si tout sortait d’un cauchemar ayant duré toute la nuit. Gaston Monnerville, qui en vertu de l’article 7 de la constitution se voyait investi de l’intérim de la présidence de la République, s’était installé dans un petit cabinet, à côté du Bureau présidentiel. Comme s’il ne fallait pas déranger la quiétude du salon doré. Comme si, au fond, le Général était encore là, à travailler. Le président par intérim reçut toute la journée les représentants des différents corps constitués, de même que le premier ministre. Malgré la nécessité de devoir agir vite, le président n’osait prendre de décisions fortes. L'Organisation de l’Armée Secrète, dont l’implication dans l’assasinat du Général ne faisait aucun doute, n'allait sûrement pas rester les bras croisés, et la menace d’une tentative de putsch, la troisième en cinq ans, était bien réelle. Face à cette menace, les conseillers de l’Elysée présentent Monnerville de prendre des mesures pour éradiquer définitivement le problème de l’OAS, en proclamant la mise en application de l’Article 16, permettant au président d’obtenir des pouvoirs dictatoriaux le temps de régler une crise nationale. Pourtant, le président ne prit aucune décision de cet ordre, ce jour-là. En réalité, Monnerville n'avait aucun pouvoir, et il le savait bien. L’homme, s’étant rendu impopulaire auprès de la majorité Gaulliste au parlement par ses régulières passes d’armes avec le Général, aurai été incapable de mobiliser les forces politiques du pays, à l’inverse de Pompidou. Pompidou craignait en réalité de froisser un trop grand nombre de potentiels soutiens pour la présidentiel, en employant des mesures aussi liberticides que l’article 16, dont la dernière application ne datait que de moins d’un an.Il fallait mettre le maximum de chance du côté des gaullistes. Si l’élection de 1958 avait été une victoire écrasante pour De Gaulle, celle à venir s’annonçait nettement plus difficile pour les partisans du Général. La droite, avant même la mort de De Gaulle, était morcelé par, d’un côté, la perte de l’Algérie, qui avait aliéné au Général beaucoup de nationalistes et de pieds-noirs autrefois acquis à sa cause ; et de l'autre, une pratique politique personnaliste laissant le centre-droit et les libéraux critique. Sans le Général, les divisions à droite n’allaient être que plus flagrantes encore. D’autant qu’à Gauche, qui n'avait pas digéré le retour au pouvoir de De Gaulle, risquait de se présenter uni pour reprendre le pouvoir.
6 septembre. Les terroristes, ceux-là même qui désormais se font connaître sous le nom de commando Charlotte Corday, courent toujours. La police, contrainte par l’inertie volontaire du gouvernement et de la préfecture de police, peine à faire avancer l’enquête. Mais à Matignon, l’ambiance n’est pas vraiment à la traque du commando. La date du premier tour du scrutin a en effet été fixée au 23 septembre. Pour Pompidou, officiellement candidat, l’enjeux est à présent de l’emporter coûte que coûte. Le scrutin allait être serré. En effet, comme le voulait la Constitution voulu par le Général, le président n'allait plus être élu par les seuls parlementaires, mais par un collège plus large, comprenant également des représentants des conseils municipaux ainsi que des représentants des territoires d’outre-mers. Si le parlement était acquis aux Gaullistes, le poids des communes et des outre-mers risquait de serrer d’autant plus le scrutin. D’autant que, comme prévu, la gauche partait unie derrière le sénateur-maire socialiste de Château-Chinon, un certain François Mitterrand. Ancien ministre sous la IVe république, il incarnait pour beaucoup un retour de la gauche aux affaires, une gauche qui s’était sentit spoliée par De Gaulle depuis quatre ans. A droite, la situation était bien moins idyllique. Outre Pompidou, Pierre Poujade, syndicaliste populiste attirant le soutien des nostalgiques de l’Algérie, s’était porté candidat. De plus, les chrétiens-démocrates, de centre-droit, avaient désigné Jean Lecanuet, le “Kennedy Français”, un homme moderne et charmant, loin de l’image guindé du Général ou de celle Vieux-Jeux de Pompidou.
19 septembre, vers midi, à l’Elysée. C’est à la suite d’un conseil des ministres plutôt agité que le ministre de l’intérieur annonça en fracas sa démission, devant les journalistes attendant sur le perron du palais. L’incapacité des forces de l’ordre à arrêter les membres de Charlotte Corday, mettant d’après lui son honneur à l'épreuve, le pousse a démissionné. En effet, l’opinion publique à depuis longtemps basculé en défaveur du gouvernement, accusé de ralentir la traque des terroristes. En parallèle, le Commando Charlotte Corday devenait le symbole de la lutte pour l’Algérie par une partie de l'extrême droit, dont la volonté de parachever l’oeuvre du Commando devenait une priorité.
23 septembre, 20h00. Les résultats du premier tour de la présidentielle tombaient. Sans surprise, l’absence du Général n’avait pas permis de dégager de majorité absolue pour aucun candidat. Comme le voulait la constitution, un second tour allait être organisé le surlendemain, où cette fois-ci le président serait élu à la majorité relative. La première grosse surprise du scrutin fut Mitterrand, qui arrivait en tête. Mais l’autre grosse surprise résulte de l’éclatement de la coalition de droite, au pouvoir. Ainsi, à Matignon, un long silence suivit le choc et la surprise. Pompidou était arrivé troisième, à quelques points du numéro deux : Jean Lecanuet. Derrière Pompidou se trouvait Poujade, qui avait bénéficié du soutien des élus nostalgiques de l’Algérie. Rapidement le premier ministre-candidat organisa une réunion de crise, réunissant les Barons du Gaullisme. Il était dès lors évident que Mitterrand serait élu, en l'état actuel des choses. Une partie des gaullistes et membres du gouvernement, jusqu'à Monnerville lui-même, tentèrent de pousser vers une alliance avec Lecanuet, mais cela impliquait pour Pompidou de se retirer, ce qui était, pour le premier ministre, inadmissible. Du côté des nostalgiques de l’Algérie, la déception est encore plus grande. Relégué à la quatrième place, leur candidat n’a plus aucune chance de l’emporter. Pire, les communistes sont aux portes du pouvoir.
24 septembre, 1h45, sur les quais de seine. Une rencontre incongrue va sceller le sort du pays. Sur un banc sous un réverbère, un officier de l’armée de l’Air attend. C’est Jean Bastien-Thiry, l’Homme derrière Charlotte Corday. Deux autres hommes viennent alors le rejoindre, tous deux âgés d'une cinquantaine d'années. L’officier renégat croit reconnaître un des deux, au sourire terrifiant. C’est Maurice Papon, le préfet de Paris. L’autre homme est sans doute un policier. Bastien-Thiry, qui croit d’abord à un traquenard de la Police, est vite rassuré, puis il reconnaît l’autre homme, Jean-Louis Tixier-Vignancour, l’avocat des partisans de l’OAS. Des trois hommes, seul le préfet sait pourquoi ils étaient réunis. Il leur expliqua alors son plan. A peine l’Algérie perdue que les communistes s’approchent du pouvoir. L’heure était grave, et il fallait frapper fort, avant que les résultats du second tour du scrutin ne soient annoncés. Bastien-Thiry et son commando devront prendre le contrôle du Palais bourbon et de l’Elysée, avec pour objectif d'entraîner, par effet domino, les militaires pro-algérie. Tixier-Vignancour ralliera les nostalgiques de l’Algérie au Coup d’Etat, et lui donnera un verni de respectabilité. Quant au Préfet, il fournira le soutien logistique et humain, en donnant à Bastien-Thiry une liste de soutien pour mener le coup à bien. Le militaire semble cependant dubitatif. Un coup d’Etat, c’était peut-être un peu trop. Papon le rassura vite. En cas de réussite, il aura l’immunité et même la reconnaissance pour avoir tué le général. Et de toute manière, si l’armée n’agissait pas dès lors, ce serait l’U.R.S.S. qui enverra ses tanks, comme à Budapest, pour “fêter” la victoire de Mitterrand. Il n’en fallut pas plus pour briser l’hésitation du renégat. Tout est alors mis en ordre, le coup aura lieu le 25, à 20h00.
29 Janvier 1963, Hôtel Beauvau, 16h25. Un homme entre dans le bureau du ministre de l’intérieur et lui confie un dossier. Ce dernier le lit, avant de sourire d’un air terrifiant. Bastien-Thiry a été tué, comme prévu. Cet homme avait trop de conscience pour continuer à vivre. Il n'aurait plus manqué qu’il se mette en tête de recommencer ses assassinats politique, et ne tue dans un accès de remords mal placé le poulain des nouveaux maîtres du Pays. Le putsch vit l’armée se rallier bien vite aux triumvirat, et prit rapidement le contrôle du territoire. L’assemblée dissoute, la constitution suspendue et les opposants systématiquement arrêtés. A l’Elysée avait été placé, peu après le coup d’Etat, Pierre Poujade. L’homme s’était opposé au putsch, mais il fallait un homme de paille à la population, et qui de mieux que ce quarantenaire hyperactif, qui perdait toute sa hargne quand il était placé entre les barreaux dorés de sa prison, rue du Faubourg Saint-Honoré. A Matignon, Pompidou avait été mis en retraite dans son auvergne natale et remplacé par Tixier-Vignancour. L’armée avait été confiée à Sarlan, un des putschistes de 61, libéré par les nouveaux maîtres du pays. Quand a Papon, il avait obtenu le poste qui le rendait quasiment tout puissant : l’Intérieur. Les répressions depuis le putsch n’avaient pas cessé, et les émeutes, qui s’étaient calmé depuis l’indépendance de l’Algérie, avaient repris de plus belle, et le sang de la France coulait à nouveau dans les rues. Du pain béni pour le nouveau ministre, qui pouvait enfin montrer au monde tout son potentiel. Sa nouvelle police secrète, l’Organisme de Vigilance et de Répression de l’Antifrance, était aux ordres et faisait régner la peur chez les ennemis du nouveau gouvernement. Bientôt, quand l’ordre sera rétabli dans le pays, il sera temps de penser à ramener la démocratie, sans doute. En attendant, Marianne, fais de beaux rêves. Oncle Papon veille sur toi.
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