Chapitre 6

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Alors que je progresse à la vitesse d’un escargot, je jette régulièrement des coups d’œil autour de moi, pour m’assurer de ne pas être suivie. Bien trop vite, je découvre que c’est le cas. Une des ces araignées humaines s’est détournée de son jouet (un homme, d’après les cris) et s’approche lentement vers moi. Un frisson glacial me parcourt. Mon cœur — qui bat déjà à un rythme élevé — se met à battre encore plus fort dans ma poitrine, c’en est douloureux. La nausée me saisit à nouveau, je ravale ma bile comme je peux, tandis que la distance entre elle et moi s’amenuise doucement. Au début, elle semble hésiter, comme si elle n’était pas sûre que je sois l’un de ces jouets qui sortent de l’étang magique. Je tente d’accélérer le pas.

Grossière erreur.

La peau et les muscles de mes pieds ne sont plus que des souvenirs. Je vois mes tendons et mes os lorsque je marche. En accélérant, j’ai atteint un seuil de ma tolérance à la douleur : un maigre gémissement monte de ma gorge, je l’étouffe, il ne franchit pas mes lèvres, mais ce misérable son étouffé a suffi à alerter les choses alentour. La créature arachnéenne s’avance vers moi avec beaucoup plus d’assurance et j’entends déjà ses mandibules claquer d’excitation.

Putain, c’est quoi ce bordel ? Où suis-je ? Où est Solange ? Où puis-je m’abriter ?

Qu’ai-je fait pour mériter ça ?

Les questions, toutes plus inutiles les unes que les autres dans la situation actuelle, se succèdent et se bousculent dans ma tête.

J’ai réellement envie de crier. Là ! Tout de suite ! De fatigue. De désespoir. De douleur. De terreur.

Je me retiens.

Maladroitement, en serrant les dents et en me préparant à le regretter, j’accélère le pas.

Mon corps n’est que douleur… Pourtant, je continue, car je n’ai aucun doute que ces créatures vont me faire redéfinir le mot souffrance aussitôt qu’elles m’auront rattrapée. Car : oui ! Deux autres monstruosités se rapprochent également dangereusement de moi.

Ce qui devait arriver arriva. Je trébuche et tombe à quatre pattes dans le sable coupant. Mes paumes, mes genoux, toutes les parties de mon corps au contact du sol se déchirent avec une aisance déconcertante. Je lève des yeux embués de larmes et je crois distinguer la fin de la plage à une dizaine de mètres ! Cela ressemble à de l’herbe, ce sera toujours moins pire que ce sable horrible !

Je ne regarde pas derrière moi, je sais que les créatures sont proches : j’entends le sable crisser sous leurs pas. Je sais que si je me retourne, c’est foutu, je n’aurais plus le moindre courage.

Avec douleurs, je me relève. J’ai envie de frotter mes mains contre moi pour les essuyer, je me retiens. Le gravier de la villa me semble si doux à présent.

Les bruits derrière moi se rapprochent : des claquements de pinces, de mandibules, des bruits gutturaux, des râles sinistres… L’espoir de quitter cet endroit vivante est une illusion qui s’estompe à chaque seconde.

J’avance.

Un pas.

Un autre.

Je m’apprête à poser le pied, quand je sens soudain une chose visqueuse et brulante s’enrouler autour de ma cheville et me tirer brusquement en arrière. Je m’étale de tout mon long.

J’aurais du rester dans l’étang.

Alors que je lutte contre le besoin de hurler ma terreur et ma douleur, je sens des crocs se planter dans mes mollets… puis d’autres dans mes cuisses, mes hanches, mon dos… Bientôt tout mon corps subit des morsures. On me piétine, on m’arrache des morceaux de chair. La souffrance est insoutenable. Pourtant, je subis sans me débattre et aucun son ne sort de moi. Je suis pitoyable.

Je veux mourir. Pourquoi la mort est-elle si lente à venir me chercher ?

Soudain, je sens un liquide brûlant, acide se répandre dans mon dos, dévorant ma chair et mes os. La douleur est lancinante. Je me cambre malgré moi et un véritable hurlement m’échappe. Il me déchire la gorge, me perce les tympans et excite mes assaillants qui me dévorent avec une vélocité malsaine. A présent que j’ai lâché prise, il m’est impossible de revenir en arrière. La raison m’a quittée en même temps que mon cri. Mes pleurs et hurlements se mêlent à ceux des autres victimes sur la plage.

J’attends la Mort, mais elle ne vient pas. Ce supplice semble s’éterniser sans qu’il me soit possible de reprendre mon souffle entre deux hurlements.

Une vague lueur rougeoyante et chaude me parvient, face à moi. Sans doute une autre monstruosité qui vient se joindre au festin. Au lieu de sentir d’autres formes de torture, je sens les morsures cesser. Je perçois des grognements, des claquements agressifs de pinces. On me recouvre, on me piétine. Je dois être délicieuse pour être si bien défendue. Dispensée de morsures et de torture, je parviens à discerner mes pensées. Un échange étrange et incompréhensible a lieu entre mes bourreaux et le nouvel arrivant. Je ne sais pas quoi espérer : si c’est eux qui gagnent, je vais en baver encore longtemps avant que la faucheuse ne vienne enfin me libérer. Si c’est lui… Que va-t-il me faire ? Je ne sais même pas à quoi il ressemble, j’ai la tête enfouie dans le sable, les yeux écorchés.

Je n’ai guère le temps de cogiter davantage aux différents scénarii, un terrible rugissement résonne à mes oreilles. Mes bourreaux reculent. Sur moi. Plantant leurs pattes crochues dans ma cage thoracique. Mais comment puis-je encore être vivante ou ne serait-ce que consciente avec de telles blessures ? Un second rugissement résonne, suivi d’une voix sifflante et menaçante. Les choses détalent, me laissant seule face à ce nouveau potentiel tortionnaire. J’essaie d’avaler ma salive, du sable en profite pour s’insinuer dans ma gorge.

Le nouveau s’approche de moi, ses pas sont lourds sur le sable. Il respire avec force.

Brusquement on me tire par les cheveux, jusqu’à me redresser, jusqu’à ce que même mes pieds ne touchent plus terre. Est-il encore nécessaire de dire que j’ai mal ? A ce stade de douleur, je ne suis même plus humaine, juste une chose sanglante.

— Est-ce que tu peux marcher ?

Le nouveau parle ! Sa voix est sèche, grinçante, irritante même, à l’oreille, mais je le comprends. En guise de réponse, un flot de sang coule de mes lèvres. Cela n’a pas l’air de lui plaire.

— Aaaarf !

Il me secoue comme une vulgaire poupée, je sens vaguement du sable retomber. Mais je sens autre chose me quitter : mon pied gauche. Je n’ai même plus la force de pleurer. En vérité, je prie pour que le nouveau m’achève. Au lieu de ça, il me jette sur son épaule et se penche pour ramasser quelque chose (mon pied ?), avant d’entreprendre une longue marche.

Chaque pas effectué par mon nouveau bourreau est une torture : étirant un peu plus les déchirures qui me parcourent, enfonçant plus profondément le sable dans ma chair. Je reste néanmoins silencieuse. Une fois de plus, je veux me faire oublier. Avec un pied en moins et mon corps en lambeaux, l’idée de m’échapper me fait presque rire.

Le temps semble s’étirer, me laissant l’occasion d’avoir une ou deux pensées cohérentes entre chaque élancement douloureux. Tant bien que mal, je m’efforce de ne pas penser à ce qu’il va advenir de moi, cela me terrifie. En revanche, je m’interroge sur l’endroit où je suis, mais également sur la nature des drogues qui m’ont été données pour m’y amener et me permettre d’endurer autant de souffrance. J’ai toujours su que Solange me détestait, mais à ce point ?

La curiosité me ronge et mon porteur n’est pas très bavard. Seuls mon ouïe et mon odorat me permettent de collecter quelques informations. Les hurlements alentours vont et viennent, je parviens vaguement à distinguer des grognements, des cliquetis de chaînes et autres claquements de fouet. Partout, je sens l’odeur métallique du sang, l’odeur de la Mort et celle du feu.

Lorsqu’enfin mon porteur s’arrête, je n’ai pas le temps de le réaliser, car il me jette aussitôt à terre. S’en suivent des vociférations de sa part. Des bruits de pas délicats, légers, s’approchent. J’entends alors un nouveau s’exprimer d’une voix suave, mais sèche. Dire qu’il n’a pas l’air content est un doux euphémisme. L’échange s’envenime, tandis que je gis à terre, immobile, priant toujours que la Mort vienne me libérer. Mon porteur me met brusquement un coup qui me brise plusieurs côtes — je les ai entendu craquer — avant de reprendre la parole.

Finalement, j’entends mon porteur s’éloigner, tandis que les pas délicats se rapprochent.

— Tu es drôlement amochée petite chose !

Sa voix est douce, comme une caresse après la cacophonie d’agonisants. Je sens qu’il touche mon front ; malgré sa délicatesse, cela me fait un mal de chien.

— Je ne pourrais rien tirer d’agréable de toi dans cet état… Il soupire, vraisemblablement agacé. Nous allons remédier à cela.

Avec une infinie délicatesse, je le sens poser ses mains sur ma tête : l’une sur mon menton, l’autre à l’arrière de mon crâne. Avant que je ne réalise réellement ce qu’il s’apprête à faire, il me brise la nuque d’un geste sec.

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