5.

4 minutes de lecture

5.

Alba tente de chasser Angèle de ses pensées, certaine qu’elle n’en vaut pas la peine. Mais je sais que la lutte est perdue d’avance. Je l’ai dit, il faut choisir ses combats. Bien que très rarement, Angèle revient s’immiscer dans ses pensées. Il y a ces personnes qui sont tout pour vous à un moment donné de la vie. On n’imaginerait pas vivre sans, vivre différemment. Et pourtant tout s’éteint bien vite sans avoir même le temps de s’en apercevoir. Encore un pied dans le présent, Alba se sent reconnaissante que ce ne soit pas le cas avec Adrian, ou même Éléonore. Puis elle abdique face au passé qui veut la prendre et elle se laisse replonger dans cette époque où Angèle était la personne qui la maintenait. Elle se raconte alors sa propre vie dans sa tête, comme si elle me racontait encore cette vieille histoire, et je sais que je dois la fermer le temps que ça passe.

Octavia passe une patte dans ses cheveux et étire ses ailes.

« Dans la série bien connu d’Alexandre Astier, beaucoup de réparties sont seulement le mot « merde ». C’est beaucoup trop facile comme réponse mais terriblement efficace. J’ai souvent eu envie de lui dire merde à Angèle mais le mot se formalisait bien après les moments où j’aurais du le lui flanquer sur les deux joues. Jonglant sans cesse avec le coeur des autres pour mieux se connaître elle-même, la duperie m’était restée entière et je me noyais dans ses distractions.

Je l’avais remarquée, toute en finesse, dès le premier jour de la rentrée, ne pouvant considérer autre chose que l’élégance de ses traits. Elle m’est apparue comme un coup de foudre amical - phénomène inconnue et qui me sembla assez inconcevable. Elle devenait dès lors inaccessible, de classe supérieure rien que par sa nature. Je m’étais senti aussitôt confuse et fautive, et l’inévitable culpabilité s’est installée jusqu’à ce qu’elle me confie avoir pensé la même chose de moi, ce jour-là. Cette révélation m’avait laissé pantoise. Je me souviens m’être mise face au miroir le soir-même, et me regardant droit dans les yeux je me suis demandée ce qu’elle avait bien pu voir en cette image. Quelles sont ses qualités qu’elle me prête ? Je ne décelais rien d’harmonieux, dans ma personne, extérieure comme intérieure. De toute évidence je devais être une belle imposture.

J’eu cette impression qu’elle savait qui j’étais. Sous son regard, la sensation puissante d’avoir une identité que je tentais de deviner à travers elle. Au fur et à mesure cette recherche de soi sous le prisme de l’autre prit un aspect vicieux. Comme une drogue je suis devenue dépendante d’elle pour avoir une identité, j’avais besoin d’elle pour exister. Ma main restait vide de la sienne.

Dans cet état où je m’accrochais avec fermeté à ce lien invisible qui nous liait, Angèle s’était finalement permise de me prendre pour son terrain d’expériences et de curiosités. Adolescentes en construction, nous ne comprenions rien à rien de ce qui nous arrivait. J’eu de la poitrine avant elle. Tu te souviens Octavia ? Elle m’enviait terriblement pour cela et n’arrêtait pas de les toucher à la volée, sans jamais s’être souciée de mon consentement. Mon coeur avait raison de ressentir de la colère face à ces petites agressions récurrentes. Pourtant, ma raison me répétait que je pouvais lui offrir le réconfort de sentir mes rondeurs dans sa main, pour faire patienter sa hâte de voir sa propre poitrine se bomber. Angèle n’eu jamais vraiment de poitrine. Je me rappelle d’une fille plate, mais avec tellement de profondeur.

S’amusant à bousculer ce qu’elle voyait d’intéressant chez les autres et qui lui semblait lui manquer, elle convoitait, jalousait timidement et tentait de se l’approprier sous couleurs de l’amitié sincère. Angèle était dans une discrète provocation pour se prouver qu’elle était intéressante mais sans jamais faire trop de vague. Je n’est pas su opter pour la rébellion. J’ai consenti, comme un faible poison qu’on ingère à petites doses régulières pour accoutumer le corps à l’accepter.

D’autant plus que, de ses actions provocantes, elle prenait la position séduisante de l’effrontée, de celle qui ose. C’est pourquoi ce qui aurait du se révéler comme toxique était admirable à mes yeux. Je l’a trouvais incroyable dans sa franchise naturelle avec cette voix douce et pleine qui sortait de ses lèvres ourlées, venant affaiblir la petite violence dont elle venait de faire preuve. Irrespectueuse et insolente.

Alors je devais la suivre dans son sillage car aller vers l’outrage c’était donner du piment à la vie. Sortir de l’ordinaire ennuyeux pour lui offrir de l’inattendu. En échange je recevrais sa reconnaissance. S’instaura progressivement en moi comme la pression de lui fournir des moments amicaux de qualité pour rester à la hauteur - celle de son rang - et ainsi continuer à voir l’identité qu’elle me donnait à travers son regard.

D’ailleurs quand je repense à mon adolescence, je ne saurais me décrire, lui donnant l’entière place de mon récit. Je n’étais pas, elle était là. »

Annotations

Vous aimez lire Nell. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0