Le coupable dévoilé
« Oui, on se souvient de la fameuse semaine, comme tu dis, riposta Aimé. On peut avoir la réponse, maintenant ? Qui était le traître qui nous a vendu aux chleuhs ? »
Il se tourna vers Gaston et ajouta :
« Non pas que je doute qu'un certain voleur ait trafiqué plus qu'il ne le fallait, dans le style des informations qui ne lui appartenaient pas, et dans les mauvaises oreilles.
-J'ai toujours cru que c'était Lucien, protesta Pierre. Ou Pascal. Pascal n'était pas dans la grange alors qu'il avait dit qu'il y serait. Et Lucien n'a pas bougé d'un cil pour aider Guy.
-Bon sang, combien de fois faudra-t-il que je le dise ? s'exclama Lucien. De là où je me tenais, il m'était impossible de savoir que j'étais le seul à pouvoir faire quelque chose. Et puis, j'étais tétanisé. Même si j'avais su, je ne suis pas sûr que j'aurais pu bouger.
-Quant à moi, ajouta Pascal, il me semblait plutôt que c'était Pierre. Je me suis réveillé en haut d'une botte de foin, au rez-de-chaussée, j'ai cru qu'on m'avait poussé, et puis je me suis dit que j'avais du trop bouger. Par contre, Pierre ne m'avait pas réveillé.
-Je ne t'avais pas trouvé, répondit Pierre. Je n'ai cherché qu'en haut, c'est là qu'on dormait tous quand on passait la nuit hors de chez nous !
-Pour ma part, ajouta Pascal, j'ai toujours pensé que c'était Aurélien le coupable. Avec son sens de la mauvaise blague.
-Pas fou non ? s'exclama Aurélien. Je sais que mon nom de code était Adolf mais quand même ! C'était stratégique, pas juste par amour de la blague !
-Et personne ne se pose de questions sur Gaston ? s'indigna Aimé.
-Mais à force ça confine à l'obsession ! hurla Gaston en se levant. Et toi, Aimé, pourquoi personne ne te soupçonne ?
-ASSIS ! tonna René. Maintenant, je vais vous dire le fin mot de l'histoire. »
Gaston se rassit.
« Le jour où Guy est mort, poursuivit-il, j'ai perdu pour la première fois un homme sous mes ordres. Mais je vous ai aussi tous perdus. Plus de confiance, plus de réseau. Pierre et Aimé sont restés jusqu'au Débarquement, les autres se sont dispersés - réseau du Chasseur, réseau du Tigré, vie civile... -. J'aurais voulu empêcher cela. J'aurais voulu tous vous réunir de nouveau. Mais sans confiance... »
Il s'interrompit, mit la main dans sa poche - Aimé, qui était resté à ses côtés pendant ces dix ans, savait qu'il touchait la décoration qu'il avait reçue pour ses actions de résistance chaque fois qu'il était ému.
« Bref, il y a une semaine, j'ai reconnu, dans les couloirs de la sous-préfecture, le Sous-Préfet lui-même, que je n'avais pas encore croisé. C'était le Chasseur lui-même, qui m'a également reconnu. On a pris un verre en l'honneur du bon vieux temps, et il m'a donné le fin mot de l'histoire. Vous savez qu'il nous avait toujours surclassé dans les opérations sur le terrain parce qu'un de ses hommes avait infiltré l'administration d'occupation et travaillait à la Kommandantur locale...
-Tu as vraiment l'art de digresser et de ne pas donner la réponse que tout le monde attend, fit remarquer Gaston.
-Je sais, dit René. Bref, il m'a donné le fin mot de l'histoire. Nous avons bel et bien été trahis. Les soldats ont su où nous étions et quand nous y serions parce qu'un homme à qui nous faisions confiance le leur avait dit. »
Tous se tendirent, attendant désespérement de savoir qui était le coupable.
« C'était l'homme que le Chasseur nous avait prêté pour l'attaque de la colonne militaire, finit René. Le Chasseur s'est excusé d'avoir mis nos deux réseaux en danger à l'époque, il ignorait que l'homme en question était un traître. J'espère que maintenant, nous pourrons enfin faire notre deuil de Guy Blanche. »
Il leva son verre.
« À Guy. Maintenant que l'Affaire Blanche est refermée, j'espère que nous pourrons tous faire notre deuil de cette époque et nous faire de nouveau confiance. »
Un à un, les autres levèrent leurs verres et portèrent un toast à Guy Blanche.
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