Le serveur

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 Quinquati désespéra. L'humanité avait quitté ces deux pauvres malchanceux, et il ne voulait pour rien au monde que son tour n'arrive. Il chercha alors le mécanisme de la porte. En vain. Puis, il tâta chaque centimètre de roche autour de lui en quête d'une faille. En vain. Découragé, épuisé, il se laissa tomber, n'ayant plus qu'un degré d'activité à peine supérieure à celui des deux enveloppes privées d'âme. Il ressentit alors une douleur musculaire et un tiraillement au niveau de son ventre. La faim. Depuis combien de temps n'avait-il pas mangé ? Impossible à savoir. En observant à nouveau les allures déshydratées de ses compagnons, il remarqua également sa soif.

 Soudain, au bout du tunnel rocheux, la porte métallique s'ouvrit. Un homme en sortit.

 — Repaaas ! prononça-t-il d'une voix graveleuse, éraillée, comme si parler était un calvaire pour lui.

 Sa démarche était des plus atypiques. Celle d'un homme qui trouvait le poids de son corps trop lourd à porter. Ses deux pieds ne suivaient pas non plus la même cadence.

  Il actionna un levier situé sur un mur, entre les deux rachitiques, et la cloison de la cellule s'ouvrit. Quinquati se releva pour accueillir son gardien. Celui-ci déposa une ration sur le sol sans lui adresser un seul regard. Sa peau était aussi exsangue que les autres, son visage n'était imprimé d'aucune émotion, hormis peut-être l'hébétude. De la pourriture semblait lui pousser dessus, à moins que ce ne soit de la crasse. Le prisonnier était ébahi et terrifié à la fois.

 "Mais qui sont donc ces gens ? Que leur est-il arrivé ?"

 Le serveur fit demi-tour, actionna à nouveau le levier et s'en alla. Dès qu'il eut refermé la porte derrière-lui, Quinquati remarqua qu'il était le seul des trois à avoir reçu de la nourriture. Le groom délavé les croyait morts. Après tout, la décomposition avait déjà commencé son œuvre sur eux, ignorant qu'ils respiraient toujours.

 — Hey, vous deux ! Écoutez-moi, j'ai besoin de votre aide pour nous sortir d'ici. Je ne vous demande qu'un seul tout petit effort ; relevez ce truc au dessus de vous. Je m'occuperai du reste.

 À son excitation, Quinquati ne reçut qu'un écho. Les captifs chétifs demeuraient inertes.

 — Allez quoi ! Les gars, au moins ça !

 Ils ne répondirent d'aucune façon.

 — Très bien... Je comprends, signifia Quinquati de sa voix blasée habituelle.

 Il se pencha sur ses mets. Une petite gourde d'eau calcaire et du pain dur. Un festin de roi, en somme. Pour tromper l'ennui et la peur, Quinquati croqua dans la mie et engloutit le liquide au goût infect. Alors pourtant même qu'il se sustentait, il ressentit un peu plus ce que la mort était. La mort était autour de lui, et en lui.

 Quinquati resta donc des heures qui s'étiraient à l'infini allongé contre la pierre fraîche, humide, qui lui transmettait de sa froideur. Il se ressassait les mêmes pensées encore et encore. Sa colère contre Malgati ne s'estompait que très lentement. Sa haine des êtres incompréhensifs de la forêt ne s'atténuait nullement. Son dégoût envers ce lieu et la bête qui l'y avait enfermé, non plus.

 Et ce stupide corbeau qui avait attendu qu'il commette l'irréparable pour lui expliquer son tort, quel imbécile ! Il l'avait certes défendu par la suite, mais il aurait pu ne jamais le faire en se transformant avant...

 Et quitte à chercher un coupable, Quinquati se remémora aussi son enfance. Ce moine ne l'avait pas bien éduqué. Il aurait dû lui expliquer avec plus de clarté et de manière plus ludique à quel point son désir de puissance, qui s'était exprimé en dernier à travers ce défi de couper l'arbre qu'il s'était imposé, était mauvais. Il avait cédé à la cupidité et à la gourmandise, chose qui, Quinquati en était sûr, ne serait jamais arrivé avec une éducation religieuse plus intense. Ce père adoptif aurait au moins pu lui trouver un métier plus stable, plus gratifiant, plus simple et moins risqué !

 Et ses parents... S'ils ne l'avaient pas abandonné en mourrant si tôt, rien de tout cela ne serait arrivé. Quand on tient à son fils, on est plus prudent, on ne fait pas de choses insensés, on se met en sécurité ! On ne meurt pas comme ça ! D'ailleurs, Quinquati ne savait même pas comment ils étaient morts... Et il allait bientôt le savoir, en les rejoignant.

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