Secret paroissien

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 Arrivé devant le presbytère, Soucia toqua. Pas de réponse. Il toqua à nouveau.

 — Si nous nous trompons, nous aurons dérangé ce pauvre Benoît pour rien.

 — Tant pis.

 Lontary colla son oreille à la porte. Aucun bruit.

 — Les grands moyens sont parfois nécessaires, récita-t-il en se reculant de quelques pas.

 Le chevalier fit signe aux trois hommes de s’écarter. Il fonça dans la porte, fournit un violent coup d’épaule de fer. Le battant se brisa dans un âpre fracas. Lontary se permit d’entrer, et, d’un mouvement de main, invita ses compagnons à l’imiter. Un petit cri de surprise surgit de l’intérieur.

 — Qui va là ? demanda une voix.

 — Ne craignez rien, ce n’est que nous, déclara Lontary avec flegme.

 — Qui ça ?

 Le chevalier laissa planer un silence, et personne d’autre n’osa répondre. Il progressa à l'intérieur de la bâtisse plongée dans une semi-obscurité appaisante. Le bruit de ses pas sur le sol de pierre résonnaient lourdement, comme une menace. La voix y réagit : 

 — N’approchez pas ou vous le regretterez !

 — Bien sûr.

 — Vous avez encore le temps de partir !

 Lontary ouvrit une porte.

 — Vous voilà !

 Puis il émit un léger bruit d’étonnement en remarquant le fond de la pièce.

 — Qu’est-ce que…

 Soucia suivit le noble et aperçut, en regardant sous son épaule, la silhouette de Benoît, terrifié, ainsi qu’une seconde, allongée, que le prêtre tentait de dissimuler. Soucia ne parvint pas à déterminer tout de suite pourquoi, mais une sensation de malaise grimpait en lui quand il la regardait.

 — Dites donc, mon Père, qu’est-ce que vous nous cachez ? interrogea Lontary.

 — Si seulement je le savais…

 Benoît s’écarta face au mouvement du grand chevalier. Ce dernier baissa le drap qui recouvrait le buste de la silhouette et la fixa longuement, stupéfait.

 Jinko rejoignit son maître et effectua un mouvement de recul accompagné d’un hoquètement dès qu’il aperçut la chose sur le banc. Il jeta un regard sur Lontary, mais celui-ci restait figé, les yeux plissés, la mâchoire serrée.

 Fabull observa brièvement la pièce. Il trouva des plantes médicinales diverses, des bandages, des tissus imbibés de sang, plusieurs outils, du fil, de la poudre et un sac rempli d’affaires diverses.

 D’un air incrédule, Soucia dévisageait le prêtre.

 — Je vous en prie, mon père, expliquez-nous ce que vous nous cachiez. Et pourquoi.

 Benoît se tenait le dos courbé, la nuque enfoncée dans les épaules, les mains suantes qui s’entrelaçaient continuellement. Ses sourcils plissés témoignaient de sa culpabilité, semblable à celle d’un enfant qu’on aurait pris sur le fait.

 — Écoutez, je ne veux que du bien. J’ai estimé qu’il serait préférable de le cacher au reste du village pour le moment. Je ne pensais pas à mal, vous vous doutez bien.

 — Mais qu’est-ce que vous nous cachez exactement ? s’agaça Soucia, profondément déçu.

 Le prêtre allait répondre de manière évasive, mais Lontary sortit de sa léthargie et prononça d’une voix grave :

 — Un démon. Notre vicaire dissimulait une créature impie dans son propre logement, au sein même de notre innocent village.

 — Non, pas du tout ! hoqueta Benoît.

 Lontary décala son imposante carrure, permettant aux soldats d’apercevoir la chose. Choqués, ils découvrirent une espèce d’humanoïde trapu à la peau cendrée.

 — Vous soigniez cette chose ? s’éberlua Fabull.

 — Et il a réussi, confirma le chevalier. Ce suppôt de Satan respire.

 Il y eut un bref silence, qui laissa percevoir la forte respiration du monstre méphistophélique.

 — Mon Père… chuchota Soucia. Pourquoi ? Pourquoi ? Vous avez trahi notre confiance… Vous avez trahi le Tout-Puissant…

 — Non, vous ne comprenez pas, se défendit le prêtre en remuant les bras dans tous les sens. Ce n’est pas un démon, regardez-le mieux.

 — Je l’ai déjà bien regardé, attaqua Lontary.

 Guidés par la curiosité, Soucia et Fabull s’approchèrent. Ils découvrirent sous les balafres une bête noire qui, même dans le sommeil, paraissait emplie de colère.

 Lontary avait saisi son épée et il la brandit.

 — Je me dois d’occire cet esprit démoniaque et ainsi purger l’impureté qui a osé gangrener notre monde ! Meurs, monstre !

 — Non attendez ! hurla le prêtre.

 Lontary n’acheva pas d’abaisser son épée, resta en suspens.

 — C’est un humain, comme nous ! assura Benoît. Il est juste un peu différent.

 — Un humain, ça ? s’énerva Fabull. Nous prenez pas pour des cons, on voit bien que c’est un monstre !

 — Pas d’insultes s’il te plait, Fabull.

 — Mais Soucia, tu oses encore me dire ça alors que t’as la preuve sous les yeux qu’il nous mentait ?

 — Calmez-vous mes Fils, calmez-vous.

 — M’appelle plus comme ça ! tempêta Fabull.

 — Un peu de tolérance, que diable ! s’emporta Benoît.

 Il ouvrit ses bras en grand, renversant un bocal de sauge qui s'écrasa contre le sol dans un fracas. Les intrus l’écoutèrent et Lontary rangea sa lame dans son fourreau.

 — Il est certes différent, mais au fond, il est comme nous. Ce n’est que la couleur de sa peau et de ses yeux qui nous semblent inhabituels, mais je vous assure qu’il est bon.

 — Ses yeux aussi ? s'étonna l’insomniaque, pleinement réveillé.

 — Qu’est-ce qui vous fait croire qu’il est bon ? demanda Soucia.

 — J’ai eu l’occasion de lui parler avant qu’il ne s’endorme pour récupérer. J’ai appliqué les premiers traitements et lui ait fait boire une de mes concoctions. Il est loin d’être guéri mais j’ai bon espoir.

 — Qu’a-t-il dit ?

 — C’est Malgati qui me l’a ramené dans la nuit. Il était lourdement blessé car, d’après ce que j’ai compris, ils se sont battus des heures durant pour sauver Quinquati, le bûcheron solitaire.

 — Tout se recoupe, osa Jinko.

 Lontary lui jeta un regard inquisiteur, puis lui offrit une moue approbatrice.

 — En effet. Expliquez-nous tout.

  Benoît prit une grande inspiration et s’exécuta :

 — Eh bien je dormais tranquillement quand j’ai entendu toquer, à plusieurs reprises. Je me suis levé avec difficulté puis ai ouvert. Malgati était de l’autre côté et soutenait l’homme qui est allongé ici-même pour l’aider à marcher. Il m’a imploré de l’aider et de soigner son ami.

 — « Ami » ? releva Soucia.

 — D’après ce que j’ai compris, oui.

 — Malgati n’utilise pas ce mot à la légère. Je ne l’ai jamais entendu le prononcer hormis pour parler du bûcheron, justement.

 — D’ailleurs, le bûcheron lui, il ne l’aimait pas, si ? fit remarquer Fabull.

 — Certes, mais il est un des seuls, avec moi, à ne pas l’insulter directement.

 — J’ai jamais fait ça non plus, moi ! s’insurgea Fabull.

 — Et hier matin, par exemple, c’était quoi, sinon des insultes ?

 — Oui, bon, c’est pas ma faute, j’étais fatigué…

 — Reprenez, ordonna Lontary.

 — Oui… Et donc cet homme était gravement blessé. Vous pouvez le voir il a reçu de nombreux coups d’épées. Par chance, il devrait s’en remettre.

 — « Chance » … murmura Fabull.

 — Il y avait une autre personne aussi, expliqua le prêtre. Lui avait la peau mauve et des plumes un peu partout sur le corps.

 L’esprit de Soucia s’éclaira.

 — Tout s’explique… Un homme avec des plumes, vous dites ?

 — Oui.

 — Savait-il voler ?

 — Alors ça, je l’ignore. Ceci dit, je vois mal comment il aurait pu, il ne possédait pas d’ailes.

 — Un homme-oiseau, soupira Fabull. Ça, je suis désolé, mais ça n’a rien d’humain.

 — Son aspect était singulier, je vous l’accorde, accorda Benoît, bien plus que celui que vous avez traité de démon. Néanmoins, il s’est avéré fort cordial et érudit.

 — Manquerait plus qu’il morde ! pouffa Fabull.

 — Qu’est-ce qu’il t’arrive ? lui demanda son collègue. D’où te viens toute cette rage ?

 Benoît, Lontary et son écuyer se posaient la même question.

 — Ne faites pas comme si c’était normal, s'indigna Fabull. On ne peut se permettre de laisser de telles abominations nous côtoyer. On ne devrait même pas les laisser en vie, et encore moins les aider.

 — Ne dites pas de telles absurdités, l’intima Benoît. Vous risquez de le regretter. Vous ne lui avez pas encore parlé, et il n’a rien fait de mal !

 — Certes…

 — D’ailleurs, comme je vous l’ai raconté, il a aidé Malgati.

 — Contre qui ? demanda Soucia.

 Benoît se gratta l'arrière du crâne.

 — Alors, je dois avouer que je n’ai pas tout compris, mais apparemment des monstres se sont installés non loin de la forêt, à l’est, et ont capturés le bûcheron car il… abattait des arbres ?

 — Et vous comptiez nous cacher cette information encore longtemps ? explosa Lontary en cognant brutalement une table.

 Benoît se recroquevilla de plus belle et fit tourner ses mains l’une dans l’autre.

 — Non, non…

 — Quand alors ?

 — Eh bien, aux aurores Malgati est reparti en éclaireur dans la forêt avec l’homme à plumes, que je venais de soigner. Ils voulaient s’informer de la situation actuelle pour savoir comment agir.

 — Nom d’un chien, pesta Fabull.

 — Bref, j’attendais qu’il revienne, conformément à son souhait, avant de parler.

 — Et s’il ne revenait pas ? supposa Lontary sur un ton sévère.

 — Dans ce cas, eh bien, je vous aurais prévenu, évidemment…

 — Trêve de bavardages futiles. Dites-nous où il se rendait exactement.

 Le prêtre leur indiqua la route de manière aussi absconde que Malgati le lui avait décrite.


 Le groupe laissa l’homme d’Église. Conformément aux ordres du comte, ils avertirent plusieurs soldats de se préparer à la défense du village, que ce soit contre les Royaumes ou contre les éventuels monstres – que Soucia n’évoqua pas pour le moment, par crainte de les affoler pour rien, d’autant plus qu’il ne détenait aucune information les concernant. Soucia conserva avec lui une dizaine de soldats pour son expédition.

 Afin de pister les traces de Malgati, Soucia pensa demander l’aide des chasseurs. Deux d’entre eux se joignirent à la troupe. L'un d'eux, nommé Oplo, déclara :

 — J’veux bien vous aider mais c’est qu’j’ai jamais pisté d’humains, moi. Et encore moins des « monstres ».

 — En tout cas, ajouta Firi le second chasseur, je suis rassuré de retourner en forêt avec vous, après ce qui est arrivé à Fenihart hier…

 — Ouais, on l’a toujours pas r’trouvé, j’sais vraiment pas c’qui lui est arrivé… Sûr c’est un coup d’lours bizarre qu’on a croisé.

 — « Un ours bizarre », nota Soucia. Peut-être un des monstres en question.

 — P’t’être, ouais.

 Le groupe passa devant la garnison pour prévenir les soldats qui s’y trouvaient de la situation. Soucia en profita pour montrer l’armure de Malgati au chevalier. Dès qu’il posa les yeux dessus, Lontary se sentit défaillir.

 — Je n’imaginais pas à ce point-là. J’ignore quelle sorte d’homme serait capable de déchirer à ce point une cuirasse aussi résistante.

 — Quelle sorte de monstre, plutôt, corrigea Fabull.

 — Je commence à être convaincu de l’existence de telles créatures.

 — Vous en doutiez ? s’interrogea le chef des soldats.

 — Difficile d’y croire, n’êtes-vous pas d’accord ?

 — Vous savez, moi, je ne doute de rien, je crois ce qu’on me dit.

 — J’ai cru constater cela, en effet.

 Lontary resta un instant à regarder l’état de l’héritage de Garsovky. La colère lui monta au crâne. Il se défoula sur les objets alentours et termina par un coup de poing sur le mur. Il prit une profonde inspiration puis déclara :

 — Bien. Allons-y.

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