En dehors du temps et de l’espace
Minuit. La fête bat son plein partout. Les gens sont prévenus : au Pays Basque il faut toujours prévoir à la fois des lunettes de soleil et un parapluie. Ce soir ne fait pas exception : un orage vient remplacer la voûte céleste à nu. Si on se concentre, on peut entendre en toile de fond sublimatoire un grondement divin.
Mais aux fêtes de Bayonne la préciosité n’a pas sa place. Les gens ne font qu’un, et cette unité collective fait également corps avec les éléments. La pluie qui s’invite fait pour certains l’effet bienvenu d’un brumisateur géant sur des visages aux joues déjà bien rouges. En aucun cas elle ne calme les ardeurs. Des gens écartent même les bras pour mieux accueillir l’ondée, la bouche ouverte tournée vers le ciel. Du Pont du Génie, je vois les gouttes de pluie tomber à la surface de l’eau et troubler esthétiquement le reflet miroir de l’enfilade des peñas éclairées, derrière les gens. Je lève la tête et je vois au-dessus de la foule l’architecture légèrement penchée des bâtiments du front de Nive, aux colombages si reconnaissables et ravissants. Aussi vrai qu’on trouvait du charme à Dalida avec son strabisme, il serait sacrilège de toucher un jour aux lignes imparfaites de ces façades.
A cet instant, j’aimerais être un photographe et que mon obturateur capture par balayage la scène des gens sous l’averse ! Pourtant sans appareil, juste par l’heureuse association de l’œil et de l’imagination, je crois pouvoir isoler chaque particule de pluie. Chaque molécule de H2O se trouve soudain figée dans le temps et l’espace, l'instant d'une immortalisation visuelle qui servira à la postérité mémorielle. Suis-je le seul à m’émouvoir ainsi à cette seconde ? Tout le monde ne voit-il pas la bouleversante ville de Bayonne prendre vie en chacun de nous ? Dieu que c’est bon !
De toutes celles qui existent, l’expression que j’aime le moins est « Toutes les bonnes choses ont une fin ». Pourquoi faut-il que le bonheur soit furtif ?... Pour mieux l’apprécier lorsqu’il se présente à nouveau ? Certainement. Je devrais du moins m’estimer chanceux d’être en mesure d’à la fois pouvoir revenir à Bayonne tous les étés, et surtout être capable de reconnaitre sa beauté, et son unicité. Bayonne m’offre son sein nourricier à toutes ses fêtes, je l’en remercie, et un genou au sol je continuerai de prêter allégeance annuellement.
Cette ville, à travers ces cinq jours, a et aura toujours sur moi un fascinant effet catalytique, que je souhaite à tous d’expérimenter un jour. Il y a de la place pour chacun au cœur des fêtes et chacun y est à sa place, si l’on a besoin de se faire prouver que la vie est belle et que l’exaltation collective existe encore dans sa forme la plus pure.
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